Olivier s'était
toujours senti femme et a vécu emprisonné dans le corps d'un homme pendant cinquante
ans. Jusqu'au jour où il a sauté le pas, s'est fait opérer pour changer de
sexe. Olivier est alors devenu Olivia, "Une femme normale".
Olivia Chaumont, c’est d’abord des yeux. De grands yeux verts pétillants
qui vous fixent sans détour, comme à l’affût. C’est ensuite une silhouette
longiligne, glissée dans un pantalon cigarette à l’imprimé très mode, et de
longs cheveux poivre et sel qui tombent avec grâce sur les épaules. Douceur
dans le ton de la voix, coquetterie dans la manière élégante de ne pas révéler
son âge, légèreté dans la gestuelle, Olivia a tout d’une femme, sauf qu’il y a
encore quelques années, Olivia s’appelait Olivier et était, au regard de la
loi, un homme. Un homme respecté avec un métier respectable – directeur
d’une agence d’architectes d’une quinzaine de personnes – avec des copains
et des soirées foot, avec des aventures amoureuses mais aussi avec une petite
fille. Un homme qui fume des Gauloises sans filtre après l’amour. Une vie en
apparence normale, banale même, mais en réalité un mirage, une illusion. Un
mensonge. Car Olivier sait au plus profond de lui qu’il est une autre.
Flash-back. Petit garçon, Olivier
s’est toujours senti très différent de son frère. « J’avais le sentiment
bizarre d’appartenir à un autre monde que le sien, raconte aujourd’hui Olivia.
Je n’avais qu’une envie : aller me maquiller avec mes sœurs. C’est
peut-être difficile à imaginer, mais je ne me suis jamais ressentie comme un
garçon. » Au fil des années, Olivier mène pourtant une vie d’adolescent
lambda, au cœur des années 1970, avec son lot de petites copines et ses
études d’architecte et d’urbanisme menées tambour battant : « Cette
trans-identité m’est littéralement tombée dessus. J’avais l’impression d’être
enfermé dans un corps qui n’était pas le mien, un corps étranger, jusqu’à
étouffer. » Mais par peur de la réaction de sa famille, par crainte du
regard des autres, il a mis longtemps « un couvercle de plomb » sur
cette féminité latente.
Une urgence vitale
Avec le temps, cette contradiction,
Olivier la vit de plus en plus mal : « Etre femme était ce qui me
déterminait, mais je ne pouvais pas l’exprimer. Célibataire, je me maquillais
et je m’habillais en femme en cachette. Pour aller bosser, je me démaquillais,
je retrouvais mon masque d’homme. » Olivier tait sa souffrance pendant de
longues années, près de cinquante ans. Une éternité. « Je me noyais dans
le boulot. J’y passais tout mon temps, mes nuits, mes week-ends… »
Plusieurs fois, Olivier se renseigne sur le changement de sexe : « A
28 ans, j’étais parti chercher du boulot à Marseille. J’y ai rencontré un
transsexuel qui m’a raconté sa vie. Une vie de galère, triste. J’ai
renoncé. » Olivier se raisonne, se dit que « ça va passer ».
Jusqu’au jour où cette sensation d’être une femme le submerge.
« C’est devenu une urgence vitale. J’ai décidé que je ne pouvais plus
mentir à tout le monde et à moi-même. » Il choisit un psychiatre
« moderne et progressiste » qui l’aide dans son long cheminement. Un
endocrinologue lui prescrit des médicaments. C’est le début de ce que les
transsexuels appellent « la transition » d’un corps à l’autre.
Irréversible. Et au bout de deux ans de traitement, Olivier franchit un pas
décisif : il fait son coming out. Assez réussi : « Avec ma
famille, cela s’est plutôt bienpassé, même si ma mère a mis du temps et si
quelques-uns ne l’acceptent toujours pas. Mon père n’a jamais rien su, il est
mort il y a longtemps. » En revanche, il perd des amis. Le prix à
payer ? Comme Olivier veut une vie féminine complète, il décide de se
faire opérer, de se faire retirer son sexe qui « ne lui appartient
plus », en Thaïlande, dans une clinique reconnue, à Chonburi. L’opération
est un calvaire, mais quand Olivier se réveille, Olivia est née. Femme et
heureuse de l’être.
Le retour en France est une autre histoire. Après l’opération,
Olivia doit faire reconnaître son « sexe social » par la société, en
obtenant de nouveaux papiers et le fameux changement d’état civil. « J’ai
été révoltée par mes rapports avec le monde médical et le monde judiciaire, relate-t-elle.
J’ai subi des humiliations, et parfois de la barbarie. Savez-vous, par exemple,
qu’on impose la stérilisation pour assurer l’irréversibilité du changement de
sexe ? Dans le cas d’une opération, certains juges nomment trois
experts : un psychiatre, un endocrinologue et un chirurgien pour aller
vérifier… et pas qu’avec les yeux. Tout cela est très humiliant », déplore
Olivia. Son souhait ? Qu’on dépsychiatrise les transsexuels et que les
pouvoirs publics les épaulent, par exemple grâce à une sorte de planning
familial spécifique : « Ce dont on a besoin, c’est d’être aidés,
comme en Belgique ou en Espagne, et non pas jugés voire, pire, soignés. Nous ne
sommes pas malades ! »
Olivia ne se contente pas d’avoir accompli « sa
transition » personnelle avec dignité, mais milite pour tous ceux ou
toutes celles qui, un jour, passeront par là. Dans son combat pour plus
d’égalité de traitement, Olivia a trouvé une alliée, une seule, la députée
Michèle Delaunay, médecin et ministre déléguée chargée des Personnes âgées et
de l’Autonomie : « Aujourd’hui, l’enjeu est que quelqu’un prenne la
tête du groupe parlementaire pour la défense des droits des transsexuels.
Politiquement, il n’y a que des coups à prendre. » Olivia met toute son
énergie dans la lutte contre les idées reçues, contre les stéréotypes
concernant les transsexuels. Et ils sont légion. « C’est une manière de
continuer mon cheminement personnel. Je souhaite que la société française
regarde les transsexuels avec bienveillance et ne nous prenne plus pour des
prostituées ou des artistes à paillettes. La société a du mal à nous faire une
place alors que nous aspirons juste à une vie normale, comme tout le
monde. »
Olivia apprend vite. Elle devient même la première femme acceptée
au Grand Orient de France. Une prouesse, un autre combat gagné à force de
persuasion. « J’ai intégré le Grand Orient en tant qu’homme, j’y suis
restée en tant que femme. Pour moi, le Grand Orient est un club philosophique,
un think tank qui porte les valeurs humanistes de la République laïque et qui
m’aide à trouver mon merveilleux. »
Elle découvre aussi la discrimination vis-à-vis des femmes…
« Ce que dit une femme a parfois moins de poids que ce que dit un
homme. » Qu’est-ce qui reste de masculin en elle ? La passion pour le
rugby, le foot, la mécanique et l’aviation : « Je pilote un bimoteur.
Paris-Nice en trois heures, c’est génial ! Je suis très à l’aise avec les
hommes car je sais les décoder. Ils ne me font pas peur, mais cela n’empêche
pas que je me sente fragile et que, parfois, leur violence me déroute. »
Le seul sujet qui reste douloureux est celui de sa fille de 18 ans qu’elle
voit peu car elle s’est séparée très vite de sa mère. « Je laisse ma fille
vivre sa vie, en province, loin de moi. Elle continue à me dire “papa”, bien
sûr. Je m’attends à des hauts et des bas. J’ai cessé de me sentir coupable car
le chemin pour aller jusqu’à moi aura été long. »
Aujourd’hui, Olivia vit sa vie de Parisienne, du côté de la place
des Victoires, en semi-retraite – elle exerce son métier d’architecte
d’intérieur en free lance – dans un appartement dépouillé. Une vie
tranquille, apaisée, ce à quoi elle aspirait depuis toujours : « Je
travaille un peu, à mon rythme. Je profite de la vie, je fais les magasins, je
parle chiffons, je vais au restaurant… » Olivia est en couple avec une
femme. Troublant détail pour nous, anecdote pour elle : « Peu importe
le sexe de mon amour, j’ai toujours aimé les femmes. L’important, c’est d’être
bien avec quelqu’un. » Le soir, Olivia s’étourdit de musique, « L’œuvre
pour piano » de Debussy, Miles Davies, du rap, les tubes des
années 1970 qui lui rappellent sa jeunesse, mais aussi de la musique
électronique. Et elle relit Céline, Le Clézio et redécouvre la poésie de
Victor Hugo, « vertigineuse, comme ma vie ».
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