Pour Arouna
Lipschitz l’Holocauste marque notre héritage du sceau de
l’impensable, elle montre aussi que l’éveil de la conscience poursuit sans
relâche sa courbe ascendante. Propos recueillis lors du symposium Quel héritage spirituel pour le XXIe siècle.
Là, il y a eu une bascule dans l’impensable. Non pas un crime contre un
homme, un pays, un peuple, mais contre l’humanité, contre l’humain dans
l’homme. En ce sens, nous sommes tous personnellement concernés par
l’holocauste. Pour moi, il n’y a pas d’autre sens à chercher à l’holocauste que
l’insensé absolu qu’il a révélé et l’atroce qu’il a engrammé dans nos cellules.
Le karma ou la quête de sens ont souvent bon dos pour éviter d’être affecté ou
concerné, ici et maintenant, par le mal et la souffrance des autres. Pour ce
qui est de la part karmique de cet événement, laissons là donc à la justice
divine. Et nous, si en tant qu’humain responsable, nous voulons transformer ce
triste élément de notre héritage du XXe siècle, il nous faut avoir le courage
de prendre acte de ce noir absolu qui n’a rien à voir avec la part d’ombre
qu’on amène chez son psy. Cette énergie fait aujourd’hui partir de nos gènes
spirituels. Il faut en prendre conscience si nous ne voulons pas que cela
devienne le refoulé de l’inconscient collectif du prochain millénaire. Le bilan
du siècle commence donc, pour moi, avec la question : comment entrer dans
le XXIe siècle avec des cellules engrammées par l’atroce à un point tel que
nous avons perdu la capacité de nous étonner devant les horreurs quotidiennes
qui nous entourent encore : l’Afrique qui se meurt du sida, le Rwanda, le
Kossovo, et à l’heure même ou nous parlons, Grozny ?
Il y a un vieil aphorisme spirituel qui dit que « Dieu plante le
remède à côté du poison. » Le remède se trouve donc probablement dans les
autres éléments de l’héritage du XXe. Siècle : la révolution féministe,
psychanalytique et spirituelle.
Différents héritages
Depuis Freud, Jung et compagnie, l’héritage psychanalytique a été une
grande opportunité pour mieux se connaître, mieux comprendre ses blessures
narcissiques et analyser ses traumatismes psychologiques personnels. Le
développement personnel a quasiment envahi toutes les couches de la population,
mais dans tout ce travail intérieur, l’approche de l’autre s’est un peu perdue
dans une inflation individualiste. Si ce travail psy. ne débouche pas sur notre
responsabilité pour autrui, nous aurons accompli bien peu de choses avec
élément psy. de notre héritage.
Venu de l’Orient : le yoga, la sagesse de l’Inde ont envahi l’Occident
dans les années 70. L’éveil à la conscience non-duelle, l’illumination, via
l’extase, la méditation, et l’ascèse a bouleversé notre rapport au monde et a
bousculé quelque peu la psychanalyse, en nous faisant découvrir que nous avions
non seulement un inconscient mais une super conscience, – une conscience des
choses célestes. Et qu’en plus de nos cinq sens, il existait des sens
spirituels prêts à s’éveiller. Bref, que nous n’étions pas limité à notre moi
souffrant, mais que notre véritable identité est celle d’un moi souverain.
Honorer cet héritage d’éveil de la conscience introduite en Occident par l’Inde
et le bouddhisme, c’est s’appuyer sur lui pour aller vers les autres.
Nous passons d’un millénaire marque par le 1, c’est-à-dire par l’émergence
de l’individualisme, pour le meilleur et pour le pire, au chiffre 2. Gilberte
disait qu’un des messages astrologiques du XXIe siècle est la nécessite d’éveil
d’une conscience collective, de ce qu’elle appelle la grande famille. Nous
entrons dans l’ère dite du Verseau, eh ! bien, la grande famille, cela
commence à 2, c’est-à-dire dans le couple. Et qui dit couple parle de la
relation amoureuse, de l’amitié, des relations avec ses proches, ses frères et
sœurs, globalement de la compétence à s’approcher de l’autre.
