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lundi 4 août 2014

Nancy Huston étudie la perception de la femme




Féministe, Nancy Huston? Assurément! Intelligemment aussi, comme en témoigne son nouveau livre, un essai vif, fin, passionnant, nourri de références magistrales, superbement écrit. Détournant fort à propos le titre d'un célèbre roman de l'Américaine Carson McCullers, Reflets dans un oeil d'or (1941), porté à l'écran par John Huston en 1967 -film mémorable avec Marlon Brando et Elizabeth Taylor-, Nancy Huston s'intéresse particulièrement au regard que les hommes portent sur les femmes depuis la nuit des temps et, par conséquent, à l'image d'elles-mêmes qu'ils leur renvoient. L'auteur d'Infrarouge (qui paraît ces jours-ci en poche, chez Babel) est ainsi convaincue que "les hommes ont une prédisposition innée à désirer les femmes par le regard, et que les femmes se sont toujours complu dans ce regard parce qu'il préparait leur fécondation", comme elle l'écrit dans son avant-propos.  

Si son ouvrage a des accents de manifeste, Nancy Huston n'entreprend pas moins une rigoureuse rétrospective du comportement des uns et des autres à l'aune de l'histoire de l'humanité pour, in fine, interroger notre société et analyser le processus qui a façonné la femme contemporaine. Et cette brillante intellectuelle d'attirer notre attention sur les déviances d'un regard notamment générées par la photographie et son utilisation publicitaire ou artistique depuis la fin du XIXe siècle. Convoquant aussi bien Jacques Lacan que l'écrivain québécois (et prostituée) Nelly Arcan, Jean-Paul Sartre (qui évoque longuement le "regard de l'autre" dans L'Etre et le Néant) qu'Erasme et Gilles Lipovestky, Shakespeare que Paul Claudel, etc., Nancy Huston met les pieds dans le plat d'un sexisme hypocrite qui ne dit pas son nom mais qui fait des ravages, et dont les femmes se retrouvent les complices involontaires. Ce livre est admirable, il fera date. 



"Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle!" interroge la terrifiante reine des contes de fées. Mais dans la vie contemporaine, dans cette société qui se flatte d'évolution, n'y a-t-il pas toujours le "regardeur" et la "regardée", l'oeil de l'un et le reflet de l'autre. Le nouvel essai de Nancy Huston part de ce constat puis questionne: quelle est la responsabilité de la société vis-à-vis de la situation des femmes aujourd'hui? La liberté est-elle acquise une fois pour toutes? Comment concilier un discours féministe officiel et les affiches et photos publicitaires qui montrent des seins et des fesses pour vendre n'importe quoi? Pourquoi nier la différence sexuelle et ignorer volontairement qui porte l'enfant dans le couple? Comment faire face à la pornographie sur Internet, donnant l'impression que tout est à portée de clic? Nancy Huston pousse de nombreuses portes et risque d'en agacer quelques-uns en analysant les influences qui nous façonnent. "Le féminisme n'a jamais bien su quoi faire de la coquetterie féminine", affirme celle qui s'est toujours battue pour la liberté et le respect de la différence. 

Se sentir le miroir de l'autre, le "reflet dans un oeil d'homme", transforme la femme en objet dès son plus jeune âge. Nancy Huston picore des exemples dans sa propre expérience et crée des fictions qui accompagnent les âges de la vie: souvenirs de fillette cherchant à plaire, d'enfant qui joue à être belle, de jeune fille qui sait comment séduire l'autre et utiliser cette arme féminine, de femme incapable de vieillir... Mais elle pioche également chez d'autres des témoignages littéraires, historiques et anecdotiques. Ainsi, chez Anaïs Nin: "On m'appelle "coquette"?" écrit-elle à 17 ans. "Oui, eh bien voilà! une coquette suis-je... Et tant que je peux paraître jolie, je ferai semblant, je serai toujours heureuse d'avoir un nouveau chapeau, une nouvelle robe." (29 février 1920) Nancy Huston cite également le romancier et essayiste John Berger quand il expose ainsi sa pensée: "Les hommes regardent les femmes. Les femmes se regardent en train d'être regardées. Cela détermine non seulement la plupart des rapports entre hommes et femmes mais aussi le rapport des femmes à elles-mêmes. L'observateur à l'intérieur de la femme est masculin, l'observée, féminine. Ainsi la femme se transforme-t-elle en objet -et plus particulièrement en objet visuel, c'est-à-dire en image."  

La photographie devient un élément central de cette étude. Depuis la fin du XIXe siècle, elle transforme le corps féminin en gadget. L'auteur convoque dans son livre la photographe Lee Miller mais aussi des stars et des comédiennes comme Jean Seberg ou Marilyn Monroe. Comment le désir d'être aimée, regardée, prise en photo chez Norma Jean, alias Marilyn, se transforme-t-il inévitablement en addiction? Pourquoi Jean Seberg, femme engagée socialement et politiquement, ne parvient-elle jamais à être entendue: "Tout ce dans quoi Jean Seberg s'est engagée a été déformé par le fait que les hommes la désiraient avec violence", estime Nancy Huston. 

Maquillages, régimes, anorexie, exhibition, prostitution, cet ouvrage chemine d'expériences en constats et refuse la réflexion globale. La réussite du livre vient sans doute de la multiplicité d'une documentation inattendue. Le regard littéraire d'Anaïs Nin est complété par celui de Nelly Arcan. L'avis du psychologue Philippe Brenot confirme celui de John Berger. Peintres, sculpteurs, écrivains, photographes apportent leur pierre à cet édifice fragile qui met le lecteur dans une situation volontairement schizophrénique. On reconnaît d'une part l'avancée vers une égalité des sexes dans la société, mais, de l'autre, on remarque la folie des concours de miss, le développement de la chirurgie esthétique, l'escamotage de la maternité, l'horreur du vieillissement, le développement de l'industrie pornographique comme celle du cosmétique... Tout est construit mais tout est-il reconstructible? "On naît bel et bien fille ou garçon et ensuite... ça se travaille", confirme Nancy Huston. Dans ce livre touffu sans être confus, l'écrivain multiplie les pistes, nuance ses propos pour analyser les propagandes et influences qui, sournoisement ou au grand jour, fabriquent encore la femme d'aujourd'hui.  

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