(Source : Le Figaro madame)
Symbole de
fécondité, la bière a été vénérée,
fabriquée et consommée par les femmes pendant des millénaires. Aujourd’hui, elles sont une
centaine en France à avoir réouvert les brasseries artisanales. Les hommes
boivent de la bière et les femmes, des Cosmo ? Vous avez tout faux. La
« mousse » est plus une affaire de femmes que ce qu’on
imagine.
Pour preuve, ce sont elles qui
l’ont fabriquée pendant des millénaires, l’ont offerte aux déesses de la
fertilité et fécondité, l’ont dégustée quand celle-ci était la boisson
nourrissante de l’époque. Désormais, elles participent activement à la
résurrection des brasseries artisanales, dont une centaine est tenue par des
femmes. Pour clore le tout, l’unique experte en culture et histoire de la bière
en France est une femme, dénommée Elisabeh Pierre.
Cette zythologue — du grec
zythos, l’orge — a goûté près de 800 bières dans 250 brasseries et a compilé
une sélection des 500 meilleures bières dans le premier Guide Hachette des
Bières, qui paraîtra le 1er octobre. En cette journée mondiale
de la bière [NDLR 1er août], elle revient pour nous sur la
place des femmes dans l’histoire de la bière.
LeFigaro.fr/madame.
— On imagine que la bière est exclusivement l’apanage des hommes. Pourtant vous
affirmez que les femmes ont été les principales actrices de l’histoire de la
bière...
Elisabeth Pierre. — En effet, le
lien entre les femmes et la bière est très étroit. Les premiers brasseurs
étaient des brasseuses ! La fabrication de la bière a toujours été une
affaire de femme puisque ce sont elles qui fabriquaient le pain et cuisinaient
les céréales. L’apparition de la bière est liée à celle de la culture des
céréales, vers 9 000 ans avant notre ère, On imagine que le grain entreposé
devenu humide sous la pluie, une fois germé, séché au soleil, broyé est devenu
une soupe fermentée. D’ailleurs, dans le passé, on appelait la bière "le
pain liquide". Les femmes la fabriquaient dans le même espace, avec les
mêmes fours que le pain avant de la garder et laisser mûrir en cave. Partout
les femmes étaient en charge de la bière.
Bière
Divette (Brasserie Greff). Affiche de 1929
Illustrateur : Marcellin Auzole (1862-1942)
Illustrateur : Marcellin Auzole (1862-1942)
Leur
lien à la bière s’en tient-il à la fabrication ?
Pas du tout. Dans toutes les civilisations, que ce soit en Egypte, en
Mésopotamie, en Scandinavie, chez les Celtes ou les Incas, la bière était un
symbole féminin de fécondité, de moisson, la renaissance de la nature, à
l’image du grain de céréale qui se transforme en boisson. Des moissons naissent
le pain et la bière. Partout, on retrouve cette mythologie de la renaissance et
de l’immortalité, ce lien universel entre la femme qui brasse et les déesses,
qui donnent vie et abondance. La bière est même une boisson offerte par des
prêtresses en guise d’offrande.
La
consommaient-elles aussi ?
Bien sûr. Pendant des millénaires, la bière était la boisson nourrissante,
pleine de vitamines et de bienfaits, qui faisait partie de la base de
l’alimentation. Chaque culture l’aromatisait plus ou moins avec des épices, des
plantes aromatiques ou du miel. On recommandait même aux nourrices d’en boire
puisque cela favorisait la production de lait. Il y avait des bières de
nourrice vendues dans les pharmacies jusque dans les années 50 ! Elles
étaient très peu alcoolisées.
Pourquoi, à
partir du Moyen Âge, la bière s’échappe-t-elle des mains des femmes ?
Dans le milieu domestique, les femmes n’ont jamais vraiment arrêté de brasser.
Cependant, à partir du Moyen Âge, on fait du brassage un « métier »,
avec des corporations pour organiser la production. Cela devient l’affaire des
hommes, avec des ouvriers brasseurs dans les grandes villes comme Lyon,
Toulouse ou Paris, soumis à des hiérarchies et des réglementations jusqu’au
milieu du XXe siècle.
Les femmes, en revanche étaient toujours présentes pour faire le service...
Ce fut donc
la fin de l’histoire de la femme et de la bière ?
Non ! Car les femmes reviennent de plus en plus vers la bière de nos
jours, après une courte parenthèse. Il faut un peu remonter dans l’histoire.
Depuis l’apparition des corporations au XIVe siècle, les brasseries artisanales
sont en plein essor. Puis le chemin de fer et la révolution industrielle sont
arrivés et ont complètement bouleversé le métier de la bière. Les brasseries
artisanales n’ont pas pu suivre le rythme et ont disparu, celles des villes ont
été rachetées par les plus grosses.
La France fut l’un des pays à
connaître le plus fort phénomène de concentration du marché par les grands
groupes de brasseries internationales. On est passé de 4 000 brasseries à
la fin du XIXe siècle
à une quarantaine en 1970, le désert absolu. Depuis quelques années, avec la
mode du retour aux sources et du do it yourself, on observe un phénomène
totalement sidérant : les brasseries artisanales réapparaissent par
centaines. On en décompte 600 actuellement. Certains réouvrent celles de leur
grand-père qui avait dû fermer. Parmi ces créations, une bonne centaine créées
par des femmes qui ont cette passion de la bière. Elles le disent toutes :
c’est un peu comme de la cuisine... Il y a des ingrédients, des recettes, et un
tour de main !
Y a-t-il eu
un moment où les femmes ont cessé de boire de la bière ?
À partir des années 50, oui. Auparavant on consommait la bière à table, chez
soi, après être allé la chercher chez le brasseur du coin. Mais avec la
fermeture des brasseries artisanales les modes de consommation ont
changé : la bière a quitté la table pour être distribuée seulement dans
les cafés, bars et grandes surfaces. Les femmes en buvaient moins puisque dans
les années 60, elles ne sortaient généralement pas dans les cafés.
La bière se redémocratise-t-elle mieux aujourd’hui auprès du public féminin ?
Oui, car désormais, les femmes rebrassent et ont le droit d’aller au café se
prendre une pinte. Longtemps, elles ont prétendu ne pas aimer la bière car le
goût était trop amer. C’était surtout des bières standardisées mais
aujourd’hui, il n’y a plus d’excuses : grâce à la multiplication des
brasseries artisanales, la palette des saveurs de bière s’est élargie. Vous
trouvez un nombre infini de recettes avec des bières crémeuses, épicées, ou
florales... Certaines ont même le goût du chocolat. Et qui peut dire qu’il
n’aime pas le chocolat ?
Lucile Quillet
Le Figaro madame
Le Figaro madame
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