Le poids du quotidien dans la diversité des
situations Féminines
Les discours et les images ont
imposé La Femme sur piédestal, la Madone, la Muse, l’Allégorie… Mais la
diversité des situations réelles est considérable, marquée par la diversité
sociale. Le piédestal et le singulier sont trompeurs.
- Bourgeoises
Au temps de la bourgeoisie
conquérante, le mode de vie de la bourgeoise est triomphant et s’impose comme
modèle à approcher, diffusé par nombre de manuels, très subdivisé par de
subtiles hiérarchies, très contrôlé par le confesseur et le corset :
« L’invalidation sociale se manifeste d’abord par une invalidation
physique ». Jamais oisive, levée tôt, elle est la maîtresse d’une
maison qui doit être un havre de repos pour le guerrier du capitalisme ou de la
vie politique, le nid où grandissent les enfants nourris de saines valeurs, le
lieu de représentation de la réussite de la famille, agrémenté de miettes
d’arts consensuels. Elle assure la gestion et le contrôle de tout :
propreté de la maison, propreté du linge, courses, qualité des repas, tenue des
comptes et surveillance des dépenses, tenue et éducation des enfants (sa tâche
principale). Le nombre des domestiques indique le statut social.
La richesse et la qualité des
toilettes sont une autre marque de ce statut, et permettent aussi d’afficher la
réussite du mari. Les éducateurs religieux ne manquent pas d’être préoccupés
par la frivolité ainsi développée chez les jeunes filles. Les bourgeoises
entretiennent par leurs visites (codifiées), leurs réceptions, leurs
apparitions mondaines aux spectacles, un réseau de sociabilité qui doit étayer
la réputation et l’activité de leurs maris : la sphère privée n’est donc
pas si hermétique que la théorie ne l’affirme. L’inscription dans la cité se fait
également par des activités charitables et philanthropiques, qui peuvent leur
donner quelques connaissances de la société. Il y a un espace public des femmes
aisées : l’église, le salon de thé, les commerces (puis les grands
magasins), les bonnes œuvres…
Sur l’ensemble de la population
française, ce mode de vie concerne, bien sûr, un pourcentage de femmes très
limité. Les autres continuent à apporter, comme elles l’ont toujours fait, une
lourde contribution à la production et au fonctionnement de la société.
- Paysannes
Elles ont été et sont toujours
paysannes, de beaucoup les plus nombreuses de la population active. Celles-ci
assurent, au cours d’une très longue journée de travail, très étroitement liés,
les tâches de femme au foyer (souvent nourrices de surcroit) et des travaux
spécifiques à l’exploitation agricole. Le couple est indispensable au bon
fonctionnement de la ferme. Mais les travaux féminins pour être nécessaires et
rudes ne sont pas valorisés pour autant.
Elles sont encore, comme avant,
et même plus nombreuses du fait de l’urbanisation, couturières, blanchisseuses,
commerçantes, domestiques… De plus, désormais, l’industrialisation puise dans
le réservoir de main d’oeuvre constitué par les campagnes surchargées. C’est
alors que, parallèlement, le «problème du travail des femmes» fait couler
beaucoup d’encre.
- Ouvrières…
Les mines embauchent des femmes,
malgré leur faiblesse «naturelle» proclamée ; à partir de 1860, elles ne
travaillent cependant qu’en surface. Le textile fait beaucoup appel à la main
d’œuvre féminine, souvent jeune et célibataire, pour des salaires dérisoires,
dans de très mauvaises conditions d’hygiène et d’horaires. Les employeurs
comptent sur les qualités «naturelles», adresse et endurance, (qualifications
acquises de fait). La nouvelle industrie sexue les matières et les techniques,
dans le prolongement des tâches traditionnelles.
