La question du mariage à Kesra (ville du centre-ouest de la Tunisie située
sur la bordure nord de la dorsale
tunisienne) commence avec celle de la sauvegarde de la virginité et de
la préservation de l’honneur, qui repose sur la vertu des filles jusqu’à leur
mariage. Cette importance accordée à la virginité s’accompagnait encore
récemment d’un rituel spécifique, chargé d’aider la jeune femme à préserver son
honneur et celui de sa famille : le rituel du tasfih. Il s’agit d’une
protection surnaturelle de la virginité par la suppression de ses capacités
sexuelles et l’impossibilité de sa défloration. Accompli sur les petites filles
avant leur puberté, l’effet de ce rituel devait bien entendu être annulé le
jour du mariage afin de ne pas empêcher sa consommation.
A Kesra, ce rituel était pratiqué selon deux formes, l’une mettant en scène le
métier à tisser, tasfih bil mensej (à l’aide du métier à tisser), l’autre à
partir de la scarification du genou. Selon la première forme de tasfih, la
jeune fille, aidée de sa mère ou d’une de ses tantes, devait enjamber sept fois
le métier à tisser en mangeant sept raisins secs et en prononçant la formule «
je suis un mur, il est un fil ». Ensuite, la femme qui l’accompagnait coupait
un des fils lisses du métier à tisser, appelé ennira, et mesurait la taille de
la jeune fille de la tête aux pieds. La mère devait alors conserver
soigneusement ce fil jusqu’au jour du mariage, afin de pouvoir défaire le
tasfih. La veille du mariage, ou le jour-même, la mère de la jeune fille devait
sortir le fil ainsi conserver, le placer dans un bol et le brûler. Puis, elle devait
donner à sa fille, un verre d’eau dans lequel était dissoutes les cendres.
Cette dernière devait alors prononcer la phrase inverse : « je suis un fil, il
est un mur ».
La deuxième méthode consiste à inciser le genou de la jeune fille
en prononçant les paroles inaugurales « bismillah er’rahmen errahim » (Au nom
de Dieu le miséricordieux). Le nombre des incisions devait être impair (trois,
cinq ou sept), et pour chacune d’elle l’opératrice imbibait un raisin sec ou un
morceau de sucre du sang coulant de l’entaille. Comme pour le rituel du métier
à tisser, cette dernière devait prononcer la formule « Je suis un mur, il est
un fil ». Ensuite, la mère les conservait jusqu’au mariage, pour que la jeune
mariée puisse les consommer en énonçant la formule inverse et annuler les
effets du tasfih. De nos jours, bien que cette pratique ait fortement diminuée,
elle est toujours usitée.
NOTA : Par le
biais d’actes circonstanciés et de paroles magiques, le tasfih protègerait
en toute situation les jeunes filles tunisiennes d’un contact sexuel et
assurerait par là même leur virginité prénuptiale. Une enquête de terrain
réalisée en 2001 révèle un rituel quelque peu facétieux, qui à n’en point
douter préserverait vertu, mais dans le même temps permettrait licence. Les
matériaux de cette enquête, recueillis et présentés à un public aussi divers
que médecins, journalistes, politiques ou bloggers tunisiens, vont faire
l’objet de réactions inattendues, cristallisées autour d’une interrogation
lancinante : « Est-ce que ça marche ? ». Un retour réflexif
sur ces réactions et sur le terrain initial permet d’interroger les manières de
faire et de dire les sexualités, ainsi que leur portée heuristique pour l’analyse
et la compréhension des contradictions de la Tunisie contemporaine.
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