Depuis la nuit des temps, les femmes
domptent par des incantations apaisantes les esprits malins qui hantent les
enfants à l’heure crépusculaire. Elles inventent ces mélopées dont elles
conduisent le flux au rythme du bercement. Depuis la nuit des temps, elles
honorent ou implorent les dieux par les danses ou les lamentations vocalisées
dans la liberté de l’improvisation.
Ignorées dans la nuit médiévale les troubadoures Iseut de Capiot, Béatrice de
Die ou Clara d’Anduze , oubliée dans la nuit grecque, Sappho qui « chante
harmonieusement pour charmer ses amies » et méconnues aussi les Romaines
citharistes officiantes du culte de Cybèle.
Le nom des femmes qui firent œuvre musicale au cours
des siècles passés fut occulté jusqu’au milieu du XXème siècle : ni
Histoire des Arts, ni ouvrage musicologique ne les mentionne. Pourtant des
traces existent, des annonces : ainsi dans le Mercure de France en 1770 : «
Melle Lechantre publie deux concertos pour le clavecin ou le pianoforte », des
recueils paraissent dont ceux de Pauline Duchambge qui a écrit plus de 400
romances sur des poèmes de Hugo, Lamartine et Vigny, ou ceux de Marguerite
Béclard d’Harcourt associée à Gérard de Nerval. Dans le cas où leur nom demeure
dans les mémoires, on prend une voix nocturne pour les citer
et elles ne sont pas présentées à la hauteur de leur talent. C’est le cas pour
Elizabeth Jacquet de la Guerre, figure majeure du règne de Louis XV puisqu’elle
composa en 1721 un Te Deum à grand chœur pour célébrer la convalescence du Roi.
Elle n’apparaît que fugitivement dans les histoires de la musique qui, écrites
par des hommes, ne tiennent nullement compte des productions et carrières féminines.
Celles-ci, pourtant, ne manquent pas au cours du
XIXème siècle, ne serait – ce qu’en France : Louise Bertin, auteur de nombreux
opéras, Louise Farrenc en qui un critique voit « l’expression la plus haute du
talent symphonique chez les femmes », Augusta Holmès, louée par Saint-Saëns ou
Hélène (de) Montgeroult qui, même ayant renoncé à la particule, ne dut qu’à son
talent de pianiste de n’avoir point la tête tranchée pendant la Terreur ! Au
début du XXème siècle, même les plus titrées, sont souvent passées sous
silence. Pourtant sont honorées du Prix de Rome Lili Boulanger en 1913, Marguerite
Canal en 1920, Jeanne Leleu en 1923, puis Elsa Barraine en 1929 en tête de plusieurs
de nos contemporaines.
Conscientes d’échapper injustement à la notoriété,
certaines optèrent pour un pseudonyme masculin : Marie Granval en usa
plusieurs, Mélanie Bonis entretint l’équivoque en signant Mel Bonis, et Augusta
Holmès débuta comme Hermann Zenta.
Quelques unes, Alma, Clara et autres Fanny souffrirent
de la concurrence imposée par leur patronyme. En revanche l’une d’elles ne
profita point de la légalité de son emploi : Mademoiselle Barbe Gerber, auteuse
de romances et pièces de piano, qui devint par son mariage Madame (Jean Marie)
Chopin. Bien d’autres, dont nul ne sait qu’elles composèrent, connurent le
succès par d’autres voies : Marie Antoinette, Hortense de Beauharnais,
Wilhelmine von Bayreuth ou la cantatrice Pauline Viardot, dont Saint-Saëns admirait
« la plume impeccable ».
Plusieurs causes apparaissent à cette occultation du
rôle créatif des femmes dans l’histoire musicale. En premier lieu l’asphyxie
des interdits, et d’abord ceux de l’église pour qui l’infériorité de la
femme allait jusqu’à la rendre assimilable à une image diabolique. Paul ayant
affirmé, dans une épître aux Corinthiens que la femme devait se taire à
l'église, les décrets se multiplièrent pour la soustraire à la pratique des exercices musicaux. Toutefois, par dérogation
ou désobéissance, plusieurs s’y livrèrent comme en témoigne l’œuvre de
Hildegarde Von Bingen, fondatrice au XIIème siècle du monastère indépendant de
Rupertsberg, théologienne, poétesse et compositrice d’antiennes, d’hymnes et
drames liturgiques.
Tout aussi oppressants furent les interdits sociaux et
bien plus durables. La femme est assujettie à sa condition de mère et d’épouse.
Pour brider tout élan créateur, la volonté du père et celle du mari se
conjuguent. Germaine Tailleferre, qui en souffrit, le souligne dans ses
Mémoires, citant d’abord son père criant à tue-tête : « pour ma fille, être au Conservatoire
ou faire le trottoir Saint Michel, c’est la même chose. Jamais je ne donnerai mon
autorisation ! », puis, la carrière commencée, intervient un mari, Richard
Burton, qui « n’aimait pas beaucoup se sentir Monsieur Tailleferre », et une
belle-mère, la mère de Jean Lageat, qui rappelle les bonnes manière : « Moi, ma
fille, je n’ai jamais travaillé.
C’est ainsi dans notre milieu. ». Un critique,
d’ailleurs, ironise en même temps : « Le Groupe des Six se compose de cinq
membres et d’une membrane ! ».
extrait de www.femmesetmusique.com
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