Si je suis masculin, je ne peux
pas être féminin ; pis encore, je ne peux que me poser en m'opposant,
m'inscrire contre le féminin qui me menace. Est-il possible de se vivre dans
une bipolarité, d'être une chose et son contraire, de circuler d'un pôle à
l'autre, de vivre dans la tension des deux pôles, dans la richesse de
l'ambivalence ?
Le seul péché, n'est-ce pas
justement de s'identifier à un seul pôle au détriment de l'autre, de se limiter
à un seul type de réalité ?
Dans la morale, la pensée
dualiste prend bien soin de nous faire distinguer entre le bien et le mal, de
nous culpabiliser sur le mal et de nous valoriser sur le bien. Nous aurons
tendance à endosser facilement les vêtements du bien et à refuser les vêtements
du mal. Ce que je suis sera le bien, le mal je le réserverai pour l'autre. Je
lui taillerai éventuellement un costume sur mesure pour endosser tout ce que je
ne suis pas prêt à accepter pour mon propre compte. Autrement dit, si je me
retrouve dans la situation de quelqu'un qui ne reconnaît chez lui ni la
gourmandise, ni l'envie, ni la malhonnêteté, etc., je vais trouver quelqu'un
d'autre en face de moi qui va assumer tout cela.
Un compagnon peut être le support
idéal de ces projections-déjections. Je suis le bien, l'autre est le mal. Le
masculin (ou le féminin) est le bien, le féminin (ou le masculin) est le mal.
C'est ce qui s'est passé pendant quatre mille ans de patriarcat et de
justification théologique des grandes religions monothéistes.
L'extraordinaire simplicité du
processus ne permet pas pour autant la lucidité. Les hommes et les femmes se
sont enfermés dans ces croyances dualistes qui répondaient à un réflexe de peur
et de survie, d'affirmation et de conquête.
Pouvons-nous passer au -delà du
bien et du mal selon la formule Nietzchéenne) au-delà de cette opposition ?
Qu'y a-t-il de nouveau à inventer ?
Ce qui fait mourir l'amour, ce
qui rend l'intimité insupportable pour certains, c'est cette pression
moralisante qui s'exerce de l'un sur l'autre, ce contrôle et cette aliénation
de conscience. Pouvons-nous imaginer une autre manière de vivre en couple qui
ne comporte pas d'ingérence sur l'autre ? Respecter l'autre véritablement comme
une personne à la fois même et différente sur laquelle je n'ai pas de droits.
Que devient l'engagement du couple dans cette perspective ?
Peut-on être à la fois solidaire
et solitaire, amant et ami, fiancé et marié, allié et libre, dépendant et
indépendant ? Nous sommes apparemment là dans des exigences contradictoires
mais notre pari d'humanité semble bien être d'entrer dans la réconciliation des
contraires, dans le dépassement des oppositions, dans l'instauration de la paix
au sein de l'acceptation de la tension.
Dans quelle mesure le fait pour
chacun d'entrer dans l'acceptation de la tension ambivalente entre deux pôles,
sans s'identifier à aucun, correspond-il à la fin de l'intolérance et du
conflit ? Apposer deux choses, comme dit Jacques Salomé, les mettre l'une à
coté de l'autre au lieu de les opposer. C'est d'une véritable révolution de
l'esprit qu'il s'agit, d'un revirement de la conscience d'une sortie de
l'emprise du péché et de la culpabilité.
Pourquoi les couples se
séparent-ils de plus en plus et de plus en plus vite ?
L'individualité devient une
valeur à part entière. Personne ne supporte plus de se voir raccourci et
rétréci au nom de' la famille et du mariage. L'aliénation d'une personne à une
autre est devenue intolérable, irrespirable. " Tu me pompes l'air. " Cette expression familière montre bien
le besoin d'espace dans toute association.
L'air du temps véhicule cette
exigence et la popularise, alors qu'elle était d'abord réservée aux artistes :
Aller jusqu'au bout de soi-même quel qu'en soit le prix. Cette exigence est
d'ordre spirituel, même si elle n'est pas comprise comme telle.
En effet il s'agit plus ou moins
souterrainement de ne pas abandonner en route le désir sexuel et de ne pas se
couper de la possibilité de rencontrer l'exaltation et peut-être l'élévation de
l'amour. Car le sexe est la porte de l'amour, l'amour est la porte de la réalisation
intérieure. Sexe, amour, lumière. Même ceux qui n'ont jamais réfléchi à cette
flèche de développement la poursuivent opiniâtrement, mettant en scène
rencontres, fusions, séparations. Est-il possible de s'engager dans un couple
et de ne pas perdre le feu du désir ? Certains avancent la date de quatre ans
comme fatidique à l'attraction sensuelle des corps, d'autres donnent sept ans;
quoi qu'il en soit, la mort du désir sanctionnerait toute relation engagée dans
le temps et l'espace d'une cohabitation.
N'y a-t-il pas des couples qui
peuvent témoigner du contraire ? Et dans ce cas, quelle est leur recette ? Le
jardin du couple demande-t-il à être fertilisé pour produire des fleurs en
toute saison?
L'auteur , Paule SALOMON a découvert que le couple, en nous, et hors
de nous, s'accomplissait en sept étapes s'emboîtant les unes dans les autres.
Ces sept couples, du plus archaïque que nous rejouons tous au plus évolué, vivant
l'amour en conscience, en passant par le plus conflictuel, révèlent étape par
étape un autre visage de l'amour.
La véritable aventure du couple commence quand le
conflit a été dépassé, qu'un réel échange s'est établi, donnant à chacun
liberté et autonomie. A l'aide de cas concrets, Paule Salomon montre les
écueils, les frustrations, les rapports de force, souvent issus du milieu
familial, qui peuvent être dépassés par une analyse de soi, une écoute
attentive de ses désirs et de ses paradoxes.
Se donner du pouvoir l'un à l'autre, être solidaires
et solitaires, amis et amants, savoir être libres et engagés: c'est un nouvel
art d'aimer que propose l'auteur, en même temps qu'un outil de connaissance et
d'exploration de la relation à soi et à l'autre.
Connaître le processus de l'amour, prendre conscience
de cet itinéraire, c'est avancer une lampe à la main dans les ténèbres
inconscientes du paradoxe amour/haine en ayant l'intuition que l'amour se
rencontre et se dévoile au bout de ce voyage en spirale. Le couple est ainsi,
comme l'amour, une "sainte folie" rendue possible.
Extrait de Paule Salomon: La sainte folie du couple, Paris. Albin
Michel, 1994. -
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