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samedi 27 septembre 2014

Ana Mendieta, l'art de la terre et du sang


Comment avons-nous pu l'oublier si longtemps ? Ana Mendieta est une des artistes les plus bouleversantes que nous aient offertes les années 1970 : la remarquable rétrospective que lui consacre la Hayward Gallery de Londres le rappelle enfin. Et pourtant…

Il y a peu de temps que ressurgit sa mémoire. Longtemps, son œuvre est restée dans l'ombre d'un géant, le grand sculpteur minimaliste Carl Andre, son amant. Et l'histoire s'est surtout souvenu de la troublante plasticienne comme de la victime d'un fait divers tragique : sa chute mortelle, le 8 septembre 1985, du 34eétage d'un immeuble new-yorkais du Greenwich Village. Meurtre ou suicide ? On savait le couple des plus turbulents, leurs disputes toujours violentes. Mais le doute persiste sur les circonstances du drame. Carl Andre a été relaxé après trois ans de procès. Elle avait 36 ans.
Mais déjà, elle avait développé une œuvre remarquable. Celle d'une pionnière qui mixa l'art corporel et le "land art", interrogeant précocement les questions de genre sexuel. Celle d'une singulière qui mêla le terreau de ses origines cubaines aux influences de l'art conceptuel. De son corps, elle fit une terre de conquête, le lieu de toutes les questions. Nul hasard si elle est devenue une des héroïnes des historiennes d'un art féminin, ou féministe.
Dès ses débuts, en 1972, la jeune étudiante colle sur son visage les poils d'une barbe, en clin d'œil aux élans transsexuels d'un Marcel Duchamp. L'année suivante, elle met en scène un viol dont elle aurait été la sanguinolente victime, invitant le public à découvrir son corps malmené dans son appartement.
LE CORPS ET LA TERRE
C'est de 1973 à 1980 qu'elle réalise sa série la plus connue, celle des "Siluetas". Lors de nombreuses performances, elle entre littéralement en dialogue avec la terre, comme en témoignent aujourd'hui photographies etvidéos que dévoile en intégralité l'exposition londonienne. On y voit sa silhouette faire corps avec le paysage : saisie par la caresse d'une vague ; offerte au flux d'une rivière ; devenant flamme. Creusant sa tombe, déjà, dans l'herbe et la paille, le sable, la pierre ou la boue.
Du corps, ne reste souvent que sa trace. On dirait les empreintes laissées par une divinité préhistorique. Les restes d'un culte primitif : comme l'artiste l'a toujours reconnu, ces œuvres initiées par un voyage marquant au Mexique se souviennent avant tout de son enfance à Cuba, où elle est née en 1948 et qu'elle a quittée en 1961 au moment de la révolution castriste. "C'est le sentiment de magie, de connaissance et de pouvoir de l'art primitif qui influence mon attitude personnelle envers l'art, écrivit-elle. A travers mon art, je veux exprimer l'immédiateté de la vie et l'éternité de la nature".
Apaiser le sentiment de l'exil, aussi : sa douleur perpétuelle, que n'anéantit jamais l'obtention de la nationalité américaine en 1971. Dans ses tentatives de fusion avec la terre, c'est cela aussi qu'Ana Mendieta essaie de réparer. Revenant à cette forme de paganisme des cultes de la santeria cubaine, proches du vaudou : "Mon art repose sur la croyance en une énergie universelle qui traverse tout, de l'insecte à l'homme, de l'homme au spectre, du spectre à la plante, de la plante à la galaxie, résume-t-elle. Mes œuvres sont les veines d'irrigation du fluide universel". Et le sang y coule encore…


Ana Mendieta, Hayward Gallery, Southbank Centre, Belvedere Rd, Londres,Royaume-Uni.  Tarif : 13 euros. Jusqu'au 15 décembre. www.southbankcentre.co.uk

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