Une troisième voie
Pour moi le grand challenge spirituel du XXe siècle est la poursuite de la
quête de la conscience non-duelle dans la dualité. Cela oblige à inventer une
nouvelle mathématique spirituelle pour additionner deux plus un. Quelqu’un
comme Yvan Amar, et je voudrais au passage dire qu’il manque dans un débat
comme celui-là, a été jusqu’au bout de sa vie pour explorer ce défi de vivre la
non-dualité dans le quotidien de la matière et de la relation. C’est aussi
l’honorer que de poursuivre, ce que j’appelle, la troisième voie, une voie
spirituelle dans laquelle deux ne sera plus égale à un, mais à trois :
moi, le divin…. et l’autre. Ce qui revient à dire que tout en communiant avec
le Tout pour devenir une présence d’esprit pour la terre, il s’agira de tenir
compte de l’autre bien concrètement. C’est l’apprentissage conscient d’un
penser a l’autre fraternel qui nous permettra de devenir des spiritualistes
naturels, des gens biens tout simplement, très mangeables dans la société
moderne, et que personne n’aura envie de manger justement.
De toutes les façons, très bientôt, grâce a la science, on comprendra qu’il
n’y a rien de plus naturel que la spiritualité. « Les prophètes de demain
seront les scientifiques » dit Bahram Elahi, un sage Iranien. Le troisième
millénaire sera, j’en suis sûre, celui d’un dialogue entre science et
spiritualité, qui éclairera la connaissance ésotérique, la rendra exotérique.
La dimension spirituelle de l’homme s’en trouvera alors reconnue plus
facilement comme sa nature même. A partir de la, le boulot consistera à établir
une science des rencontres, de l’échange, car demain, c’est dans le relationnel
que se vérifiera notre développement personnel, aussi bien que notre évolution.
Et là, je crois qu’on a encore beaucoup à apprendre pour manifester nos éveils
de conscience dans le corps-à-corps, le face-à-face et le tête-à-tête.
L’éthique
Pour moi, le maillon manquant entre le travail sur soi et la transformation
de la cellule engrammée par l’holocauste est l’éveil du sens fraternel. La
fraternité est la condition de survie de l’humanité. Le maillon manquant entre
le spirituel et le monde, entre le monde et un RMI de dignité humaine. C’est
l’éthique, non seulement comme la compréhension de nos droits et devoirs, mais
aussi comme un nouvel éveil de conscience, une « secousse qui ordonne à
dire le bien. » (Levinas). Sur la route de cet éveil qui caractérisera une
« spiritualité naturelle », pour reprendre le concept de Bahram
Elahi, l’exercice de valeurs qui peuvent éveiller la « pulsion du
bien » (Marek Halter) est un solide bâton de pèlerin. Mais en dernière
analyse je tiens à souligner que sans un nouveau rapport à la femme, toute
parole du bien restera lettre morte ou fausse.
L’héritage féministe
Si éveil de la conscience aux jeux de l’inconscient, – notre part d’ombre
–, et à notre identité spirituelle, – notre part lumineuse –, est le double
cadeau psychanalytique et la spiritualiste offert par le XXe siècle au
troisième millénaire, ils ne seront efficaces comme remède a l’atrocité qu’à la
condition d’avoir transformé notre rapport a la femme. Il ne suffit pas de
travailler sur soi en « psy ». – développement personnel etc. Ou en
« spi ». – retraites dans le désert, méditations etc. Il faut
confronter, à tout instant, le gène de persécuteur et de victime en nous. Et le
rapport a la femme, que ce soit dans la relation homme-femme ou de manière plus
générale, dans notre relation au féminin, en est un indicateur privilégie, dans
la mesure où la femme reste encore le lieu ou la haine et la peur,
l’humiliation, l’offense fondamentale faite à la différence, à l’étranger se
vit au quotidien. Sans un respect minimum, voire une reconnaissance
fondamentale de la femme, nous maintenons le risque d’un retour du refoulé
holocaustique dans notre rapport personnel à autrui.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire