Des
rapports entre les hommes et les femmes Mai
huna, le lien entre les deux problématiques de la reproduction,
physiologique et symbolique, naît du désir masculin de marquer la participation
des hommes au processus biologique. La reproduction physiologique s’inscrit
dans la dynamique de la reproduction des hommes, comme espèce sociale, et de la
nature où, par un jeu d’équivalences symboliques et linguistiques, le principe
féminin du monde (humain, animal et végétal) est animé par le principe masculin
mai, des hommes et des astres.
La
mythologie montre que si la maternité est une affaire de femmes – les formes et
les signes de la grossesse étant causées par elles, et à elles attribuées –
elle ne prend une forme sociale qu’après l’intervention fondée sur le désir de
l’homme et le pouvoir de pénétration. Ce geste, qui est rendu possible par
l’opération d’extraction du « vagin denté », thème mythologique
connu, est un signe d’évolution aux yeux des Mai huna. Sans cette opération,
l’espèce humaine eut été, à jamais, dépossédée d’un avantage critique sur les
autres espèces animales, à savoir l’opposition du pouce et des doigts qui
autorise la préhension. L’extraction mythique du vagin denté alimenta, jusque
dans les années trente, une pratique semblable à l’excision chez les fillettes
tukano, « afin qu’elles ne soient pas comme un homme », dont les
traces ont été observées plus récemment dans un groupe apparenté aux Mai huna,
les Airo Pai. Elles ont aujourd’hui disparu, mais l’idée qu’il faut retirer aux
femmes une part de masculinité reste présente dans le vocabulaire, dans les
formes d’humour et les plaisanteries, et dans la distribution des rôles sociaux
et politiques.
L’organisation
socio-politique Mai huna est viricentrée (le principe mai domine) et les femmes
reçoivent leur identification par les hommes. Filles de leur père (yibago), elles reçoivent
une appartenance clanique. Epouses de… (niho), elles héritent d’un rôle social. Mère de … (hako), elles
accomplissent leur destin. C’est ainsi que le nom propre des femmes est moins
mémorisé dans les généalogies que celui des déterminants masculins de leur
identité. La résidence uxorilocale – qui peut, dans certains cas, donner force
à la communauté féminine – n’est pas établie selon le principe d’une continuité
résidentielle, dans un contexte où les familles doivent migrer pour tirer le
meilleur parti de l’écosystème et rentabiliser les activités halieutiques,
cynégétiques et les pratiques culturales qui reposent sur l’essartage et la
culture sur brûlis. La communauté Mai huna repose fondamentalement sur le
principe de l’échange entre des alliés dont les deux pôles que sont le gendre
et le beau-père sont liés dans toutes les activités ordinaires et rituelles. La
femme est toujours l’intermédiaire entre deux hommes (père-époux, mari-fils)
dans la situation consacrée par « la mère primordiale »Ñukeo, à qui les Mai huna rendent
hommage lors d’un rite de renaissance symbolique qui marque le début de l’année
(rite du pifuayo). Ainsi placée en
situation d’intermédiaire, que l’on pourrait croire dominée, Ñukeo
est garante de l’équilibre du monde et responsable de la constitution de
l’être. Attachée dans un hamac à la « tête de l’eau » (l’Est pour les
Mai huna), sa position est cruciale pour le maintien de l’ordre cosmique. (Elle
évite que les astres Soleil et Lune entrent en collision.) Les hommes
s’attachent, par des gestes précis, à éviter qu’elle-même n’entre en collision
avec la terre qu’elle ferait trembler.
Les
femmes Mai huna ont aussi des « pouvoirs cachés » qui sont d’ordre
individuel et collectif. Individuellement, la femme exerce un pouvoir de
séduction capable de briser l’harmonie entre les hommes, et aussi la carrière
des chamans. Collectivement, elles ont un rôle politique. La co-résidence des
mères et des filles crée un contrepoids à l’autorité que l’homme exerce en tant
que chef de maison, et les femmes tissent entre elles un réseau de relations
qui est l’exact contrepoint de l’armature masculine. Leur rôle économique est
très important tant par leurs activités de production que par la part qu’elles
prennent dans l’organisation du travail et le contrôle de la circulation des
produits du jardin et de la chasse. Elles se font une opinion sur toutes les
affaires publiques et privées, qu’elles discutent entre elles avant de tenir
les hommes informés de leurs résolutions. Mais elles ne peuvent imposer leurs
décisions, ni au sein de la maison ni dans l’unité sociale d’un ordre
supérieur. Il arrive cependant que des femmes s’y efforcent par différents
moyens, allant de la grève de la cuisine au refus de faire l’amour, de l’acte
de violence physique contre l’homme au chantage au suicide, jusqu’à l’abandon
des enfants pour aller refaire sa vie ailleurs, lorsque la situation devient
trop critique.
Les mythes relatés ici ouvrent la geste épique de
Maineno, et leur analyse exhaustive a été présentée dans le cadre d’une
réflexion très complète sur la construction des relations de genre (Bellier,
1991). La sélection établie vise à montrer, avec des images très explicites, la
perspective Mai huna sur les deux piliers de la reproduction des hommes que
sont, d’une part le principe de filiation, d’autre part la pacification du
rapport entre les sexes qui s’appuie sur la mise en acte de la domination
masculine. Les deux mythes ont en commun de présenter une image dévorante de la
femme, la mère Jaguar d’un côté, de l’autre la femme au vagin denté comme le
point de départ d’une geste civilisatrice qui serait tout entière portée par
les hommes. Mais ces mythes nous montrent aussi que sans la femme l’homme n’est
rien.
lire
l’article entièrement ici : http://socio-anthropologie.revues.org/139
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