Nombre total de pages vues

samedi 1 novembre 2014

La danse des femmes sous un mauvais oeil



Les paysans ou vilains, se récréaient souvent, et l’un de leurs principaux divertissements était la danse ; cependant les prédicateurs ne cessaient de tonner contre cet amusement en reprochant à ceux qui s’y livraient de pécher contre les sept sacrements. Telle qu’elle était alors pratiquée, la danse constituait un divertissement qui nous paraît aujourd’hui bien innocent, puisqu’elle consistait en de simples rondes formées par une chaîne d’hommes et de femmes qui se donnaient la main ; en outre, ce divertissement, comme tous ceux de nos aïeux, avait lieu dans la journée.

Ce n’était point la danse en elle-même que poursuivit le clergé, ce sont les chants dont elle était accompagnée qu’il qualifiait de dangereux. En effet, dans le refrain de ces chants, on enseignait notamment que la femme mariée ne devait point renoncer à se faire un ami :

Je doing bien congié d’amer
Dame mau mariée.


Un coryphée était chargé d’entonner les couplets. « Les prédicateurs, dit M. Lecoy de la Marche, comparent sans ménagement la danseuse chargée de ce rôle à la génisse qui marche en tête du troupeau, faisant sonner sa clochette ; le maître du bétail, c’est le diable, qui s’esbanoie quand il entend retentir le signal ».

Jacques de Vitry, rapporte l’auteur que nous venons de citer, déclare aux jeunes filles qu’en « travaillant un jour férié elles ne violent au moins qu’un seul commandement. Le contact des mains, les pressions de pieds, les colloques secrets les exposent à faillir, au milieu d’assemblées si favorables aux rendez-vous galants.

Il peut s’y commettre aussi des sacrilèges, car les danses ont lieu souvent à la porte de l’église, quelquefois dans son enceinte même ou dans le cimetière qui l’entoure ».

Selon ces mêmes prédicateurs, la discorde régnait presque toujours dans les ménages des vilains. Ce n’était à chaque instant que disputes et querelles, qui se terminaient souvent par des scènes de pugilat. Sans cesse, la femme émettait une opinion contraire à celle qu’exprimait le mari. Aussi les trouvères et les prédicateurs ne manquaient point de raconter les anecdotes plaisantes qu’ils avaient recueillies sur les unions mal assorties. Nous rapporterons quelques-unes de ces anecdotes les plus répandues.
Un ménage avait invité un certain nombre de parents et d’amis à un repas. Vu la bonne saison, la table du festin fut placée dans le jardin. Plus le mari pressait sa femme de s’approcher de la table, plus elle s’en éloignait ; elle recula tant qu’elle tomba à la renverse dans une rivière.


Un mari et sa femme cheminant ensemble aperçurent un lièvre. « Quel beau lièvre ! », s’écria l’homme. « Je m’en régalerais bien s’il était frit avec du saindoux et des oignons.

- Il serait bien meilleur avec du poivre », dit la femme. 
- Non pas. 
- Mais si. 
- Mais non. Bref, à force de disputer sur la manière d’accommoder un lièvre qu’ils n’avaient pas, ils en arrivèrent aux coups.


Sur la ruse et la méchanceté des femmes, on racontait que le diable avait essayé en vain durant trente années de brouiller deux époux tendrement unis, et qu’une vieille blanchisseuse en était venue à bout en très peu de temps. On racontait aussi que, pendant une tempête, les matelots avaient décidé de jeter à la mer tout ce qui surchargeait le bateau. « Commencez par ma femme, dit un mari ; elle est d’un poids insupportable ».

Les sermonnaires rappelaient souvent une anecdote que Marie de France a mise en vers sous le titre La Contralieuse. Le mari prétendait qu’un pré était fauché ; la femme disait qu’il était tondu et n’en voulut point démordre ; sa langue arrachée, elle imita avec ses doigts le mouvement des ciseaux.
D’après un autre fabliau, un mari, appelé pouilleux par sa femme, la descendit dans un puits à l’aide d’une corde qu’il lui avait passée sous les aisselles ; il l’enfonça graduellement dans l’eau, mais elle n’en continuait pas moins de l’appeler pouilleux ; lorsqu’elle eut de l’eau jusqu’au front, elle éleva les mains au-dessus de sa tête et fit avec ses deux pouces le geste de quelqu’un qui écrase des poux.

La femme était alors l’objet de deux théories diamétralement opposées. Tandis que la chevalerie professait un culte idéal pour la fille d’Eve, le clergé régulier la faisait responsable de tous les maux qui frappaient l’humanité.

Cependant, il faut reléguer au rang des légendes les plus absurdes une histoire qui a cours depuis longtemps sur la prétendue question posée dans un concile de savoir si la femme a une âme. L’Église n’a jamais agité cette question. Ce conte est dû à un incident qui se produisit lors du second concile de Mâcon en 585. Par suite d’une interruption provoquée par un membre de l’assemblée, celle-ci fut appelée à donner incidemment son avis sur un passage de l’Écriture ; les évêques présents eurent à décider si, en parlant de l’homme en général, les textes sacrés entendaient également parler de la femme.

Un théologien du XIIIe siècle écrit qu’ « une preuve que la femme doit être la compagne et l’égale, presque en tout, de son mari, et non pas sa maîtresse ou sa servante, c’est qu’il est écrit que le Seigneur a formé Eve de la côte d’Adam et non de sa tête ou de son pied. Une preuve aussi que l’homme est le chef de la femme, c’est qu’il a été, en quelque sorte, le principe de son être, et que la femme a été faite de l’homme, et non l’homme de la femme ».

Un autre théologien du même siècle s’était aussi occupé de cette question. La femme, dit-il dans son explication mystique, eût été considérée comme la maîtresse de l’homme si elle avait été formée de sa tête, et Dieu ne la lui donna point comme servante, puisqu’il ne la tira pas du pied d’Adam.

L’opinion commune au moyen âge était que la femme fut formée d’une côte détachée près du cœur pour que l’homme l’aimât plus tendrement.


(D’après Revue des études historiques paru en 1890)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire