«Une
femme peut filer un cordon ombilical primitif en son sein à
travers
lequel elle passe l’énergie vitale au futur.»
– Melissa Raphael
« Aux
Ameriques, dans certaines cultures indigènes, il existe une
pratique
qui veut que l’on trouve le chant funèbre d’une personne
pendant
qu’elle est vivante. Ce chant devient l’allié de la personne
en
question, au cours de son existence, de manière à ce qu’elle
acquière
la signification profonde du chant au cours de sa vie. La
mort
alors, se fait compagne de la vie et n’est jamais oubliée. Au
moment
de leur mort, ces gens, s’ils en sont capables, chantent
leur
chant, quittant ce monde avec cette mélodie sur les lèvres, en
sentant
le pouvoir de cet allié qui a grandi avec eux au cours de
leur
existence. J’imagine qu’un chant de mort crée une connexion
entre
une personne et les cycles de la vie, guidant le mourant
dans
l’autre monde en aidant à garder la peur à distance...»
–
Leslene della-Madre, Midwifing Death [Accoucher la Mort]
Elle a été introduite aux bénédictions
et aux cérémonies de bénédiction maternelle quand elle était une petite fille
et que le groupe d’amies de sa mère s’hébergeait les unes et les autres pendant
leurs grossesses.
Elle
nous raconte :
J’adorais assister aux cérémonies qui
avaient lieu pendant la grossesse de ma mère avec mon petit frère et ma petite
soeur; et être le témoin de cette bulle d’amour, de soutien, et d’engagement
dans laquelle elle était plongée. J’étais touchée par l’ambiance sacrée, magique et mystérieuse. A
mes 12 ans, le même groupe d’amies se réunit afin d’effectuer un rituel de
bénédiction, pour la fille de l’une des membres (rituel que l’on peut faire
entre les 10 et 16 ans de la jeune fille). C’était une expérience mystique et
magnifique. Nous portions des couronnes de fleurs dans nos cheveux, bénies du
savoir et de l’affection que nous dispensaient les vieilles femmes sages de
notre tribu. J’ai maintenant 34 ans et j’ai toujours un dossier plein des
prières, notes et messages datant de ce jour. Il a senti le parfum subtil des
pétales de rose pendant des années.
Mon chant préféré de ces rituels ayant
marqué mon enfance est :
« Je suis
Femme » :
Je suis
Femme
Je suis
Esprit
Je suis
l’Infini dans l’âme
Je n’ai
pas de commencement
Et je
n’ai pas de fin
Voilà
tout ce que je suis.
Plus tard, quand ma très jeune soeur
entra dans l’adolescence, j’aidais ma mère et mes amies à organiser une
cérémonie pour une fille de cet âge là. J’étais enceinte de 13 semaines de mon
plus grand fils à cette période. Encore une fois, nous chantions. Plus tard au
cours de ma grossesse, ma mère a réalisé un rituel de bénédiction pour moi
aussi, le premier qu’elle a organisé et facilité seule, et ainsi elle passa le flambeau
de ces rituels à un nouveau cercle de femmes : mes amies.
Le fredonnais pendant l’accouchement
de mon premier enfant, et ma mère le fredonnait parfois avec moi de l’autre
côté de la porte de la salle de bain, ou dans la voiture pendant qu’elle me
conduisait à la maternité. Après la naissance de mon fils des caillots ont
empêché la contraction normale de mon utérus, et on a dû extraire manuellement
le placenta. C’était extrêmement douloureux et je chantais Je suis Femme très,
très fort pour ne pas crier. Ma mère chantait avec moi pendant que mon mari portait
notre fils en s’extasiant. Chanter ce chant pendant l’accouchement acheva de la
graver dans mon âme comme mon chant, notre chant.
Nous l’avons chanté bien d’autres fois
depuis, au cours de cérémonies, de rituels, et spontanément, ou encore seule
sous la douche ou en passant l’aspirateur (et toutes sortes d’activités
quotidiennes). En 2009, quand mon troisième enfant mourut alors que j’entamais
mon deuxième trimestre de grossesse, je me réfugiais encore dans Je suis Femme,
l’utilisant comme un outil qui m’aiderait à traverser cette épreuve. Il était
né à la maison, paisiblement et avec beaucoup d’amour, mais dans les heures qui
suivirent, je commençais à perdre des caillots de sang, et nous primes la
décision difficile d’aller aux urgences. Alors que l’on quittait la maison, je
fis une expérience mystique dans laquelle j’acceptais que c’était peut-être la
mort, et que la naissance de ce nourrisson, que j’avais tant aimé, allait aussi
être la chose qui me tuerait. Dans la voiture tandis que nous roulions je
chantais la chanson, encore et encore, afin que mon mari et ma mère sachent que
j’étais encore vivante. Tant que je chantais, je savais que j’étais toujours
là.
