Elles étonnent par leurs capacités d’endurance, ils attirent par
leur bravoure au combat. Vertus comparées de la femme résistante et de l’homme
guerrier.
Laurence Lemoine
Il n’en démord pas. « Les femmes sont plus fortes que nous ! Il
suffit de voir tout ce qu’elles peuvent assumer : leur carrière, leur couple,
leurs enfants. » Arno, 33 ans, auditeur financier et célibataire, se dit bluffé
: « Non seulement elles sont aussi combatives que nous, mais elles assument
leurs faiblesses. Elles savent se protéger quand nous fonçons tête baissée.
Elles traversent leurs émotions quand nous nions les nôtres. Elles se
soutiennent quand nous nous effondrons seuls dans notre coin… »
Les femmes seraient-elles plus fortes que les hommes ? Difficile
de répondre sans tomber dans les généralités. Tout dépend de ce que l’on entend
par "force". En victimologie, on emploie plus volontiers le terme de
"résilience" pour désigner la capacité à surmonter une épreuve, qu’il
s’agisse de maltraitance ou d’attentats. « Il apparaît que l’âge, le sexe, le
niveau intellectuel ou la catégorie socioprofessionnelle ne sont pas des
facteurs déterminants pour comprendre la résilience, explique Carole Damiani,
psychologue à l’Institut national d’aide aux victimes et de médiation (Inavem,
N°Azur d’écoute aux victimes : 0.810.09.86.09). Qu’ils soient hommes ou femmes,
ceux qui s’en sortent le mieux sont ceux qui, d’une part, ont des assises
narcissiques solides, une bonne estime d’eux-mêmes grâce à un bon étayage
parental et, d’autre part, savent trouver des supports extérieurs (des proches
ou des professionnels). »
Ils
s’affrontent, elles se soutiennent
Il semblerait pourtant que les femmes soient avantagées
par le rôle que la culture leur attribue. Dans Face à l’extrême, le philosophe Tzvetan
Todorov s’est attaché à comprendre pourquoi elles avaient globalement mieux
survécu aux camps de concentration : « Les hommes sont probablement plus
maltraités par les gardiens, qui sont en général des hommes aussi : il y a là
les conditions d’un affrontement, donc le désir de montrer sa supériorité, de
faire une démonstration de son pouvoir ; autant d’éléments qui engendrent plus
de brutalité. »
Traditionnellement dévolues aux soins maternels, les femmes « se
montrent plus pratiques et plus susceptibles de s’entraider », poursuit-il.
L’hypothèse de l’essayiste est qu’« à travers le souci pour autrui, on a
l’impression de retrouver sa dignité », un sentiment « qui renforce notre
capacité de rester en vie ».
Les
larmes contre l’autodérision
Outre cette aptitude à aider son prochain, la victimologie
s’intéresse, pour comprendre les ressorts de la force psychique, à la capacité
de trouver l’aide adéquate. Et là encore, les femmes s’en sortent
culturellement mieux. « Dans une société où l’homme reste la figure emblématique
du pouvoir, il n’est pas de bon ton pour lui de craquer, analyse Carole
Damiani. En revanche, le fait qu’une femme appelle au secours semble normal
pour tout le monde. »
Pourtant, depuis 1995, les choses évoluent. « Lors des vagues
d’attentats, l’aide psychologique d’urgence a été très médiatisée, se félicite
la psychologue. On sait aujourd’hui que l’écoute a des vertus aussi vitales que
les premiers soins médicaux, et cela autorise les hommes à s’épancher
davantage. » S’expriment-ils de la même manière que les femmes ? « Pas tout à
fait. Alors que les femmes évacuent leur détresse dans les larmes, les hommes
sont plus retenus, voire font dans l’humour noir ou l’autodérision. » Une façon
pour eux d’évacuer leur trop-plein d’émotions tout en en conservant la
maîtrise.
Retrouver
la “nature sauvage”
Mais jouer les durs n’en fait pas pour autant des handicapés
affectifs. « La force des pompiers ou des hommes du GIGN [ndlr : Groupement
d’intervention de la gendarmerie nationale], c’est justement de ne pas se
laisser gagner par leurs émotions, précise Carole Damiani. Pour agir
efficacement, ils doivent garder la tête froide. » La force de l’intellect
contre celle de l’affect ? En quelque sorte. Mais l’une n’exclut pas l’autre et
les deux sexes sont nantis des deux. Aujourd’hui, les hommes apprennent à
exprimer leurs émotions, et les femmes, à piloter des avions de chasse.
Ils seraient presque à armes égales si les femmes ne
conservaient l’apanage de mettre les enfants au monde. Barbara tenait à
accoucher sans péridurale, comme sa mère et sa grand-mère l’avaient fait avant
elle. « Le fait d’affronter la souffrance et les émotions qu’elle suscite m’a
révélé une partie de moi-même, explique-t-elle. J’ai éprouvé la puissance de
mon corps et de mon esprit en puisant au plus profond de mes ressources
instinctuelles. »
Clarissa Pinkola Estès, psychothérapeute américaine, a consacré
un ouvrage aux vertus de cette force instinctuelle qu’elle nomme aussi
"nature sauvage". « Le mot sauvage n’est pas utilisé ici dans son
sens moderne et péjoratif, d’“échapper à tout contrôle”, mais dans son sens
originel de “vivre une vie naturelle” », en accord avec ses rythmes biologiques
et ses aspirations profondes, écrit-elle dans “Femmes qui courent avec les
loups”. La thérapeute appelle encore "créature" cette source de
créativité que la culture tend à museler, mais à laquelle les femmes, au détour
d’expériences fondatrices comme la maternité, peuvent avoir de nouveau accès.
Arno déplore que « notre société réprouve les instincts masculins,
synonymes de barbarie, quand elle valorise ceux de la femme. Nous sommes
gouvernés par la testostérone, mais il est plus politiquement correct d’assumer
notre part féminine ». Au risque d’y perdre le nord.
Le
sexe “fort” en mal de (re)pères
Nombreux sont les hommes qui s’avouent en mal de repères. « J’ai
passé les trente premières années de ma vie à être réaction contre les hommes
qui m’entouraient, confie Cédric, 40 ans, artiste peintre, vivant en couple.
Trop autoritaires, pas assez sensibles, je n’étais pas comme eux ». Christian,
38 ans, musicien, marié et père d’un enfant, lui, a souffert de l’absence de
son père : « Quand mon fils est né, je ne savais pas quelles valeurs masculines
lui transmettre. »
Robert Bly, psychothérapeute jungien, se dit frappé par la
détresse des hommes aujourd’hui. Réjoui qu’ils soient devenus plus prévenants
et plus tendres, il lui semble pourtant que ces "mâles doux" manquent
de vitalité. « Développer leur part féminine a constitué une aventure infiniment
précieuse, mais les étapes d’un voyage ne doivent pas être confondues avec son
aboutissement », écrit-il dans L’Homme sauvage et l’enfant. Ce qui leur fait
actuellement défaut, estime le psychothérapeute, ce sont des modèles
d’identification masculine positifs. Quand, autrefois, les fils grandissaient
auprès de leurs pères, apprenant d’eux un savoir-faire et des comportements
virils, les hommes d’aujourd’hui ont eu, pour la plupart, un père absent,
séparé de leur mère ou trop absorbé par son travail pour assumer sa fonction
initiatrice.
Si Robert Bly a obtenu un tel succès de librairie, c’est qu’il a
réhabilité la figure du guerrier. Non pas sous les traits de la brute
sanguinaire, mais comme métaphore de la force masculine traditionnelle. « En
Occident, la répartition des rôles entre hommes et femmes n’est plus aussi
claire que dans les sociétés primitives, souligne Christian. Il ne s’agit pas
de renvoyer les femmes aux fourneaux pour résoudre notre malaise, mais de
redécouvrir notre spécificité. »
Une
réhabilitation de la figure du guerrier
Christian a mené cette quête en fréquentant, avec Cédric,
l’association Hommes etc.(Renseignements sur http.//hetc.free.fr. ), dont le
travail s’inspire de la pensée de Bly.
