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jeudi 8 octobre 2015

Lorsque les mères saturent, encore...




La confrontation avec notre violence intérieure dans le contexte maternel et familial peut venir fragiliser les idéaux conditionnés et permettre la véritable reconnaissance de soi dans un plus juste respect de ses limites. Pauline Beau, mère de quatre fils, nous fait partager son regard sur cette expérience et ses clés de transformation.



C'est un sujet sensible. Sensible comme un point du corps qu'on viendrait pointer un peu plus spécifiquement, et qui réagit au toucher en laissant émerger des mémoires pas toujours très agréables. Quel point ? Il me semble qu'il s'agit de la rate, celle qui fabrique le sang, mais aussi qui rumine, encaisse, et du foie, qui filtre les substances physiques et psychiques du corps, et qui explose de colère quand il en vient à saturation.

Dans ma famille côté maternel, c'est une constante : la saturation, suivie d'explosion, de toutes sortes de situations mal gérées qui mènent à l'impasse. L'excès de feu se traduit en colère titanesque, incontrôlable pour l’intéressée, incompréhensible pour l'entourage. Ou alors par un excès de rancœurs, de plaintes, qui parasitent de saines relations au sein même de la famille. Les causes en sont multiples, et pourtant ont toutes la même source : la négation d'un féminin autre que procréateur et corvéable à merci.

Merci au culte millénaire de la Vierge Marie, idéal impossible à vivre, en tout cas tel qu'il est transmis dans notre culture : une abnégation sans fin pour ses enfants, irréprochable car « sans », sans sexualité (du moins nous dit-on), et sans désir personnel.

Or, sans connexion directe au désir fondamental, comment nourrir l'axe de la colonne vertébrale, comment tenir debout, la moelle épinière vivifiée, irriguée, par l’énergie sexuelle qui y circule ? L’énergie s'accumule au niveau du plexus solaire, sans trouver la circulation du haut vers le bas, du bas vers le haut, et ne trouve comme exutoire que l'expression anarchique des émotions, et plus tard les somatisations de toutes sortes : migraines, aigreurs, cancers etc…

 Il manque cruellement à notre panthéon une Kali, déesse indienne de la destruction, ou une Sekhmet Égyptienne, déesse à tête de lionne prise de rage les cinq derniers jours de l'année, mais aussi Reine de sa Puissance, qui rappellent aux femmes occidentales leur pouvoir sacré de sorcière, celle de la source. Et au quotidien ? Je suis la maman de quatre garçons de 12, 10, 8 ans et d'un petit dernier de 9 mois.

La découverte de cette colère ravageuse est la plus grande difficulté de mon expérience de maternité. Là où le masque tombe, où de la Mère Idéale que je croyais pouvoir être, pouvant donner et aimer sans compter, je me découvre harpie, brandissant des « Range ta chambre ! », marmonnant des « J'en ai marre », entre une vaisselle, un rendez-vous chez le dentiste et un changement de couche, plus souvent que je ne l'aurais espéré… Craquage.

Craquage salutaire : non, je ne suis pas parfaite, oui j'existe autrement que pour mes enfants. Encore faut-il l'entendre soi-même, puis le faire entendre à l'entourage… Et savoir déléguer, et donc faire confiance à une mère, belle-mère, papa, nourrice, institutions… Pour prendre le relais un temps quant aux soins des enfants, et me retrouver seule face à moi-même.

D'omnipotente, j'apprends non seulement à mettre au monde, mais aussi à donner mon enfant au monde, tout en évitant dans l'enthousiasme de la liberté retrouvée de l'abandonner au monde. Subtil dosage, où seul un sens de plus en plus aigu de la structure permet de jongler entre les multiples casquettes que demande la maternité : cuisinière, infirmière, conseillère, aide aux devoir, taxi, femme de ménage, animatrice, flic…, sans y perdre le nord, son axe, sa colonne vertébrale, ni son souffle. Ainsi, la ronde infernale des taches sans cesse recommencées trouve un sens, une cohésion, car nourrie dans sa moelle : la reconnexion à ce que je suis dans mon essence, qui me permet d'envisager l'autre, particulièrement mon enfant, sur ce même plan, sans me sentir asservie à lui.

L'aide du père est précieuse et bienvenue, élément de structure notoire. Toute mère témoignera de la facilité déconcertante avec laquelle les enfants rejoignent la table familiale (ou rangent leur fameuse chambre) quand leur père d'une voix ferme le leur demande, chose beaucoup moins immédiate par la voix de la mère.

Certes, la femme a à cultiver son «père intérieur» pour parvenir au même résultat, il n’empêche que c'est une constatation : un homme dans la maison, elle tourne plus rond. Et l'homme encore, celui qui reconnecte à la source. Lui qui sait retrouver sa femme exilée sur une île déserte pour cause de saturation sus-relatée, oublier le père… Retrouver le parfum qui vient aux amants, la douceur et la morsure… Jouer et jouir. Même si la route pour se retrouver l'un l'autre est parfois semée d’embûches... : avons-nous vraiment envie de nous retrouver ? Et comment ?

Le chemin est long pour transformer le quotidien banal d'une mère de famille en magie précieuse. Par la structure, je pose mes limites, les fais respecter, aère mon emploi du temps, me ménage impérativement des plages de « rien », entre les différentes actions du jour. - Je prends du recul sur la situation, et commence à rire de mes agacements: finalement, le foutoir généralisé de la chambre, faisant d'ailleurs miroir au mien propre dans la maison, n'est pas si dramatique. - J'apprends les vertus du dialogue et de la communication.

Ouvrir l'écoute à l'autre, lâcher prise. - J’aime. Un peu plus que d'habitude, un peu mieux, sans attente, gratuitement. - Je contacte, exhume et honore cette déesse sauvage, maîtresse d’elle-même et de son instinct, celle qui chasse, qui court et qui sait intimement ce qu'est « être mère », pour elle-même et pour ses petits, qui peut donner sans se perdre, et qui prie, reliée, sur la Terre comme au Ciel.



Pauline Beau pbeau77@yahoo.f

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