Le serpent
Le serpent est peut-être, en mythologie, la plus forte de toutes les images
illustrant le renouveau et la transformation. Il est le gardien de la sagesse
des enfers et de la prophétie. Sa faculté est de changer régulièrement de peau
et de la reconstituer en se reflétant chaque mois dans la répétition de la
nouvelle lune ainsi que dans le cycle menstruel féminin. A l'instar de la lune,
il était considéré comme un symbole de lumière et d'obscurité, car il évoluait
à la fois à la surface du sol et sous terre, dans des terriers et des galeries
souterraines.
Il
symbolisait les énergies de la nouvelle lune, l'énergie dynamique qui émergeait
de la conscience intérieure - ou des enfers - et qui révélait les facultés de
prophétie, la sagesse, l'inspiration et la fécondité. De plus, ses mouvements
sinueux et ondoyants soulignaient sa ressemblance avec l'eau, et c'est ainsi
qu'il devint le symbole des eaux célestes s'exprimant par la pluie
fertilisante, les eaux terrestres dispensatrices de vie et celles de l'enfer se
présentant comme la matrice qui apportait reconnaissance et vie nouvelle.
Certaines
mythologies voyaient en lui la source créatrice qui donnait naissance à
l'univers. Ainsi était-il considéré comme l'énergie dynamique de la divinité
représentant simultanément la terre-matrice et l'énergie faisant croître les
plantes. Maintes divinités étaient associées aux reptiles, ce qui peut
signifier que dans certains cas, elles symbolisaient initialement le cycle
lunaire intégral et pas l'unique phase à laquelle elles seront rattachées
ultérieurement. Hel, la divinité teutonne des enfers et des morts, était la
sœur d'Ouroboros, le serpent de la création qui entourait les océans de la
planète. Inanna comme Ishtar étaient accompagnées de serpents souvent
entrelacés autour d'un bâton et portaient les noms respectifs de Reine des Eaux
Supérieures et Inférieures. On a découvert dans le sanctuaire de Knossos en
Crète, des statues de divinités ou de prêtresses accompagnées de reptiles
enroulés autour de leurs corps et d'autres tenus dans la main. Hécate, déesse
grecque de la nouvelle lune, était représentée avec des serpents dans les
cheveux et Déméter, déesse du blé, était accompagnée d'un reptile.
Cependant,
les divinités protectrices de l'enseignement, des oracles, de la guérison et de
l'inspiration étaient associées de manière spécifique aux serpents. On appelait
« pythie » la prêtresse d'Artémis, c'est-à-dire serpent, et son autel était un
lieu de guérison et de prophétie.
Le bouclier d'Athéna ainsi que l'égide, pièce
vestimentaire bordée de serpents qu'elle portait sur les épaules, étaient tous deux
décorés de peintures représentant la tête de Gorgone à chevelure de reptiles.
Dans le légendaire celte, un lien spécifique existait entre la déesse Brigitt
et les reptiles ; par ailleurs, la déesse égyptienne Heh, parée d'une chevelure
de serpents, était qualifiée de « Révélatrice de la Sagesse ».
On rencontre
aussi, dans la mythologie et le légendaire, des reptiles qui gardent l'arbre de
vie. L'arbre, image de la divinité, réalisait l'union entre la terre, le ciel
et l'enfer, par lesquels les énergies vitales s'écoulaient dans le symbole du
reptile. Le serpent représentait la sève qui monte et descend, l'aspect vivant,
mortel et régénérateur de l'éternelle source vitale. Les images peuplant le
récit d'Adam et Eve et représentant le féminin divin ressemblent à celles qu'on
rencontre en Mésopotamie, en Egypte et dans d'autres cultures. L'arbre de vie,
dont la chute et la renaissance rythmiques des feuilles chaque année
répondaient aux rythmes du serpent, de la lune et de la femme, était l'image
d'une mort à laquelle succédait la renaissance. Dans le récit d'Adam et Eve, on
trouve deux arbres, celui de la vie et celui de la connaissance, qui traduisent
la distinction entre le concept d'une conscience individuelle du cycle de la
vie et de la renaissance et le concept de cycle naturel. Eve se rallie
toutefois à ces concepts en cueillant le fruit : en le saisissant, elle assume
le caractère cyclique de la menstruation ; elle s'intègre aux rythmes de la
nature et de l'univers, tout en devenant consciente à un niveau personnel de
l'interrelation de ces rythmes avec le cycle de la vie.
Ce présent,
qui devait être interprété comme permettant d'accéder à la connaissance de la
vie, de la mort et de la renaissance par le truchement du cycle féminin, fut au
lieu de cela et en dernier ressort, perçu comme le symbole d'une trahison
imputable au genre humain apportant au monde la mort et le mal. La menstruation
d'Eve et son expulsion ultérieure de l'Eden fut la cause originelle de la mort
destructrice, une mort considérée comme une fin et non comme s'intégrant à un
cycle perpétuel. Ce présent fut à nouveau défiguré par la suite, de telle sorte
que la sexualité et la fécondité résultant du cycle féminin furent également
considérées comme coupables et qu'en étant issu de la matrice, toute vie
humaine héritait du mal résidant en celle-ci, c'est-à-dire le « péché originel
». Le présent de la féminité devint alors sa « malédiction ». Bien que la Bible
ne mentionne pas le fait, beaucoup de traditions soutiennent qu'Eve serait la seconde
femme d'Adam.
La première étant lilith, créée comme l'égale de son
compagnon et qui aurait fui l'Eden lors du rejet de sa sexualité. Mais
contrairement à Eve, elle aurait déjà possédé toutes les facultés féminines.
Elle incarnerait donc finalement l'ange exterminateur, la tentatrice et la
mort, c'est-à-dire tous les aspects de la nouvelle lune que craignait la
société patriarcale et refusée à la « bonne » et innocente image originelle
d'Eve. Une légende post-biblique faisait de lilith une tentatrice déployant une
agressivité sexuelle qui la hissait au rang de Satan féminin, régnant sur les
instincts primitifs et les plaisirs charnels. L’iconographie médiévale la
représentait sous la forme d'un reptile enroulé autour de l'arbre de vie, et
souvent avec le même visage qu'Eve. C'est en « séduisant » cette dernière que
lilith lui déclencha son propre cycle menstruel, lui révélant en même temps la
connaissance de la lumière et de l'occulte, la rendant ainsi, aux yeux des
hommes, aussi « mauvaise » qu'elle-même.
Après avoir
mordu dans la pomme, Eve la tendit à Adam et, ce faisant, elle lui offrait, par
l'entremise de ce fruit, conscience et connaissance de l'arbre de vie. D'autres
contes et légendes rapportent qu'il est dit aux hommes qu'ils ne doivent pas cueillir
le fruit de l'arbre de vie, car pour eux il est empoisonné. Dans un conte de
fées écossais médiéval, cet avertissement était adressé au mortel qu'était
Thomas le Rimeur par la Reine de Féerie qui l'avait enlevé pour l'entraîner
dans l'autre monde. Etant donné que le fruit de la menstruation renferme la
connaissance inhérente au caractère rythmique féminin, les hommes ne peuvent
pas le cueillir ; mais les présents dont elle est porteuse peuvent leur être
offerts par les femmes qui ont elles-mêmes cueilli le fruit. Cet important et
puissant symbolisme présent dans l'histoire d'Adam et Eve a été remplacé par
l'image désobligeante de femmes plus faibles que les hommes et causes de leur
tentation de s'éloigner du divin au lieu de s'en rapprocher.
Dans certaines
cultures, on pensait que le premier rapport sexuel d'une fille avait lieu avec
le serpent, et qu'il était à l'origine de la menstruation, alors que dans
d'autres, c'était la morsure du reptile qui provoquait le premier saignement.
L’Eve présentée dans L'Eveil et l'Eve du jardin d'Eden se sont éveillées à leur
féminité grâce à l'intervention du serpent. La connaissance de la vie offerte
par le fruit et héritage de la féminité, ne peut être accueillie qu'en
acceptant également les énergies sexuelles et créatrices rythmiques du reptile.
EXTRAIT DE LA FEMME LUNAIRE de
Miranda Gray -Editions Jouvence
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