Le principe : un groupe d’hommes se substitue aux pères manquants pour
transmettre à leurs congénères les clés de leur identité. Ce qu’ils ont apporté
à nos deux témoins ? « Le sens de la rigueur, par opposition à la rigidité,
explique Cédric. Avant, je n’avais pas accès à mes émotions, j’étais barricadé.
Maintenant, je peux affirmer ce que je suis et ce que je ne suis pas, ce que
j’accepte et ce que je refuse. J’ai appris à prendre position ».
En ce sens, la figure du guerrier restaure la combativité
masculine, dans un juste équilibre entre domination et fuite. Et Christian « a
compris que la puissance masculine ne consistait ni à posséder les femmes, ni à
livrer des combats de coq, mais à défendre les limites de son territoire
personnel et familial. Aujourd’hui, quand mon fils pleure, je ne lui dis pas
que les hommes ne pleurent pas. Je l’aide à s’affirmer en respectant les
autres. »
Testostérone
: une hormone de soutien
Les hommes qui souffrent d’une déficience de testostérone le
savent bien : cette hormone ne se borne pas à nourrir leur puissance
musculaire, leur pilosité ou leur libido. C’est elle aussi qui conforte leur
"sentiment d’être fort". Il ne faut pas en conclure pour autant que
la testostérone est l’hormone de l’agressivité. Lorsqu’elle est présente chez
les femmes à un niveau plus élevé que la moyenne, elle ne les rend pas plus
dominatrices. Et lorsqu’elle se fait plus rare chez l’homme âgé, il n’en perd
pas pour cela son autorité. Si les pics d’hormones ont un effet comportemental,
ils ne font que soutenir une force dont l’origine reste psychologique.
Ces
femmes qui se dépassent
Catherine Reverzy, psychiatre et auteur de Femmes d’aventure (Odile Jacob,
2001), définit la force au féminin.
Psy : D’où les femmes tirent-elles leur courage ?
Catherine Reverzy : La racine étymologique du mot courage, c’est "cœur". Qu’il s’agisse de la photographe de guerre Alexandra Boulat, de l’alpiniste Christine Janin ou de l’océanographe Anita Conti, ces femmes ont su dépasser leurs limites en n’écoutant que leur cœur. Elles ont une conscience aiguë de leurs aspirations et de leurs émotions.
Catherine Reverzy : La racine étymologique du mot courage, c’est "cœur". Qu’il s’agisse de la photographe de guerre Alexandra Boulat, de l’alpiniste Christine Janin ou de l’océanographe Anita Conti, ces femmes ont su dépasser leurs limites en n’écoutant que leur cœur. Elles ont une conscience aiguë de leurs aspirations et de leurs émotions.
Et deux fois plus de détermination que les hommes ?
Certaines, oui. Mais ce n’est pas une qualité plus féminine que masculine. Simplement, elles ont dû s’imposer hors des sentiers battus, au-delà de ce que la société attend de leur sexe. Soutenues par leurs parents, elles n’ont pas eu à réfréner leur nature pour se conformer à une image. Que l’on soit homme ou femme, c’est en restant relié à ses rêves d’enfants que l’on trouve le courage de dépasser la peur de vivre.
Certaines, oui. Mais ce n’est pas une qualité plus féminine que masculine. Simplement, elles ont dû s’imposer hors des sentiers battus, au-delà de ce que la société attend de leur sexe. Soutenues par leurs parents, elles n’ont pas eu à réfréner leur nature pour se conformer à une image. Que l’on soit homme ou femme, c’est en restant relié à ses rêves d’enfants que l’on trouve le courage de dépasser la peur de vivre.
A lire
Femmes qui courent avec les loupsde Clarissa Pinkola Estès
Ce livre met en évidence l’archétype de la "femme sauvage", source de
la créativité féminine (LGF, 2001).
Femme ! de Natalie Angier
Pour tout savoir sur leurs humeurs, physiques et morales (Robert Laffont,
2000).
Face à l’extrême de Tzvetan Todorov
Un essai sur l’héroïsme et la moralité, nourri de nombreux témoignages de
rescapés des camps de concentration (Le Seuil, 1991).
L’Homme sauvage et l’enfant de Robert Bly
A partir d’un conte de Grimm, l’auteur exhume la figure du guerrier symbole de
la force masculine (Le Seuil, 1992).
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