« Déesse inconstante, incommode, bizarre dans ses goûts, folle en ses ornements, qui paraît, fuit, revient et naît dans tous les temps », la mode vestimentaire est un éternel recommencement, à l’image de la fraise, encombrant appendice adulé sous Henri II et refleurissant sous la Restauration, du châle tantôt désuet tantôt incontournable attribut de grand luxe, de la crinoline du Second Empire dont le vertugadin fut l’ancêtre sous François Ier, ou encore du séant postiche prenant ses marques sous François II
Au
mois de juillet 1913, on célébrait le centenaire de l’introduction du cachemire
en France. C’était, disait-on, la spirituelle Mme de Bourrienne, arbitre
des élégances féminines de l’époque, qui, en juillet 1813, avait arboré à Paris
le premier cachemire qu’elle venait de recevoir des Indes.
Or,
s’il est vrai que Mme de Bourrienne lança alors la mode du châle, qui
devait durer jusqu’à la fin du Second Empire, il était inexact de dire que son
cachemire était le premier qu’on eût vu en ce pays. A la vérité, le premier
cachemire qui vint en Europe, avait été apporté des Indes près d’un quart de
siècle auparavant, à Marie-Antoinette, de la part du bailli de Suffren. Ce fut
un jeune officier de marine nommé Bouvet – un nom célèbre dans la marine – qui
s’en chargea et apprit à la reine la façon de le porter.
Sans
la Révolution, qui bouleversa les modes comme toutes choses, il est probable
que la mode du cachemire eût commencé vingt-cinq ans plus tôt. Cette mode,
cependant, est de celles qui durèrent le plus longtemps. Il faut croire que le
châle avait bien des avantages pour que les femmes aient consenti à le porter
pendant cinquante ans. Il faut dire que ces châles venus des Indes étaient de
merveilleux objets. Les Hindous les apportaient par la voie de terre en Russie,
à la grande foire de Macarieff, laquelle fut remplacée par celle de
Nijni-Novgorod. C’étaient des châles anciens qu’avaient portés, en ceinture ou
en turban, les nababs ou les radjahs.
Plus
tard, quand la mode se démocratisa, des industriels français en fabriquèrent.
Au milieu du XIXe, nos ancêtres avaient tous vu leurs grand-mères se
draper dans ces grands châles bariolés dont ils firent, quand la vogue en fut
passée, des tentures des tapis de table ou des dessus de piano. Vers 1860, les
femmes commencèrent à renoncer au châle. Beaucoup d’élégantes le regrettèrent.
A la veille de la guerre de 1870, la princesse de Metternich tenta de remettre
le cachemire en faveur. « N’importe qui, disait-elle, peut s’habiller d’une
confection, mais il faut être une vraie dame pour savoir porter le
châle. »
Sous
le Premier Empire et sous la Restauration, le beau châle des Indes étaient le
vêtement de grand luxe. L’impératrice Joséphine en posséda jusqu’à quatre
cents. Elle en avait qui n’avaient pas coûté moins de dix et douze mille
francs. Comme on place aujourd’hui son argent en colliers de perles ou en
rivières de diamants, on le plaçait en ce temps-là en cachemires. Un beau châle
des Indes était un objet qui ne pouvait qu’augmenter de valeur. Voltaire
appelait la mode :
...Une déesse inconstante, incommode,
bizarre dans ses goûts, folle en ses ornements,
Qui paraît, fuit, revient et naît dans tous les temps.
bizarre dans ses goûts, folle en ses ornements,
Qui paraît, fuit, revient et naît dans tous les temps.
Est-il
possible de la dépeindre avec plus d’exactitude ? La mode, en effet,
« paraît, fuit, revient » sans cesse. C’est surtout en parlant d’elle
qu’on peut dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. La mode
d’avant-hier redevient celle d’aujourd’hui ; la mode d’hier sera celle de
demain. Peut-on jamais affirmer qu’une mode, si ridicule qu’elle soit, et même
alors que les femmes n’en veulent plus, ne renaîtra pas quelques années plus
tard ?
Tenez :
la fraise... La fraise avait été imaginée par Henri II pour cacher une
cicatrice que les écrouelles lui avaient laissée sur le cou. Aussitôt les
courtisanes des deux sexes l’adoptèrent. Les femmes la portèrent de dimensions
exagérées. La fraise était pourtant singulièrement incommode. A table, les
femmes étaient obligées d’employer des cuillers longues d’une aune pour manger
leur potage.
On
eût pu croire qu’une telle mode une fois disparue, ne rentrerait jamais en
faveur. Eh bien, il n’en fut rien. Sous la Restauration, pendant quelques
années, on vit les élégantes porter de nouveau la fraise – la fraise moins
rigide et légèrement infléchie en avant, il est vrai..., mais c’était la fraise
tout de même.
Et
la crinoline ?... Au début du XXe siècle, on menaça nos
ancêtres du retour de la crinoline. Ils y échappèrent. Mais y échapperons-nous
demain ? D’ailleurs, la crinoline de nos aïeules n’était pas elle-même une
innovation. C’était une mode qui renaissait et qui renaissait même pour la
seconde fois. La crinoline, en effet, ne fut pas, comme on le croit
généralement, une création du Second Empire. Elle eut, dans l’histoire de la
mode, deux ancêtres qui firent quelque bruit.
