L'auteur de La Femme
solaire plaide ici pour que la femme d'aujourd'hui
retrouve son rôle hiérophanique d'initiée aux mystères, afin de nous faire passer de l'horizontalité de notre vie active à la verticalité de notre dimension spirituelle.
retrouve son rôle hiérophanique d'initiée aux mystères, afin de nous faire passer de l'horizontalité de notre vie active à la verticalité de notre dimension spirituelle.
Car l'humanité a besoin d'urgence, d'un changement de paradigme.
Et si
l'étincelle spirituelle reposait au plus profond du sexe et du ventre de la
femme ? Et si c'était à elle de la faire ressurgir des mutilations et des
culpabilités ? La prêtresse retrouvée ouvre alors le passage au nouveau prêtre,
non pas celui de la castration ou de la robe, mais un homme d'une immense
douceur alliée à sa force, qui peut accueillir une femme et se laisser
accueillir par elle pour partager l'infini de l'amour. Le trajet de l'amour
romantique à l'amour conscient ouvre la voie d'une nouvelle spiritualité.
Les femmes gardiennes
Dans la grande
entreprise de laminage de l'ère patriarcale, la femme n'a pas seulement été
soumise et infériorisée sous le joug, la loi du masculin, elle a aussi perdu sa
valeur d'initiée ou, du moins, elle l'a engloutie sous les eaux de
l'inconscient. Comme Blanche Neige ou la Belle au bois dormant, elle est la
princesse endormie, protégée d'un destin plus funeste par son sommeil même.
Elle dort et veille sur le possible tout à la fois comme la graine enfouie dans
le sol pendant les froidures de l'hiver et elle attend le printemps de son âme.
La femme se garde et a placé au plus profond de son coeur le message de
l'amour, et nul ne sait qui viendra la délivrer et libérer le passage. C'est
toute l'histoire du Graal et des chevaliers en quête de la coupe de la
féminité, du vase sacré.
Mais les
chevaliers de la Table ronde se sont évanouis à l'horizon. Ils ne reviendront
pas car il n'appartient plus aux hommes de sauver l'âme malade du monde, malade
d'un manque d'amour. Les femmes commencent à savoir que le chevalier, le prince
tant attendu, surgira en elle et que l'attente doit se convertir : d'extérieure
elle doit devenir intérieure.
Une musique
très lointaine se fait entendre, plaintive encore, souffrante et discordante.
Celle des femmes qui se relèvent et se réveillent dans un ballet incertain.
Comme elles sont mutilées et incomplètes, ces femmes ; comme elles se
cherchent, comme elles s'auto-détruisent, comme elles s'entre-détruisent,
ignorantes de leur beauté et de leur sororité. Pourtant, des mains s'élèvent,
se rejoignent, esquissent la forme d'une coupe, font naître un soleil. Ce
soleil pâlit et l'on peut croire qu'il va disparaître, mais à nouveau il brille
au-dessus des têtes. Les chants deviennent plus mélodieux, plus puissants. Une
onde se déverse en pluie fécondante sur l'humanité assoiffée. Le chant de
l'être se répand et irrigue toutes les âmes. L'espoir de ce monde est entre les
mains des femmes.
Que peuvent faire les femmes ?
Réapprendre à
s'aimer elles-mêmes et entre elles. Celles qui émergent socialement cherchent
plus la compagnie des hommes que celle des femmes. Elles sont flattées
secrètement d'être acceptées par ceux qui détiennent le pouvoir, elles
s'identifient plus volontiers à eux qu'aux femmes qu'elles accusent d'être
mesquines, jalouses et peu intéressantes.
Et pourtant, la
blessure culturelle collective a besoin de se guérir par des retrouvailles avec
la royauté intérieure de la femme. Sur un plan énergétique, la femme est par
son corps une urne de vie. Elle peut abriter une nouvelle vie et lui donner
naissance. Son sexe est à l'intérieur de son corps. À tout instant il lui parle
comme une chaude présence. il l'invite à une célébration intime. Quand elle
accepte cette stimulation érotique toute particulière, la femme est
perpétuellement reconduite à l'état d'éveil. Quand elles ne sont pas blessées
par l'éducation, la petite fille et la jeune fille ont cette capacité d'écoute
et de pétillement intérieur qui leur permet de relativiser les enseignements
rationnels du langage et les discours du mental. Dans son essence, la femme a
un accès direct à l'extase, au présent de l'instant, à la réceptivité créatrice
de grâce.
L'histoire d'une coupure
Dans
différentes cultures, les pratiques de mutilation du sexe féminin sont reliées
au désir masculin de couper cette capacité initiatique qui fait de la femme un
être fondamentalement libre, inaliénable. Plus subtilement, les théologies
occidentales ont coupé la femme du meilleur d'elle-même en condamnant dans un
même mouvement la sexualité, la chair et la femme, toutes coupables d'exister.
