Nombre total de pages vues

vendredi 28 novembre 2014

L’art de devenir sorcière


L’enfance nous rend beaucoup plus lucide sur nos peurs et nos aspirations que ce que l’âge adulte ne fera jamais. Sous la curiosité inhérente à cette période de notre vie, il y a une grande liberté d’esprit qui se manifeste notamment par le jeu, et par les questions posées aux adultes, celles-ci les agaçant très – ou trop – vite. Je viens à l’origine d’une famille chrétienne, mais je me souviens qu’à six ou sept ans, j’étais fascinée par les légendes médiévales et antiques, la nature, les animaux... Sans oublier la figure de la sorcière. Elle n’était pas si laide dans mon souvenir, car j’imaginais toujours une femme douce et sage, bien loin de l’image de la vieillarde méchante qu’on voit d’habitude au cinéma et dans les dessins animés, dont j’ai peine à croire, encore maintenant, au fait qu’elles aient toujours été ainsi. Puis en grandissant, je n’y pensais plus, tout en gardant le souvenir de mes premières potions concoctées avec les pissenlits et les marguerites du jardin...

Lorsque j’ai commencé ma recherche spirituelle, à Mabon 2012, et que je me suis souvenue de mon enfance, je savais à peine ce qu’était la Wicca. Et en lisant tout ce que je pouvais trouver de correct ou de complet sur le sujet (notamment grâce à Lune Bleue), j’ai eu un déclic doucement évident, un peu comme une flamme qui consume peu à peu un énorme fagot de bois. J’y retrouvais les principes qui me tenaient à cœur depuis longtemps, le respect de la nature et de toute forme de vie, l’interconnexion de toutes choses, quelque chose qui me laissait entrevoir un espoir d’équilibre intérieur que je ne connaissais pas jusqu’ici, et sans que j’ai pu mettre auparavant un nom dessus. On ne peut pas forcément expliquer en détail ce qui nous amène à honorer la Terre, les dieux... C’est un désir très fort qui ne prévient pas toujours. Je me suis mise à approfondir mes recherches, et cela malgré leur découverte par ma famille, ce qui m’a valu d’affronter la peur, l’ignorance, mais surtout une bonne dose d’intolérance et d’orgueil religieux, et encore aujourd’hui, lorsque c’est surtout elle qui aborde le sujet, pour me décourager. C’est Notre premier contact avec la figure de la sorcière, pour la plupart d’entre nous, a surtout été culturel (cinéma, télévision, littérature...) mais souvent erroné, totalement déconnecté de la réalité du terrain, si j’ose dire. On a tous eu une camarade de classe qui regardait Charmed à la télévision, ou une période Harry Potter où on lisait ses aventures tout en traquant le produit dérivé à côté. Cependant, tout le monde sait pertinemment que la sorcellerie est quelque  chose de beaucoup plus subtil que simplement jeter des sorts à une méchante rivale lycéenne, ou avoir la capacité de voler dans les airs et lancer des éclairs, idées largement reprises par Hollywood. Lorsqu’on évoque le sujet avec un quidam, il pensera toujours à une vieille femme préparant un liquide bizarre dans son chaudron...

A la fois proche et loin de la réalité actuelle. De plus, les monothéismes aidant, la signification profonde de cette figure a été largement écornée au cours des siècles. La femme sensuelle (sans verrue sur le nez et sans chapeau pointu), pleine d’assurance et érudite, est devenue une idée de déguisement pour Halloween et un personnage négatif de conte moraliste dans l’imaginaire collectif.

En revanche, il existe une poignée de personnes qui eurent dans leur ascendance familiale un rebouteux, un guérisseur ou un sorcier (ça marche aussi au féminin), connu pour apporter officieusement son aide à quelques villageois. Ainsi, elles choisirent pour quelques-unes de développer à leur tour leur propre don et se constituèrent une « clientèle » comme cela arrive souvent. La plupart du temps, si l’on ne compte pas les dérives malheureuses et les charlatans qui arrivent (encore) à escroquer des personnes en détresse, ces quelques personnes ont pour objectif sincère d’apporter une aide à qui la demandera. Bien sûr, même si c’est une motivation tout à fait honorable, elle n’est pas forcément la seule qui devrait donner à réfléchir.

Comme beaucoup de novices en la matière, l’aspect magique de la Wicca a été parmi ceux qui m’attirèrent en premier lieu. Or une bonne pratique est impossible sans une sérieuse réflexion sur le sujet. Actuellement, je préfère attendre encore un peu avant de décider si oui ou non, je suis prête pour cela. C’est d’ailleurs ce que je conseille à tout païen débutant qui n’a pas encore pratiqué de rituel, voire à ceux qui font, comme souvent, l’erreur de le faire sous le toit de leurs parents, quand ils n’habitent pas encore ailleurs. La pratique personnelle n’est pas exempte d’erreurs techniques, et celles-ci peuvent largement discréditer quiconque les rencontre... De plus, au départ, on a tous en nous quelque chose de conformiste qui fait que la famille ou les amis ne comprennent pas toujours quand on s’y met sans vraiment réfléchir aux conséquences.