Les
premières crinolines datent du règne de François Ier. Il y
avait alors, à la cour du roi-chevalier, quelques dames qui avaient les hanches
mal faites. Pour dissimuler cette imperfection, elles inventèrent le
« vertugadin », par lequel elles prétendaient donner de l’élégance à
la taille en arrondissant les hanches. Afin de ne point laisser deviner la
vraie raison de cette mode, elles en firent honneur à leur modestie en
l’appelant « vertugadien ». On en a fait « vertugadin » par
corruption.
Or,
le vertugadin n’était autre chose qu’une crinoline, seulement plus évasée aux
hanches que celle qu’on porta sous Napoléon III. Cette mode, abandonnée
pendant deux siècles, reparut sous Louis XV, et, apparemment, pour la même
raison. On lui donna le nom de « paniers ». C’était là le nom d’un
maître des requêtes fort répandu dans la monde. Fut-il l’inventeur ou plutôt le
restaurateur de cette mode ? On ne sait. Toujours est-il que son nom y
gagna une célébrité qu’il n’eût point conquise sans cela.
La
vogue des paniers est un des exemples les plus probants de la toute-puissance
de la mode. Tout le monde les trouvait ridicules, incommodes. Les femmes ne
pouvaient plus monter en chaise à porteurs ; dans les carrosses, elles
tenaient toute la place au détriment de leurs maris. Dans les salons, elles se
gênaient mutuellement avec les développements excessifs de leurs jupes ;
et, comme disait plaisamment un écrivain du temps, la duchesse couvrait la
marquise, la marquise couvrait la comtesse, la comtesse couvrait la baronne.
Les plus grands appartements devenaient trop étroits pour le développement de
ces énormes falbalas.
La
commodité, le bon sens condamnaient les paniers ; bien mieux, la religion
tonnait contre eux. Les prédicateurs censuraient de tout le pouvoir de leur
éloquence ces accoutrements scandaleux. A Saint-Sulpice, le père Bridaine, de
sa voix de stentor, adjurait ses pénitentes d’y renoncer si elles ne voulaient
pas être condamnées à aller expier leurs excès somptuaires dans les flammes de
l’enfer. Qu’arrivait-il ?... Les belles élégantes, pour aller l’écouter à
l’église, mettaient de modestes robes plates sur les hanches, mais, dès
qu’elles étaient rentrées au logis, c’était à qui d’entre elles s’ornerait des
plus formidables paniers.
Et
le réticule (petit sac) ?... Que d’ancêtres n’a-t-il pas ? Les dames
du Moyen Age avaient l’aumônière ; celles de la Renaissance avaient
l’escarcelle. Chaque fois que les femmes supprimèrent l’ampleur de leur robe,
elles supprimèrent les poches du même coup, et le réticule reparut sous quelque
nom nouveau.
Il
y a quelque 800 ans, les dames portaient des vêtements collés au corps.
Voyez plutôt les statues de ce temps-là, taillées au portail des églises.
C’était la robe fourreau que portèrent de nouveau les élégantes au début du XXe siècle.
Au temps de Saint-Louis, la manche plate était tellement en faveur que les
dames faisaient, sur leurs bras mêmes, coudre et découdre leurs manches, matin
et soir, par leurs chambrières. Or, vers 1910, on vit revenir à la mode ces
manches exagérément plates.
Parmi
les modes singulières considérées par certains comme ridicules, citons la
manche à gigot. Elle fut inventée, au temps de la Renaissance, par de nobles
dames qui dissimulaient ainsi leurs épaules contrefaites. Cela ne l’empêcha pas
de reparaître vers 1880.
Sous
François II, un seigneur arbitre des élégances d’alors, était fort
ventru : pour l’imiter, les hommes s’avisèrent de porter des ventres
postiches. C’est alors que les femmes, par esprit de contradiction, sans doute,
et dans l’intention de railler cette passion des hommes pour la rotondité
abdominale, inventèrent la mode des gros derrières et imaginèrent des postiches
qui donnaient à leur séant des proportions dont la Vénus hottentote eût été
jalouse. Nous n’avons pas revu la mode des gros ventres chez les hommes ;
mais celle des gros séants chez les dames fut de nouveau très en vogue à la fin
du XIXe siècle. Et l’on désignait ce postiche d’un euphémisme
ingénieux : la « tournure ».
Mais
nous n’en finirions pas s’il fallait examiner toutes les modes défuntes, ou que
l’on croit telles, et qui, sans qu’on sache pourquoi, reviennent brusquement au
jour. Du moins, celle des cachemires qui réapparut dans les années 1920, se
justifie-t-elle par la grâce et le bon goût. Il apparaît d’une manière générale
que les modes jugées ridicules ou disgracieuses s’imposent non moins facilement
que les autres, et il n’est pas une femme qui, regardant les gravures de modes
d’autrefois, ne s’écrie : « Dire que nos grand-mères s’habillaient
comme ça ! »
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