La chute de l'humanité est liée au péché majeur de croquer la pomme. Et jamais
Adam ne se serait engagé dans cette voie s'il n'y avait eu la tentation de
cette pécheresse d'Ève. L'histoire n'a souvent retenu que cette culpabilité.
Mais l'autre face est celle d'un pouvoir exorbitant. Dire que la chute est du
côté d'Ève, c'est dire implicitement qu'elle détient aussi le pouvoir de
l'élévation.
Pendant des
milliers d'années, les prêtresses de la Déesse-Mère ont rempli cette fonction
positive de lien entre le ciel et la terre, elles organisaient dans les temples
les cérémonies de la fertilité. Les hommes et les femmes se r e n c o n t r a i
e n t sexuellement sous l'égide d'un rituel qui donnait toute sa signification
à leur étreinte. Il s'agissait d'un hierosgamos, mariage ou union sacrée. Une
ligne terre-ciel, sexe-tête était ainsi invitée à se manifester pour
l'irruption d'une conscience plus vaste, d'une conscience hors temps. L'orgasme
sexuel, dans certaines conditions, peut devenir une extase, non plus seulement
localisée au sexe mais amenée vers le cerveau, et le vécu permet une sortie du
temps, comme si le présent s'étirait indéfiniment. Il y a toujours un moment où
le temps vous rattrape, mais cette incursion plus ou moins brève dans
l'éternité apporte à l'être une force intérieure où il s'inscrit. C'est ainsi
que nous avançons de point d'entrée en point de sortie.
La femme
interdite de prêtrise, soumise à l'homme, culpabilisée, n'a plus la possibilité
de faire chanter ce lien pour elle-même et pour l'homme. Désormais, il lui est
demandé de se contenter d'être une femme strictement fidèle à un seul homme, de
lui faire des enfants et de les élever. Elle rachètera sa faute en étant une
bonne épouse et une bonne mère. La femme au sexe chantant ne survivra que comme
exception dans le cadre du mariage et se réfugiera parfois chez la putain comme
une caricature d'elle-même. Mais notre époque favorise depuis cinquante ans la
réémergence de la dimension de prêtresse chez la femme. Les possibilités de la
contraception lui ont rendu une maîtrise de sa fécondité. Désormais, la
sexualité a pu ressortir de sa stricte fonction de sexe il renonce à en faire
usage. Ce qui suppose qu'il a abandonné la fonction pénétrante au profit de la
seule réceptivité. Le prêtre s'adonne au féminin de l'existence, au partage, à
la charité, à la compassion, à l'amour... C'est une véritable conversion, une
mutation qui ne se fait pas sans violence sur la nature quand il s'agit de
voeux prononcés à vingt ans.
Car, pour la
majorité des hommes, l'accès à l'anima, à la figure de la femme intérieure,
passe par des visages significatifs de femmes, de la mère à la soeur, à
l'amante, à l'épouse, à la fille, etc. La beauté intérieure se construit par ce
va-et-vient de l'extérieur vers l'intérieur. Certaines personnalités masculines
répriment ce féminin à cause des circonstances de leur éducation, mais même les
plus cuirassés se laissent rattraper par leur sensibilité aux alentours de la
soixantaine, et parfois avant. Lorsque l'intégration du féminin reste freinée,
la plupart des hommes se polarisent sur le pouvoir, ont peu d'accès à une femme
sur le plan affectif, restent immatures et dépendants, avec une peur et une
fascination mêlées à l'égard de la femme. Le Don Juan est un homme qui a peu de
contact avec son anima et qui compense ce manque par une quantité extérieure.
L'homme de pouvoir peut être entouré de femmes dont il tente de se nourrir, de
se remplir en vain, ce qui développe parfois une insatisfaction cynique. Que se
passe-t-il pour un homme quand le féminin commence à germer en lui ? Il prend
conscience, il évolue, mais souvent, d'abord, il souffre d'un excès de
sensibilité, d'un trop plein d'amour. Pour moins souffrir, il tente de
comprendre, il cherche, et sa quête le conduit sur une voie où,
progressivement, tout prend sens. Il peut devenir Tristan, l'homme d'une seule
femme, parfois encore dépendant, avant d'être l'homme conscient, l'homme de
l'unité, qui peut s'engager différemment dans le voyage de l'amour.
L'étoile à six branches
Que signifie la
rencontre des deux triangles dans l'étoile de Salomon ? Le triangle du haut
représente le besoin d'élévation de l'être et le triangle du bas son
enracinement. Le croisement de ces deux triangles donne naissance à l'étoile à
six branches qui symbolise aussi une réalisation harmonieuse de l'être
réconcilié avec les deux directions fondamentales du masculin et du féminin.
Vouloir s'élever n'exclut pas d'avoir les deux pieds sur terre, puissance et
conscience ont la nécessité de se conjoindre, de se marier, de s'infuser
mutuellement. Mais tout se passe comme si, jusqu'à présent, les religions et
les sagesses n'avaient guère trouvé de propositions collectives qui
intègrent ces deux dimensions. Le triangle pointe en haut a été privilégié par
le masculin. Les trois religions monothéistes invitent l'être spirituel à se
désincarner, à vivre un allégement, une sortie du corps. Le message collectif
enregistré comme une croyance est celui-là: moins vous vous occuperez des biens
matériels et des plaisirs de la chair, plus vous vous approcherez de votre
nature divine obscurcie par la pesanteur de la matière et la concupiscence.
Purifier son regard, c'est aussi se détacher du monde.
La vie terrestre peut
être souffrante, mais l'au-delà justifie tout. Le triangle pointe en bas tend à
amener la conscience dans l'incarnation. Il ne s'agit plus de sortir, mais
d'entrer. Chaque geste du quotidien devient l'occasion d'exercer un
discernement, une qualité de présence. Aucune forme de vie n'est meilleure que
l'autre, tout dépend de la présence apportée dans la joie comme dans l'épreuve.
L'argent, la sexualité, la sensualité, le plaisir de vivre ne sont plus tabous,
mais l'occasion d'exercer une sagesse du milieu, de chevaucher une force sans
se laisser désarçonner par elle. Notre époque tente de trouver une voie qui
conjugue ces deux directions masculine et féminine de la spiritualité - la
désincarnation et l'incarnation. Pour l'émergence de l'étoile.
Le centre de la croix
Que signifie la
rencontre de la verticale et de l'horizontale au centre de la croix ? La croix
évoque d'abord, pour un Occidental, la crucifixion. Comme si la conjonction de
l'horizontale et de la verticale ne pouvait se faire sans une terrible
souffrance. Nous sommes confrontés à cela dans notre vie de tous les jours.
Quel est le temps que je consacre à l'horizontale et quel est le temps que je
consacre à la verticale ? Une vie profane est pratiquement entièrement faite de
gestes pour la survie ou pour l'affirmation de soi, des courses au bricolage, à
l'entretien de la maison, à l'activité professionnelle, à la gestion du budget,
à la poursuite d'une oeuvre...
Une vie consacrée
posera les pratiques méditatives ou caritatives au centre de son temps. Y
a-t-il un troisième terme, une vie consciente qui tente à chaque instant la
conjonction de la verticale et de l'horizontale ? Notre époque semble chercher
cette rencontre et, dans le même état d'esprit, le couple apparaît à beaucoup
comme une voie de réalisation, un lien entre profane et sacré. Réussir à vivre
harmonieusement une intimité prolongée avec un autre représente une sorte
d'épreuve initiatique. Dans certains cas, la méditation incluse dans le
quotidien contrebalance la paresse de pratiquer, mais la morale de l'effort et
de la discipline ne suffit pas à favoriser l'évolution. Quel est ce centre,
quel est ce coeur situé au croisement de deux directions sinon l'approche
toujours plus subtile de soi-même et de l'autre ? Aimer.
Dans une
perspective historique, l'amour est comme un cadeau de la crucifixion et de la
souffrance, de la soumission douloureuse des femmes, de l'emmurement des hommes
dans leur carapace guerrière. Aujourd'hui, l'amour nous invite à une fleur de
réalisation. Il y a eu un temps pour la coupure. Il y a un temps pour la
jonction. Les hommes et les femmes s'individualisent, affirment leurs
différences, explorent une identité plus androgyne, changent leurs
comportements, prennent un espace de liberté et paradoxalement, se donnent les
chances de se rencontrer dans la fusion comme jamais.
Paule Salomon |
Et si le centre
de la croix pouvait s'atteindre par cette rencontre toujours plus complète de
deux corps, de deux âmes, de deux esprits s'avançant l'un vers l'autre dans un
dénuement toujours plus total, une finesse toujours plus présente ? Et si
l'émerveillement du divin nous attendait non pas dans la sortie, non pas dans
l'entrée, mais au milieu, là où nos religions ne sont jamais allées le chercher
jusqu'à présent ? Dans l'incandescence de la chair, la nudité de l'âme,
l'élévation de l'être. Une femme consciente peut allumer la flamme de ce projet
de vie, et le proposer à son compagnon jusqu'au moment où lui aussi se fait le
porteur de feu.
Nouvelles clés Printemps 1997 par Paule Salomon
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