Les bijoux, précieux ou fantaisie, parlent de nous, comme
autant de signes visibles de notre appartenance à un groupe religieux,
ethnique, professionnel, politique ou sexuel. Messagers d’amour, symboles de
séduction ou de soumission, objets de superstition… Ils disent à leur manière
notre identité sociale, si nous sommes mariés, si nous avons hérité, si nous
avons un enfant… Mais, au-delà des messages conscients qu’ils délivrent, les
bijoux font partie de notre histoire et peuvent révéler notre personnalité
inconsciente. Discrets ou ostentatoires, ils expriment nos goûts et notre
rapport à la féminité, témoignent de notre histoire familiale ou amoureuse.
Décryptage d’une relation complexe, riche de sens.
« Le bijou ne ment pas », lance Catherine Tisseuil, une
passionnée de toujours, aujourd’hui créatrice, en brandissant un bracelet de
force qu’elle a conçu à partir d’une timbale en argent reçue dans son enfance.
Depuis que les femmes sont passées du statut de « celles qui reçoivent » à
celui, plus complexe, de « celles qui offrent et s’achètent un bijou », ce
dernier symbolise ce que l’on choisit de montrer de soi, son degré
d’émancipation ou, tout simplement, l’humeur du moment.
L’affranchissement des codes sociaux a autant libéré le
bijou que celle qui les porte. L’alliance n’est plus réservée aux personnes
mariées, le collier de perles n’est plus l’apanage de la bourgeoise, la
médaille de baptême ne dit plus forcément le baptême.
Il y a quelques années, une campagne de publicité
américaine – « Right hand ring » – avait même encouragé les femmes à arborer «
un diamant à la main droite » en signe d’indépendance affective et financière.
Pour casser une allure qu’elle trouve trop classique et convenue, Laurence a
choisi de porter ses pierres précieuses avec un jean et des baskets : « C’est
plus rock, plus proche de ma personnalité. »
« Nous ne sommes plus dans la dépendance, mais dans
l’affirmation confiante de ce que nous sommes », insiste la psychanalyste
Virginie Megglé. Notre personnalité est multiple, et le bijou exprime ses
différentes facettes, dès lors que l’on est en accord avec soi. Isabelle, qui
déteste tout ce qui est ostentatoire, ne porte jamais d’or : « Il symbolise une
richesse que je n’ai pas envie d’afficher. » Elle lui préfère le cliquetis
d’argent d’un sautoir berbère, qui correspond mieux à ce qu’elle est et qui lui
permet de retrouver chaque jour un souffle de liberté venu d’ailleurs.
Le bijou
érotise le corps
Les bijoux ne sont pas seulement identitaires. Des boucles
d’oreilles éclaireront un visage, une broche ou un collier rehausseront un
décolleté, un bracelet ou une bague brillante induiront une gestuelle
sensuelle. « Ces parures sont destinées à mettre en valeur la féminité, elles
soulignent le corps, subliment la peau », estime Catherine Tisseuil.
Dans certaines familles, offrir à une jeune fille un rang
de perles pour ses 18 ans est un rituel de passage qui lui signifie qu’elle est
une femme. « Qu’elle le veuille ou non, lorsqu’une femme reçoit un bijou, c’est
toujours sa féminité qui est, implicitement, valorisée », constate la
psychiatre et psychanalyste Vannina Micheli-Rechtman.
Il est un attribut dont la vision est autorisée, en écho à
ceux que nous devons cacher – seins, pubis ou toute autre partie intime
considérée comme un bijou. En un mot, il érotise le corps. C’est aussi une
façon pour celui qui offre – le père, l’amant, le mari – de montrer sa richesse
et son pouvoir, à l’instar des anciens chefs de guerre couverts d’or et de
joyaux. Est-ce parce qu’il considérait vivre avec la femme la plus belle du
monde que Richard Burton offrait à Elizabeth Taylor les pierres les plus
précieuses, les plus grosses, les plus chères ?
Le bijou, un signe de féminité ?
Mais, si le bijou souligne la féminité, il ne la décrète
pas. L’habit n’ayant jamais fait le moine, le bijou ne fait pas la femme. Et,
même si les pages de mode des magazines en abusent comme autant de signes
extérieurs rassurants de regendering (ou « identification à son genre » : les
filles sont des filles ; les garçons, des garçons), l’accumulation n’est pas
pour autant convaincante. Une femme couverte de bijoux n’est pas plus féminine
que les autres, les hommes qui en portent ne sont pas moins virils. A
contrario, ne pas en arborer peut être une manière de refuser une expression de
la féminité jugée futile ou caricaturale.
