Quelles
furent, jadis et naguère, les professions les plus enviées par les
jeunes Françaises ? Quelles sont-elles aujourd’hui ?
s’interroge en 1930 un journaliste du Petit Parisien, qui exhume
une enquête réalisée à la fin du XIXe siècle et destinée à
cerner les aspirations des élèves de l’époque.
Le travail industriel de
la femme, son accession aux professions commerciales ou libérales uniquement
exercées autrefois par les hommes, sont le résultat d’une évolution toute
moderne, et qui s’est produite surtout depuis la Première Guerre mondiale dans
les mœurs et les conditions de la vie sociale, écrit Jean Lecoq dans Le Petit
Parisien.
Sans doute, les femmes
ont travaillé de tout temps ; mais leur activité se bornait à la pratique
de quelques métiers essentiellement féminins, et qui leur étaient, d’ailleurs,
strictement réservés. On vous dira qu’au Moyen Age les femmes étaient admises
dans certaines corporations qui, plus tard, ne furent ouvertes qu’aux
hommes ; qu’il y avait par exemple à Paris, au XIIIe siècle,
plusieurs « mirgesses » — femmes médecins — et quelques
apothicairesses. C’étaient là de pures exceptions. La grande majorité des
femmes, en ce temps-là, ne songeaient guère à envahir les métiers masculins.
Si, au XVIIIe siècle,
le féminisme commença à marquer quelques instincts de conquête, ses ambitions
furent, par la Révolution d’abord, par Napoléon ensuite, sévèrement réprimées.
Les « Grands Ancêtres » n’étaient rien moins que féministes :
chaque fois que les femmes voulaient se mêler de politique, ils les renvoyaient
à leurs foyers. Quant à l’empereur, on connaît son mot à Mme de
Staël : « La femme la plus remarquable, c’est celle qui a le plus
d’enfants. »
Bref, c’est seulement
dans le dernier quart du XIXe siècle que, timidement, les
femmes commencèrent à regarder un peu pus loin que le foyer familial, et les
jeunes filles à rêver de quelque profession autre que celles qui, de temps
immémorial, étaient réservées au sexe faible.
Les
métiers féminins d’hier
Quelles étaient ces professions ? La plus ancienne codification qui existe
des statuts industriels, le Livre des Métiers, d’Etienne Boileau, nous apprend
qu’au temps de saint Louis les métiers dont la matière première est la soie ou
le fil d’or étaient réservés aux femmes. Seuls les femmes pouvaient être
« fileresses à grands et à petits fuseaux et tisserandes de soie. »
Au XVe siècle,
le plus important des métiers réservés aux femmes est celui de lingère. Paris
compte un nombre considérable de travailleuses de l’aiguille, mais c’est là, à
peu près, le seul apanage féminin en matière industrielle. Dans la plupart des
métiers mixtes, des métiers qui peuvent être exercés par les deux sexes, la
femme est toujours subordonnée à l’homme : elle n’a point le droit d’y
acquérir le titre de « maîtresse » et doit se contenter toute sa vie
de celui de « compagnonne.
Il en fut ainsi jusqu’à la
suppression des jurandes et des corporations. Mais bien des femmes n’avaient
pas attendu cette suppression pour devenir patronnes ; et au XVIIIe siècle,
à Paris, la plupart des maisons les plus estimées dans les industries de la
mode étaient dirigées par des femmes. Néanmoins, bien des années encore
devaient se passer avant que les femmes songeassent à s’évader des métiers
féminins.
Vers 1880, l’autorité
scolaire fit, à Paris, une enquête caractéristique à ce sujet. Les
institutrices des écoles primaires de la Ville demandèrent à leurs élèves
d’indiquer les professions qu’elles avaient l’intention de prendre, et de
donner les motifs de leur préférence. Les réponses furent consignées dans un
rapport de M. Gérard, alors directeur de l’Enseignement primaire de la
Seine.
Or, savez-vous quelle est
la profession qui vient en tête de cette enquête, et avec une avance
considérable sur les autres métiers féminins ? Eh bien ! C’est la
profession de couturière. Près de quarante pour cent des jeunes filles
interrogées répondirent que c’était là leur idéal. Et elles donnèrent à leur
choix toutes sortes de bonnes raisons : « Il est toujours très utile,
pour une femme, de bien savoir la couture », dit l’une ; « Une
femme qui ne sait pas coudre n’est bonne à rien », dit une autre. Celle-ci
déclare modestement : » Je ne puis parvenir à mieux » ;
« C’est mon goût, dit cette autre, et maman me répète souvent qu’on ferait
de moi une bonne travailleuse ».
En voici une qui estime
que cet état n’est point incompatible avec l’instruction : « J’ai mon
brevet de capacité, mais cela n’empêche pas ». Quelques-unes ont donné des
motifs plus futiles : « On est toujours sûre d’être habillée à son
goût » ; « On n’est jamais si bien habillée que par
soi-même » ; « On ne se fatigue pas beaucoup, on reste
assise » ; « J’aime mieux faire aller mes doigts que mes
jambes ». Enfin, voici la réponse d’une jeune personne pratique :
« La façon, aujourd’hui, coûte plus cher que l’étoffe : c’est un bon
métier ».
Après l’état de
couturière, la profession la plus fréquemment indiquée était celle
d’institutrice. Peut-être un certain nombre des fillettes qui s’étaient
prononcées en faveur de cette profession voulaient-elles ainsi rendre hommage à
leur maîtresse d’école ; il n’en est pas moins vrai que plus d’une réponse
témoignait d’une vocation sincère :
« Profession
difficile, mais si noble et si belle. — C’est la profession la plus noble. —
j’aime beaucoup les enfants. — Je serai utile à mes semblables. — Je serais
heureuse de me dévouer. — Je trouve que c’est une grande gloire d’instruire le
peuple. — On doit être heureux d’instruire les autres. — Rien ne m’intéressera
plus que de voir l’intelligence des enfants se développer peu à peu ».
Puis venait l’état de
fleuriste : « Quoi de plus agréable que de pouvoir représenter ces
belles fleurs que l’on voit dans les jardins. — J’ai toujours mieux aimé les
bouquets que les poupées » ; et celui de modiste : « C’est
un métier doux » ; celui de plumassière : « C’est un métier
délicat » ; celui de repasseuse : « C’est un métier propre
et coquet : on travaille toujours dans le linge blanc ».
Quelques jeunes filles
souhaitaient devenir caissières, parce qu’elles avaient beaucoup de goût pour
les chiffres. D’autres rêvaient d’être dessinatrices : « N’ayant que
six ans, disait l’une d’elles, j’allais tous les dimanches au Louvre,
j’admirais les tableaux peints par les grands hommes, et je me disais :
« Quand je serai grande, je tâcherai d’imiter tout ce que je vois ».
Quatre voulaient être
religieuses ; deux sœurs de charité. Un certain nombre de réponses se
répartissaient entre les professions les plus variées : boulangère
« parce qu’on aura toujours besoin de boulangers » ;
brodeuse : « Avec ce métier-là, on est toujours propre » ;
cartonnière, coloriste, compositrice d’imprimerie, confectionneuse, coupeuse,
corsetière, dentellière, éventailliste, giletière, graveuse sur or, maîtresse
de piano, passementière, peintre sur porcelaine, polisseuse, relieuse, etc.
Deux de ces jeunes
personnes exprimaient le désir d’être sages-femmes. Et une seule — oui, une
seule, sur sept mille fillettes interrogées — poussait ses espérances jusqu’à
vouloir devenir « auteur ». Mais cette demoiselle s’écriait tout
aussitôt : « Je sens bien que je suis trop ambitieuse ».
Ce
qu’elles souhaitent aujourd’hui
Voilà donc à quoi rêvaient les jeunes fillettes à la fin du XIXe siècle.
Imaginez pareille enquête faite aujourd’hui, s’exclame Jean Lecoq en 1930. Quel
renversement des vocations !... La profession de couturière qui, jadis,
tenait la corde, serait rejetée bien loin derrière les autres ; il en
serait de même de tous les métiers manuels exercés uniquement par les femmes
autrefois. Et il est fort probable que ce ne serait plus une seule fillette,
mais quelques centaines pour le moins, qui caresseraient l’espoir de devenir
« auteur » et n’estimeraient pas de leur part cette ambition
excessive.
J’imagine que plus d’une
penserait plus volontiers à être star de cinéma que giletière
ou dentellière, poursuit notre journaliste ; et je crois bien que la
profession qui, de très loin, distancerait toutes les autres serait celle de
dactylo... Que les temps sont changés ! Avant guerre — nous sommes en 1930
— il fallait, dans tous les métiers féminins, payer son apprentissage :
les gains de l’ouvrière étaient minimes, et l’on faisait des journées de dix
heures, sans compter les veillées.
L’application des lois
sur la protection de l’ouvrière a mis ordre à cela. La journée de huit heures,
la semaine anglaise, la suppression des veillées ont modifié heureusement les
conditions de travail. Non seulement l’ « arpète » ne paie plus pour
apprendre, mais c’est elle qui est payée tout de suite... Et cependant, le
recrutement est de plus en plus difficile... Ecoutez plutôt les plaintes des
Chambres syndicales de la Couture et de la Mode...
L’aiguille est délaissée,
observe Lecoq ; c’est la machine à écrire qui triomphe partout. Le préjugé
de la supériorité des professions dites libérales, auquel les hommes ont à peu
près renoncé depuis la guerre, semble avoir trouvé un refuge dans l’élément
féminin. La modiste, la couturière, si expérimentées qu’elles soient, demeurent
des ouvrières ; la dactylo est une manière de petite bourgeoise qui
s’imagine, si ses parents furent de modestes travailleurs manuels, qu’elle a
monté quelques degrés dans la hiérarchie sociale.
Ainsi va le monde...
conclut notre journaliste. Et l’on demeure confondu de voir avec quelle rapidité
ont évolué les idées sur lesquelles la jeunesse échafaudait naguère ses rêves
d’avenir et ses aspirations.
(D’après
« Le Petit Journal illustré », paru en 1930)
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