Plus souvent qu’auparavant,
peut-être, elles quittent donc leur domicile pour le travail : ainsi
celui-ci est plus visible. Dès lors, désormais il fait «problème». C’est le
cumul du travail salarié extérieur avec les tâches domestiques qui est objet de
débat bien plus que les très faibles salaires octroyés. «Une femme qui
travaille n’est plus une femme» (Jules Simon). L’industrialisation arracherait
les femmes à leur foyer, jetant les enfants à la rue… L’homme est censé nourrir
la famille (obligation inscrite dans le code civil) et doit gagner un salaire
familial. Les femmes ne peuvent gagner qu’un salaire d’appoint, elles ont peu
de besoins et ne peuvent apporter qu’une aide provisoire avant la venue des
enfants ou la petite enfance passée. D’ailleurs elles sont des «travailleurs
imparfaits». Flora Tristan s’indigne de cette position qui nie l’existence des
femmes seules réduites à la misère voire à la prostitution. Les ouvriers
souhaitent leurs femmes au foyer, ménagères, et non dans des lieux de
promiscuité, soumises aux ordres d’un homme. Pour Proudhon, l’alternative
est : « Courtisane ou ménagère ». L’honneur d’un homme est en
jeu s’il ne peut suffire à nourrir sa famille. Les femmes seraient de plus des
concurrentes déloyales, ce qui est rarement vrai, car les emplois masculins et
féminins se chevauchent peu. « À l’homme le bois et les métaux. À la
femme, la famille et les tissus ». Dans les milieux de
l’Internationale, les réticences du mouvement ouvrier au travail des femmes
s’expriment avec fermeté.
Les travaux à domicile, qui
respectent le partage social des rôles et des espaces, ne suscitent pas ces
résistances et les difficultés écrasantes de la double journée sur place ne
sont jamais évoquées.
...ou ménagères ?
Toutes les femmes des milieux
populaires sont, bien sûr, ménagères, et pour beaucoup, ainsi que pour leur
compagnon, répondre à cette seule définition est un idéal. Responsables du bon
fonctionnement de la famille (courses, cuisine, soins aux enfants, entretien et
fabrication des vêtements, lessive…) elles ont une lourde tâche mais un rôle
majeur et un important pouvoir de gestion : la compensation n’est pas
négligeable. Les logements sont petits et peu salubres, mais la rue, le marché,
le lavoir sont des espaces de circulation et de rencontre.
- Courtisanes et prostituées
Aux yeux de l’opinion
quasi-générale, théorisée par l’ouvrage de Parent-Duchâtelet, paru au début de
la Monarchie de juillet et qui fait référence tout au long du siècle, la
prostitution est un fléau nécessaire comme les égoûts. Sinon jeunes filles et
épouses seraient en grand danger... Un certain nombre de filles ont des
prédispositions à la débauche (la condition sociale est peu évoquée) :
elles sont indispensables, elles ont une fonction dans la société, mais elles
sont dangereuses physiquement, moralement, socialement. Il faut donc les
séparer, les surveiller, les soumettre à des règlements spéciaux, à des
contrôles non moins spéciaux et arbitraires de la brigade des mœurs :
c’est le réglementarisme. Il est encore mieux qu’elles soient enfermées dans
des maisons closes : somptueuses ou misérables, leur hiérarchie se calque
sur la hiérarchie sociale.
- La femme pauvre
On ne s’étonnera donc pas qu’au
cours du XIXe siècle s’impose progressivement le problème de « La Femme
pauvre », mis en forme par Julie-Victoire Daubié en 1866. Aux marges
des classes moyennes, la femme seule, sans «protection», est dépourvue de tout
moyen de subsistance si elle n’a pas eu accès à l’éducation. La situation est
pire que sous l’Ancien Régime, pense l’auteure, car des solidarités se sont
défaites. Elle propose une vaste enquête sur les bas salaires féminins, (selon
Michelle Perrot, « elle est la première à avoir fait des femmes un
objet d’investigation et à montrer la spécificité de la pauvreté féminine »).
Elle estime qu’il y a une rareté plus grande des métiers désormais accessibles
et fait un vigoureux plaidoyer en faveur de l’éducation féminine. C’est une des
voix féminines qui traversent ce XIXe siècle.
Nous pouvons en discuter sur " La Vie Devant Soi "
Source :
Une Histoire des Femmes - Chapitre 3 A
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