Un ancrage
spirituel
D’une valeur symbolique et affective très forte, le bijou
est un marqueur existentiel de notre histoire personnelle. « Les miens
expriment mon ancrage spirituel et mon lien à la terre », révèle Flavia, qui
s’amuse à mélanger les styles : « Une bague de fiançailles, une bague de
famille et des semainiers indiens en turquoise. »
« Ma bague de fiançailles est un serti clos composé de
diamants d’Afrique du Sud, pays où j’ai rencontré mon futur mari, raconte
Sophie. Je ne la quitte jamais et je mourrai avec ! »
Sandrine se souvient du premier bijou qu’elle s’est offert
lorsqu’elle a touché son premier salaire : un collier avec une dizaine de
rangs, en perles colorées très fines. « Il s’est démodé rapidement, mais je
garde de la tendresse pour lui, il me rappelle toujours qui j’étais à 20 ans. »
Isabelle ne se sépare jamais de son bracelet décoré de
trois petites silhouettes en argent qui représentent ses trois filles. « Ma
grand-mère avait une bague avec cinq saphirs pour chacun de ses enfants, et ma
sœur aînée porte un collier avec trois médailles, sur lesquelles figure le
prénom des siens », confie-t-elle.
Lors d’une enquête*, les ethnologues Marlène Albert-Llorca
et Patrizia Ciambelli ont noté que plus de la moitié des femmes qu’elles ont
rencontrées possèdent un bijou hérité ou transmis. Ce qui n’est pas toujours
simple. « À la mort de ma mère, mon père m’a donné sa bague de fiançailles. Je
l’aime beaucoup, mais je la porte peu, je me sens mal à l’aise avec… Ça n’est
plus moi », avoue Caroline. « La loyauté familiale agit ici comme un handicap,
car cet accessoire est porteur d’un message qui ne nous est pas destiné »,
explique Virginie Megglé.
Le bijou et notre histoire personnelle
C’est d’ailleurs lorsque nous le perdons que nous prenons
souvent conscience de l’importance d’un bijou dans notre histoire personnelle.
« Quand je me suis fait voler ma médaille de baptême, une montre de gousset en
or offerte par ma grand-mère pour ma première communion et une bague avec une
belle topaze, cadeau de ma marraine à l’adolescence, j’ai eu l’impression
d’être amputée de mon passé », témoigne Sonia.
Pour Virginie Megglé, se remettre de la perte de ses
bijoux familiaux demande de faire un travail de deuil et de conversion de ses
propres valeurs. C’est l’occasion de se pencher sur son histoire, de s’en
détacher pour se singulariser, puis de « grandir » pour investir d’autres
bijoux, une identité renouvelée.
Le bijou, un objet thérapeutique
Une légende raconte que des hommes
découvrant des rubis dans le sol ont pensé que ces pierres rouges avaient le
pouvoir d’arrêter les hémorragies… Quelles que soient les époques et les
cultures, nous avons toujours prêté aux pierres le pouvoir de nous guérir et de
nous protéger. Ruban brésilien, œil de sainte Lucie, pierre d’onyx, charms et autres gris-gris nous maintiennent
en bonne santé, nous portent bonheur, nous apaisent ou relancent notre énergie.
Leur contact charnel nous protège et nous sécurise. Devenus talismans et objets
thérapeutiques, leur valeur marchande importe peu puisque seule compte la
valeur particulière que nous leur attribuons.
Des
bijoux et des hommes
Longtemps, le bijou fut un signe extérieur de pouvoir et
de richesse réservé aux hommes : rois, papes et autres chefs guerriers
arboraient bagues, couronne, bracelets, pectoral. Il leur servait également de
défense : la couronne protège la tête, le pectoral éblouit l’ennemi et arrête
les flèches… Manches et étuis de poignard ou d’épée étaient recouverts de
pierreries. Seuls les rois portaient des diamants, jusqu’à ce qu’Agnès Sorel,
favorite de Charles VII, en exige à son tour. Avec elle, le bijou se féminise
et perd en virilité.
Est-ce la raison pour laquelle les hommes finissent par
l’abandonner ? Au début du XXe siècle, il réapparaît timidement dans le
vestiaire masculin sur les boutons de manchette, les pinces à cravate ou les
boucles de ceinture. Le changement survient après Mai 68, quand les hommes, par
anticonformisme, se réapproprient le bijou en signe de contestation. Les punks
portent des bagues et des piercings, les hippies ou les surfeurs, des colliers
en tout genre, les homos revendiquent la boucle d’oreille, les gothiques, les
têtes de mort… Si les années 1970 marquent le retour du bijou identitaire, les
années 2000 lui imposent une fonction utilitaire. Mais la contestation reste
dans l’air, et les rappeurs s’affichent couverts d’or et de pierreries, comme
les nouveaux chefs de guerre.
A
voir, à lire
Le site de la créatrice Catherine
Tisseuil : www.16emesud.fr.
Et celui de Virginie Megglé, auteur deLa Projection, à chacun son film… (Eyrolles, 2009) : www.psychanalyse-en-mouvement.net
Et celui de Virginie Megglé, auteur deLa Projection, à chacun son film… (Eyrolles, 2009) : www.psychanalyse-en-mouvement.net
A
LIRE
La Psychanalyse face à ses détracteurs de Vannina Micheli-Rechtman (Flammarion, 2010).
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