Dès le début du mois de février 1917,
alors que Teilhard ébauche un texte important : La Lutte contre la Multitude,
il envisage de rédiger quelques pages sur la Pureté et la Charité, qui
développeraient ce qu’il ne fit qu’effleurer dans le Milieu Mystique (juillet-août1917)
et dans l’Union Créatrice (octobre-novembre 1917). Dans une lettre à sa cousine
Marguerite Teilhard (Claude Aragonnès), il écrit :
«
Un des mystiques les plus intéressants à étudier à mon point de vue, serait
précisément le Dante, si féru et si passionné du Réel. Je crois en tout cas,,
que peu d’exemples font mieux comprendre ce qu’est l’agrandissement (jusqu’à l’Univers
)du sentiment alimenté par un objet particulier (et de cet objet même)que Béatrice…
»
Peu à peu il aperçoit que l’amour, d’une
part est la conscience d’un besoin d’unification et d’autre part,
paradoxalement que la Chasteté pose tout le problème de l’amour jusque dans ses
dimensions cosmiques.
C’est au début du mois de mars 1918
qu’il commence à composer et construire des esquisses préparatoires au texte
dont la rédaction inaugurée le 19 mars sera symboliquement terminée pour le jour
de la fête de l’Annonciation, le 25 mars.
La forme littéraire qu’il adopte enfin
déroute le lecteur. Après avoir hésité entre la forme dissertative et
l’exploitation abstraite d’un symbole, il entend, de manière concrète, faire appel
au féminin non comme à un Principe neutre mais comme une Perfection réalisée
dans un être personnel : la Vierge Marie .Celle-ci , vraie Déméter, est bien la
Perle du Cosmos, Mère de toutes choses , par elle le féminin fleurit et se
révèle l’élément attractif cosmique. Et s’il s’adresse à « Béatrix, la Vierge
voilée » (et non Béatrice, malgré la référence explicite à Dante), c’est qu’il
ne s’agit pas d’une jeune femme précise mais d’un symbole qui voile et dévoile,
tout ensemble une Personne , quant à elle bien concrète , Marie , dans laquelle
le féminin trouve se plus haute réalisation et à travers laquelle le Christ se
manifeste .
Le 15 mars Teilhard s’est arrêté au
titre définitif : l’Eternel féminin et a choisi enfin de traiter le texte au
moins partiellement comme une paraphrase très large de la Sagesse biblique.
Divisé en deux parties l’Eternel Féminin
déroule, un peu comme chez Claudel, l’immense octave de la création sous la
forme de vers libres distribués en versets. Ode poétique, thème et variations,
poème symphonique plutôt. Teilhard décline les « notes » du féminin.
Dans
la première partie :
- l’Essentiel Féminin
- l’Universel Féminin
- l’Attrait Féminin.
Dans
la seconde partie :
- la Virginité
- l’Idéal Féminin
- la Vierge Marie
- l’Eternel Féminin.
Fresque d’abord cosmologique et métaphysique,
le texte met en valeur un double processus ascensionnel de sublimation et de
personnalisation. D’allure platonicienne et néoplatonicienne, la réflexion
épouse à la fois un mouvement d’émanation et de retour à soi d’un Principe
Universel afin d’entrelacer ainsi « Epiphanie » et « Diaphanie » proprement Christiques.
La première étant celle du corps de
chair animé par le Verbe, la seconde celle du Corps Mystique du Christ né de
l’Eglise .Marie enfantant l’Un se retrouve Mère d’une Multitude, l’Eglise
enfantant une Multitude devient par là Mère de l’Unité.
«
Placée entre Dieu et la Terre comme une région d’attraction commune, je les
fais venir l’Un à l’Autre, passionnément..
.. Jusqu’à ce qu’en moi ait lieu la
rencontre où se consomment la génération et la plénitude du Christ à travers
les siècles.
Je suis l’Eglise, Epouse de Jésus - Je
suis la Vierge Marie, Mère de tous les humains..»
La structure du texte, finalement complexe, articule de nombreuses
analogies. Le procédé, qui repose sur des présupposés métaphysiques (d’ailleurs
classiques) permet de passer d’un degré d’être à un autre, d’une note du
féminin à une autre, sans simplification, ni réduction à l’homogène ou à
l’univoque. Qu’il s’agisse du moléculaire, de l’organique, du Vivant ou de
l’humain, un même « travail »est à l’œuvre, enfantement mystérieux qui révèle
une Présence illuminative, celle du Féminin. Ainsi ce poème dont le statut
hésite entre métaphysique, cosmologie, psychologie et mystique présente-t-il
deux dimensions fondamentales :
- il est d’abord et avant tout une
érotique ou si l’on veut une énergétique de l’amour
- mais il est aussi une sophiologie
indissociable d’une mariologie et d’une ecclésiologie.
Extrait de A L’AUBE DE L’HUMANITE Par Jean Bernard Cabanes
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