Et heureusement je survécus pour la chanter encore de nombreuses fois, dans
l’éclat du soleil et sous la pluie, dans les mains jointes d’un cercle de femmes,
et dans la solitude. Après me l’avoir chanté durant un rituel de suite de
fausse couche, mes amies me la chantèrent encore lors de la fête pré-natale de
ma grossesse suivant cette perte, d’une petite fille arc-en-ciel, qui naquit un
midi d’hiver et ce fut l’une des plus grandes joies et l’un des plus grands
soulagements que je connus. Sur mon autel de naissance, il y avait la photo
qu’une amie lointaine m’avait envoyée, avec Je suis Femme écrit dessus, et
que j’avais collée sur un morceau de tissu.
Il y a cinq mois, ma grand-mère est
morte. Elle vivait en Californie et ma mère partit la voir pour l’aider à
accoucher de ses dernières pensées et de ses derniers mots. Un dimanche
d’avril, quand nous pensions que le dernier jour de ma grand-mère dans ce monde
était venu, je passais la journée à penser à elle, à pleurer, à parler à mon
mari tout en surveillant frénétiquement mon téléphone dans l’attente d’un
message de ma mère.
(Petite note à ceux qui critiquent les
gens «collés» à leurs portables sur leur blogs, ils feraient bien de se
rappeler que ces personnes à l’air hagard, sont peut-être en train d’attendre un
message de leur mère à propos d’une grand-mère agonisante, et que ce téléphone représente
en fait un lien, une connexion et non une déconnexion ou une distraction.) Je
partis dans mon coin sacré, dans les bois, m’assis sur le rocher et chantai Je
suis Femme. Ma mère me dit plus tard qu’elle la chantait à ma grand-mère pendant
qu’elle entendait son souffle erratique, en pensant que chacun d’eux serait le
dernier. Bien que séparées de 2000 kilomètres, à ce moment-là, trois
générations étaient liées par une chanson.
Après avoir chanté sur le rocher, je
parlai à voix haute à ma grand-mère, lui disant les derniers mots qui n’étaient
pas vraiment venus dans la lettre que je lui avais envoyée, ou au cours de
notre dernier contact en visioconférence, et j’offris cette prière :
Prière à ma grand-mère
Doux vent, porte-la
Espoir, protège-la
Amour, garde-la
Paix, bénis-la
Porte ma gratitude
Droit à son coeur
Dépose-la dans ses mains
Blottis-la dans son corps
Là où elle prendra racine
et fleurira
Puisse-t-elle savoir qu’elle est aimée
Qu’elle est appréciée
Qu’elle est soutenue
Dans la grande toile de la réincarnation
Le déploiement de la mémoire génétique
Dans les silences et les histoires partagées
Dans l’héritage qui se déploie
Paix, soutiens-la
Amour, étreins-la
Vie, relâche-la.
(15/4/13)
Alors que je revenais des
bois, ma mère m’écrivit encore, disant qu’elle avait chanté toutes les bénédictions
et chants sacrés dont elle se souvenait et qu’elle avait besoin d’en avoir
plus. Je renvoyais donc les paroles les unes après les autres, et en les
recevant, elle les chantait doucement à ma grand-mère, tenant sa main et la
bénissant de tous les moyens possibles, utilisant ces mots pour apaiser,
connecter et soulager. Être capable de créer cette connexion, virtuellement, et
de contribuer au cercle de chants qui entouraient ma grand-mère fut une expérience
profonde, comme si, en envoyant ces mots à ma mère qui les partageait avec ma
grand-mère, nous avions créé un cercle par-delà les kilomètres, imprégné par
les mots de nos chants de vie, de naissance, de mort...
Retrouvez les articles de Molly Remer en anglais
sur son site :goddesspriestess.wordpress.com