C’est de l’espace sombre que nous émergeons –
qu’il s’agisse de nos mères ou de la plus mystérieuse « mer » cosmique des âmes
– et c’est à l’obscurité que nous retournons lorsque nous fermons les yeux au
temps de la fin.
Au sein des cercles de la Déesse, l’idée du « sombre » reste communément associée au
mal, au négatif, au mauvais ou au désagréable. La Mère Sombre, bien que
reconnue et acceptée, est souvent en même temps assimilée à la mort, à la
destruction, au défi, aux épreuves et aux obstacles. Bien que ce concept de
mère sombre, démoniaque et destructrice puisse aussi avoir une place dans les
traditions de la Déesse (comme avec Kali ou Durga), je pense qu’il est limitant
de façon inutile et que l’idée de l’ « Obscurité » en général a besoin d’être
revue. Il n’y a pas que le rôle ou la place de la mort au sein de la roue de la
vie ou que l’archétype de déesse que la déesse en tant que Mère Sombre et destructive
puisse être honorée et reconnue, mais on peut explorer l’Obscurité comme lieu
de soin et de repos.
Dans son article “Revisioning the Female
Demon” (1998), Elinor Gadon (1) explique qu’il y a une tendance dans le
mouvement de la Déesse contemporain à «ignorer son côté sombre », et elle
remarque que «dans son entièreté elle est à la fois créative et destructrice…
Le mouvement de spiritualité féminine a
besoin d’un miroir plus inclusif dans lequel reconnaître et retrouver les
pouvoirs élémentaux féminins qui ont été scindés entre la pacifique, la bonne
nourricière, et la maléfique, destructrice guerrière » (p.2).
Dans le livre Fire of the Goddess de Katalin
Koda (2) dans le chapitre Reclaiming the Dark Mother l’auteur
dit :
« Les qualités féminines de l’obscurité,
l’humidité, la naissance, et le sang, symbolisent la mère sombre et notre
Initiée interne. On nous a appris à nier ces parties de nous et de nos corps ;
honorer le féminin sacré vous invite à revendiquer des parties, non seulement
comme parties de qui vous êtes, mais aussi comme aspects puissants de votre
vie. Quand nous faisons face à notre ombre, nous sommes initiés à nos pouvoirs
les plus profonds. Il se peut que ces parties nous effraient ; Ces aspects de
nous-mêmes hurlants, sous-alimentés, réprimés qui demandent à être entendus,
mais auxquels nous ne supportons pas de faire face. »
Et si le côté Sombre de la Déesse , n’était
pas maléfique, furieux et destructeur ? Et si en fait la Déesse Elle-même se
trouvait dans l’obscurité ? Judith Laura (3) écrit à propos de la matière noire
«pourrions-nous appeler cette « force invisible » Déesse ? La matière
noire pourrait être assimilée à l’utérus de la Mère, en gestation continuelle
de particules, soleils, galaxies, qui s’écoulent d’elle dans un courant
continuel… La matière noire peut aussi être représentée sous l’aspect de la
Déesse de l’Ancienne [crone] – sombre et puissante » (Goddess Spirituality for
the 21st Century, p. 181).
Une des tâches de la Théalogie a été de
réévaluer le concept d’obscurité. Jacqueline DaCosta note « Cette obscurité…
équivaut à l’obscurité du savoir inné, instinctif, où nous sommes au sein de
l’utérus de la Déesse » (p. 115 (4)). Les
observations de DaCosta sont cohérentes avec mes propres expériences et
observations du monde. Dans l’obscurité, les choses germent et poussent. Le
sombre est un lieu calme, contenant, sécurisant et accueillant – nous venons de
l’obscurité et c’est là que nous retournons. L’utérus est l’endroit où j’ai
nourri et fait grandir mes enfants, et il est sombre et sécure en mon
expérience. En fait, l’obscurité n’est-elle pas l’utérus de toute la création ?
C’est de l’espace sombre que nous émergeons –
qu’il s’agisse de l’utérus de nos mères ou de la plus mystérieuse « mer »
cosmique des âmes – et c’est dans l’obscurité que nous retournons lorsque nous
fermons les yeux pour la dernière fois. L’obscurité contient notre ADN. Notre
lien au passé et au futur. A la naissance de l’univers, une partie de nous
était là, dans cette explosion à partir de l’obscurité.
