Les paysans ou vilains, se récréaient souvent, et l’un de leurs principaux
divertissements était la danse ; cependant les prédicateurs ne cessaient
de tonner contre cet amusement en reprochant à ceux qui s’y livraient de pécher
contre les sept sacrements. Telle qu’elle était alors pratiquée, la danse
constituait un divertissement qui nous paraît aujourd’hui bien innocent,
puisqu’elle consistait en de simples rondes formées par une chaîne d’hommes et
de femmes qui se donnaient la main ; en outre, ce divertissement, comme
tous ceux de nos aïeux, avait lieu dans la journée.
Ce n’était point la danse en elle-même que poursuivit le clergé, ce sont les
chants dont elle était accompagnée qu’il qualifiait de dangereux. En effet,
dans le refrain de ces chants, on enseignait notamment que la femme mariée ne
devait point renoncer à se faire un ami :
Je doing bien
congié d’amer
Dame mau mariée.
Un coryphée était chargé d’entonner les couplets. « Les prédicateurs,
dit M. Lecoy de la Marche, comparent sans ménagement la danseuse chargée
de ce rôle à la génisse qui marche en tête du troupeau, faisant sonner sa
clochette ; le maître du bétail, c’est le diable, qui s’esbanoie quand il
entend retentir le signal ».
Jacques de Vitry, rapporte l’auteur que nous venons de citer, déclare aux
jeunes filles qu’en « travaillant un jour férié elles ne violent au moins
qu’un seul commandement. Le contact des mains, les pressions de pieds, les
colloques secrets les exposent à faillir, au milieu d’assemblées si favorables
aux rendez-vous galants.
Il peut s’y commettre aussi des sacrilèges, car les danses ont lieu souvent
à la porte de l’église, quelquefois dans son enceinte même ou dans le cimetière
qui l’entoure ».
Selon ces mêmes prédicateurs, la discorde régnait presque
toujours dans les ménages des vilains. Ce n’était à chaque instant que disputes
et querelles, qui se terminaient souvent par des scènes de pugilat. Sans cesse,
la femme émettait une opinion contraire à celle qu’exprimait le mari. Aussi les
trouvères et les prédicateurs ne manquaient point de raconter les anecdotes
plaisantes qu’ils avaient recueillies sur les unions mal assorties. Nous
rapporterons quelques-unes de ces anecdotes les plus répandues.
Un ménage avait invité un certain nombre de parents et d’amis à un repas. Vu
la bonne saison, la table du festin fut placée dans le jardin. Plus le mari
pressait sa femme de s’approcher de la table, plus elle s’en éloignait ;
elle recula tant qu’elle tomba à la renverse dans une rivière.
Un mari et sa femme cheminant ensemble aperçurent un lièvre. « Quel
beau lièvre ! », s’écria l’homme. « Je m’en régalerais bien s’il
était frit avec du saindoux et des oignons.
Il serait bien meilleur avec du poivre », dit la femme.
Non pas.
Mais si.
Mais non. Bref, à force de disputer sur la manière d’accommoder un lièvre qu’ils n’avaient pas, ils en arrivèrent aux coups.
Sur la ruse et la méchanceté des femmes, on racontait que le diable avait
essayé en vain durant trente années de brouiller deux époux tendrement unis, et
qu’une vieille blanchisseuse en était venue à bout en très peu de temps. On
racontait aussi que, pendant une tempête, les matelots avaient décidé de jeter
à la mer tout ce qui surchargeait le bateau. « Commencez par ma femme, dit
un mari ; elle est d’un poids insupportable ».
Les sermonnaires rappelaient souvent une anecdote que Marie de France a mise
en vers sous le titre La
Contralieuse. Le mari prétendait qu’un pré était fauché ; la femme
disait qu’il était tondu et n’en voulut point démordre ; sa langue
arrachée, elle imita avec ses doigts le mouvement des ciseaux.
D’après un autre fabliau, un mari, appelé pouilleux par sa femme, la descendit dans un
puits à l’aide d’une corde qu’il lui avait passée sous les aisselles ; il
l’enfonça graduellement dans l’eau, mais elle n’en continuait pas moins de
l’appeler pouilleux ;
lorsqu’elle eut de l’eau jusqu’au front, elle éleva les mains au-dessus de sa
tête et fit avec ses deux pouces le geste de quelqu’un qui écrase des poux.
La femme était alors l’objet de deux théories diamétralement
opposées. Tandis que la chevalerie professait un culte idéal pour la fille
d’Eve, le clergé régulier la faisait responsable de tous les maux qui
frappaient l’humanité.
Cependant, il faut reléguer au rang des légendes les plus absurdes une
histoire qui a cours depuis longtemps sur la prétendue question posée dans un
concile de savoir si la femme a une âme. L’Église n’a jamais agité cette
question. Ce conte est dû à un incident qui se produisit lors du second concile
de Mâcon en 585. Par suite d’une interruption provoquée par un membre de
l’assemblée, celle-ci fut appelée à donner incidemment son avis sur un passage
de l’Écriture ; les évêques présents eurent à décider si, en parlant de
l’homme en général, les textes sacrés entendaient également parler de la femme.
Un théologien du XIIIe siècle écrit qu’ « une preuve que la femme doit
être la compagne et l’égale, presque en tout, de son mari, et non pas sa
maîtresse ou sa servante, c’est qu’il est écrit que le Seigneur a formé Eve de
la côte d’Adam et non de sa tête ou de son pied. Une preuve aussi que l’homme
est le chef de la femme, c’est qu’il a été, en quelque sorte, le principe de
son être, et que la femme a été faite de l’homme, et non l’homme de la
femme ».
Un autre théologien du même siècle s’était aussi occupé de cette question.
La femme, dit-il dans son explication mystique, eût été considérée comme la
maîtresse de l’homme si elle avait été formée de sa tête, et Dieu ne la lui
donna point comme servante, puisqu’il ne la tira pas du pied d’Adam.
L’opinion commune au moyen âge était que la femme fut formée d’une côte
détachée près du cœur pour que l’homme l’aimât plus tendrement.
(D’après
Revue des études historiques paru en 1890)
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