Le sexe de la femme reste un sujet tabou. Avons-nous jamais
regardé, pas seulement “vu”, mais vraiment “regardé”, en chaussant ses
lunettes, avec attention et amour, le sexe d'une femme, les dentelles des
petites lèvres, les encorbellements de la vulve, les mystères de l'infiniment
petit ? Certes, la culture nous enseigne généralement que les sommets de la
séduction sont voilés, que l'érotisme s'épanouit mieux dans la pénombre et que
les plus hautes jouissances ne s'obtiennent pas forcément en fixant le sexe de
l'autre comme on regarde un visage, une bouche ou des yeux. Mais sur son
parcours singulier, René Minosa a découvert combien cette subtilité (réelle)
masque aussi un déni.
Les femmes elles-mêmes, souvent, ne connaissent pas la partie la
plus délicate de leur anatomie. Dès qu'il est question du sexe féminin,
nombreuses sont celles qui ont tendance à en éprouver gêne, embarras, voire
honte, parfois sous couvert d'indifférence. Quelles que soient ses réactions,
l'attitude négative d'une femme vis-à-vis de son sexe déteint plus ou moins
inéluctablement sur sa vie sexuelle et amoureuse - la honte, tout comme
l'indifférence, engendrant l'inhibition. La grande surprise de René Minosa sera
de découvrir que des photos telles que les siennes peuvent guérir ces
inhibitions ou ces blessures, en procurant aux femmes ainsi admirées le
sentiment d'être reconnues, respectées et aimées, jusqu'au plus profond
d'elles-mêmes - à l'endroit même où la vie les avait conduites à culpabiliser.
Comme si, paradoxalement, les personnes au sexe offert à l'objectif parvenaient
par ce biais à cesser d'être des objets, habitées par le sentiment de s'être réapproprié
une part importante de leur corps et par résonance, de leur sexualité. Pour
certaines femmes, cette revalorisation va tout bonnement transformer leur vie
et celle de leur partenaire. “Mon regard, sous-entend l'homme, n'est pas
seulement celui du désir, c'est aussi celui de l'émerveillement, de la
tendresse et de l'honneur.”
Pendant plus de vingt ans, photographier des sexes de femmes fut
pour René Minosa un jardin secret. Une exploration intime, menée avec plaisir
et émerveillement, mais aussi mue par une réminiscence confuse, une nécessité
profonde et mystérieuse qui le surprenait lui-même.
Le noir et blanc s'était immédiatement imposé. Comme si la
confrontation abrupte avec “l'origine du monde” ne pouvait révéler son
enivrante beauté et sa luxuriante variété qu'à partir d'un minimum
d'abstraction. Peu à peu se constitua ainsi la cartographie d'une galaxie
étonnamment mal connue, avec ses étoiles, ses planètes, ses paysages, ses
myriades de formes de vie, des plus exubérantes aux plus endormies, des plus
tendres aux plus drues. Et tout cela jaillissait chaque fois d'entre les jambes
d'une femme ! La zone humaine sans doute la plus présente, ou la plus
marquante, dans les têtes, les cœurs et les discours des humains, mais aussi,
malgré toutes les “révolutions sexuelles” du monde, la zone la plus interdite.
Alors que René hésitait encore devant cette obsession
fascinante, c'est son ami le magicien dramaturge Alexandro Jodorowski qui
l'encouragea à franchir le pas décisif. “Exprime ce que tu ressens sans te
soucier de ce que les gens en penseront !” Ce fut comme une autorisation.
Renédécida non seulement de continuer à prendre des photos, mais désormais de
les sortir de ses tiroirs et de les montrer.
S'enclencha alors un processus quasiment thérapeutique. Pour le
photographe, mais aussi - et cela devint bientôt essentiel - pour les femmes
photographiées. René se mit en effet à tirer les “portraits” d'autres femmes
que ses compagnes. Des femmes qu'il ne connaissait pas toujours. Elles avaient
simplement vu quelques-unes de ses images et, bouleversées, désiraient à leur
tour être photographiées ainsi, au cœur d'elles-mêmes. La beauté des images
qu'elles découvraient leur donnait confiance et libérait leur curiosité
naturelle. Comme si se révélait là, spontanément, une forme de démarche
initiatrice. Un “Enseignement”.
Le travail de René Minosa est resté longtemps son “jardin
secret”. Underground volens nolens. Mais voilà soudain que sa quête semble en
rejoindre d'autres, fort semblables. Par exemple celle du gynécologue français
Gérard Zwang qui, dans son remarquable ouvrage sur Le
sexe de la femme ,
dit tout ce qu'un homme ou une femme éclairés devraient savoir...
Aux États unis, des thérapeutes sensibles, tels Joani Blank ou
Harriet Goldhor Lerner, prennent la question sous un jour linguistique,
remarquant entre autres que le sexe de la femme a toujours été désigné par le
mot "vagin", ce qui est gravement réducteur et fait dire à Lerner :
“En apprenant à nos petites filles qu'il faut appeler leur partie génitale un
"vagin", nous pratiquons une sorte de mutilation psychique. Le
langage peut-être aussi puissant que le bistouri d'un chirurgien. Ce qui n'est
pas exprimé n'existe pas.”
Au même moment, Eve Ensler publie Les
Monologues du Vagin ,
qui deviennent une pièce de théâtre à succès dans tout l'Occident. Des dizaines
de femmes de toutes conditions, couleurs, croyances, y parlent de leur sexe de
façon merveilleusement crue et vraie. “Au début, raconte Eve Ensler, les femmes
interrogées hésitaient toujours à parler. Mais une fois parties, on ne pouvait
plus les arrêter.”
Pour couronner ce désir collectif d'authenticité et de
libération le “V-day” (journée du vagin), initié aux Etats-Unis puis repris
dans le monde entier, devient une véritable commémoration de la femme, soutenue
aussi bien par la mouvance féministe que par celle des droits de l'homme.
Bref, René Minosa voit son travail soudain s'inscrire dans un
mouvement étonnamment vaste, qui fait évoluer les femmes... et les hommes.
Travail de dévoilement. Travail d'écoute. Travail de restitution du corps -
l'habeas corpus entendu de la pointe du clitoris au portail de l'utérus.
Mais comment accéder directement à soi-même - et à l'autre -
sans que la médiation culturelle ne vienne immédiatement tout parasiter ? Très
ancienne et noble question tantrique, à laquelle fort peu d'humains savent
répondre. Mais le filtre de la connaissance peut aussi jouer en faveur de
l'érotisme et de l'élévation de conscience... Ainsi, les fleurs, nous disent
les botanistes, sont des sexes - et même les premiers sexes inventés au
croisement du Ciel et de la Terre ! Inversement, les sexes sont évidemment des
fleurs...
Les Fleurs de Femmes photographiées par René Minosa
portent admirablement leur nom. Fleurs marines, anémones nacrées et rubans
d'algue ondulant.
Fleurs alpines, pétales offertes au délice du soleil. Fleurs
tropicales, pistil rayonnant dans un chavirement des sens. Fleurs de dune,
protégeant leur humidité d'un écrin bombé. Toutes révèlent à qui sait voir que
la porte de l'amour - et de la naissance - est immensément belle. Et qu'il faut
être fou, bétonné dans la peur, pour refuser ce don somptueux de la nature.
Réconciliant le cœur et le corps de l'humain par un éveil de la
femme à sa propre existence, et de l'homme au regard qu'il pose sur celle-ci
les images de René Minosa, amant éperdu des senteurs primordiales, constituent
un sublime hommage à la Femme, à la Mère. Un cri d'amour, plein de ferveur et
de piété.
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