Dans le livre Meditation Secrets for Women
(5), Camille Maurine écrit sur l’idée de descente, et de «descendre » dans
ses propres lieux sombres : « Il y a des moments dans la vie d’une femme, où
l’appel vers le bas est un voyage transformateur, une convocation dans les
profondeurs de l’âme. Les gens ont tendance à penser la spiritualité comme
élévatrice vers le ciel. Dans les enseignements traditionnels (masculins),
l’illumination est souvent décrite comme un envol des centres bas du corps, de
l’instinct et de la sexualité, vers les centres plus élevés dans la tête puis
en dehors. Au contraire, la quête de la femme mène à un certain moment à
sombrer de toute son âme en elle-même. Tout le monde craint cette descente.
Pourtant sombrer nous connecte à la terre, à
notre sol personnel, à notre fondation. Il y a un secret dans l’
«ensombrissement »(5). » La Sombre Déesse n’a pas besoin d’être associée
automatiquement ou traduite en « sombre », «souffrante », « négative » ou «
côté sombre ». Je pense l’obscurité comme un cocon. Je pense à l’utérus. Je
pense à la germination. Je pense à un lieu de repos, d’attente, d’immobilité et
de transformation. Émergence. Profondeur. Richesse de la terre. Gloria
Orenstein fait référence à
l’ensombrissement comme « un lien avec la
terre et l’invisible qui va ré-établir notre sens d’interconnexion avec toutes les choses, phénoménales (6) et
spirituelles, qui composent la totalité de notre vie dans notre cosmos. Les
arts écoféministes ne maintiennent pas que le savoir analytique, rationnel
serait supérieur aux autres formes de connaissances.
Ils honorent l’intelligence de la Terre Gaïa
et les souvenirs accumulés par ses plantes, pierres, sol et créatures. Par la
communication non verbale avec les énergies de sites sacrés dans la nature, les
artistes écoféministes obtiennent un savoir important sur l’esprit du lieu,
qu’ils peuvent honorer au travers des rituels créatifs et des pièces
environnementales. » (Reweaving the World, p. 280). Cela me parle en raison de
mes expériences théapoétiques de la présence de la Déesse dans mon propre coin
sacré dans les bois derrière ma maison, où je vais aux « rochers de la
prêtresse » pour prier, réfléchir, méditer, ritualiser, penser et converser
avec les esprits de ce lieu.
J’ai assisté à une présentation d’histoires
de naissances à une conférence en 2011 durant laquelle la conférencière, Pam England,
a utilisé la descente d’Inanna comme métaphore pour expliquer quelques
concepts. Elle dit que le lieu « où vous avez été le plus blessé-e – le lieu
où la chair vous a été arrachée des os et mâchée, devient le siège de votre
médecine la plus puissante et l’endroit où vous pouvez attendre quelqu’un là où
personne d’autre ne le peut. » C’est ce que je ressens comme ce qu’offre la
Déesse Sombre. Elle est présente quand la chair est arrachée. Elle est là dans
la guérison des blessures et La connaître, marcher avec Elle, Lui faire face
mène à une médecine puissante.
« Pour chacune de nous en tant que femme, il
y a un endroit profond en nous, où enfouit et grandissant s’élève notre
véritable esprit. En ces lieux profonds, chacun est porteur d’une réserve incroyable
de créativité et de puissance, d’émotions et de ressentis inexplorés et
inédits. Le lieu de pouvoir de la femme en chacune de nous. Est sombre, est
ancien, et est profond.»
NDT : 1
« Révision du démon féminin », Elinor Gadon http://www.belili.org/marija/bios/elinor_gadon.html
3 https://hecatedemeter.wordpress.com/2012/02/09/an-interview-withjudith-laura-about-goddess-matters
4 « To Explore
Whether the Concept of ‘Dark’ as Expressed in Theology Can Be Reconciled in Any
Way to the ‘Dark’ of Thealogy » http://fth.sagepub.com/content/12/1/103
5 « endarkenment » en anglais
6 phénoménales au sens philosophique : qui
peut être l’objet d’expérience par les sens
par
Molly, traduit par Siannan Partagé par Francesca-Françoise Salaün
Blog : http://etredivinaufeminin.blogspot.fr/