Or, une sorcière ne l’est pas pour faire comme une autre, même si le Rede est le même pour toutes. Devenir sorcière implique, dans le meilleur des cas et le moins dangereux, Comme l’écrit en substance Rhonda Byrne dans son livre Le Pouvoir (au passage excellent) : donnez, pensez quelque chose de négatif, et vous  recevrez du négatif en retour. Donnez, pensez quelque chose de positif, et vous obtiendrez du positif en retour. Apprendre à se connaître soi-même est le premier de nos pouvoirs, celui qui permet de ne pas répéter les erreurs de la veille et de donner le meilleur de soi dans quelque chose qui mérite d’être achevé. De même que prendre exemple sur l’archétype divin (la Déesse, le Dieu, ou une divinité en particulier) quelle que soit notre tradition, nous évite de trop nous axer sur nos seules capacités. L’amour de la création, de nous-mêmes, des autres, de la Vie, est un aspect, sinon le plus important, de cet archétype, et par conséquent la motivation de la sorcière que nous nous efforçons d’être, pour une partie d’entre nous, sans attentes précises comme  la tranquillité de l’ego ou l’appât du gain. Mais vouloir devenir sorcière ne se résume pas à la pratique magique, évidemment. Il suffit aussi de peu pour que l’on puisse pleinement être proche de la déité que nous cherchons à honorer et des valeurs que nous voulons mettre en pratique. La foi en elle-même se résume aussi souvent à la   simple observation des Sabbats qui ponctuent la Roue de l’Année, à allumer une bougie de couleur selon l’objectif du moment et visualiser ce dernier, pour soi ou pour une personne qui le demande, ou simplement à remercier la déité pour ce que la Vie nous accorde en temps voulu ou dans l’instant présent, sans qu’on s’en rende compte tout de suite : une bonne santé, le repas quotidien, une relation solide...

Je suis consciente, en écrivant cela, que comme pour beaucoup de païens ou wiccans, la voie que j’ai choisi n’est pas quelque chose d’inné. C’est un long travail, parfois une lutte contre les moments de doute ou de désespoir. Toujours se rappeler que cette vie peut aussi trouver le plus fort de son sens dans ce qu’on apporte à une relation, à son chez-soi, à sa personne ou celle d’une autre, et à l’environnement qui nous entoure. Sans que l’on puisse déduire sur le moment que c’est l’amour divin qui nous fait parfois agir pour le bien de nos semblables, nous agissons aussi pour lui, avec lui, en lui, de façon spontanée et sans espérer de reconnaissance de la part de qui que ce soit, sinon que les choses aillent ou rentrent dans l’ordre. L’équilibre.
Après l’amour, c’est la deuxième motivation fondamentale d’une sorcière digne de ce nom.

L’exemple de quelques figures contemporaines, telle Starhawk, nous le rappelle constamment. Pourquoi vouloir devenir sorcière si c’est pour contribuer au désordre, et ainsi compromettre son objectif de départ ?

Troisième point non négligeable : la créativité ! En effet, comment prendre du plaisir à ce qu’on veut être si l’on n’exprime pas un peu de soi ? Des auteurs comme Scott Cunningham l’ont bien compris : si l’on veut faire quelque chose qui nous permet d’être en accord avec nous-même et la déité, il est inutile de s’efforcer de suivre à la lettre des règles dont le sens nous échappe au plus profond de nous.

Elle n’est pas soumise à un Livre saint, ne cherche pas à se faire obéir sous peine de retranchement de la communauté. Malgré ce qu’elle transmet en termes d’éthique, de valeurs, nous avons toujours le choix d’agir pour un besoin honorable, occasionnellement pour une cause qui l’est tout autant, ou de n’agir que selon notre volonté égoïste et d’en assumer les conséquences. Ce qui n’exclut pas l’imagination, dans un registre positif. D’où la possibilité d’imaginer ses propres moyens : rituels, sorts, décoration de l’autel...

L’Art est une qualification qu’on attribue aussi à la magie, dans la mesure où elle permet à chacun-e d’impliquer une énergie qui lui est propre, en quelque sorte une signature, sans quoi les méthodes conseillées dans les livres deviendraient impersonnelles, voire dogmatiques.

C’est là un des avantages de la tradition éclectique fondée par Cunningham : nous sommes de cette manière notre propre capitaine, nous sommes seuls à décider, à condition de respecter quelques correspondances de base, du bon déroulement de ce pourquoi nous effectuons un rituel. Il ne tient qu’à nous d’apporter notre enthousiasme dans quelque chose dont nous avons déterminé la configuration avec soin. Imaginer de nouvelles façons de bien faire les choses, mettre notre empreinte dans quelque chose qui nous est personnellement familier. Même si cela reste discutable, c’est aussi une façon de témoigner personnellement de mon individualité au Divin, et donc de ce qui fait la beauté de ma vie, comme de celle d’autres humains, à savoir la diversité, la possibilité de manifester malgré mon état de santé, mes défauts, ma culture d’origine et d’autres choses le caractère précieux de ma vie aux yeux de ce que j’honore. Quoi de plus beau, d’une certaine manière, que les contraires dont sont nés quelque chose de sublime, finalement ?

Le parcours d’un-e païen-ne, sorcier ou sorcière en devenir, n’a rien d’une promenade de santé, de quelque chose d’acquis. C’est quelque chose qui nous permet de chercher au plus profond de nous-mêmes, jusqu’à nos limites et nos intentions les plus secrètes, afin de pouvoir faire un travail sur notre rapport au monde, aux lois qui le régissent d’un point de vue spirituel, éthique, ou autre, et ainsi pouvoir contribuer au bon fonctionnement des choses qui constituent le présent, car demain n’est jamais aussi loin que ce que l’on prétend parfois, et lorsqu’on agit mal ou trop tard, il ne tient qu’à nous de corriger ce qui ne va pas.

Sans jamais oublier l’objectif qu’on s’est fixé un jour, celui de donner le meilleur de soi quoi qu’il arrive, et ainsi, pour reprendre une expression du Prophète de Khalil Gibran, s’inscrire « jusque dans la mémoire silencieuse » de la déité.

par Louve de Beltane
Source : UN MAGAZINE DE LA LIGUE WICCANE ECLECTIQUE 


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire