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jeudi 30 avril 2015

Le féminin dans la symbolique maçonnique



Le symbolisme maçonnique, avec notamment ses nombreuses références opératives, ne présente apparemment rien de féminin. Cela tient certes à l’origine typiquement masculine de notre tradition puisque nous disons être les descendants à la fois des bâtisseurs et des chevaliers. Mais cela tient aussi à nos racines religieuses, la tradition judéo-chrétienne qui laisse fort peu de place au féminin et dont l’image de la divinité est exclusivement masculine. Apparence seulement, car à y regarder de plus près le symbolisme maçonnique, comme celui de la religion, cache une dimension féminine qu’il importe de comprendre. On peut en donner quatre exemples.

Les trois petites lumières éclairant la loge, ses fondements qui nous viennent de l’Être éternel et infini, portent toutes des noms féminins. La première est la Sagesse. Or, on y reviendra, la sagesse divine occupe dans les derniers livres de l’Ancien Testament une place très importante et représente la face féminine de Dieu. Le Livre de la sagesse, dit de Salomon, la chante par exemple comme «le maître d’oeuvre» et «l’artisane de l’univers»; il dit notamment que «les vertus sont les fruits de ses travaux car elle enseigne tempérance et prudence, justice et fortitude» (Sg 7: 27-28, 8: 7). La basilique de Byzance, la Rome orthodoxe, était consacrée à Sainte Sophie, Sophia signifiant en grec la sagesse. La Légende dorée dit certes que Sophie était une vertueuse martyre, mais son texte montre clairement qu’il s’agit en réalité de la sagesse divine puisqu’il ajoute que Sainte Sophie avait «trois filles, la foi, l’espérance et la charité».

A l’Orient brillent le soleil et la lune, couple cosmique qui évoque le mariage divin, la hiérogamie chère aussi bien aux religions antiques qu’à la tradition alchimique. Ce couple fait également pendant aux deux colonnes de l’entrée du temple qui représentent notamment les deux pôles de la vie et de l’être. Dans de nombreuses représentations de la crucifixion par la peinture médiévale, le soleil et la lune figurent au ciel, de chaque côté de la tête du Christ. Souvent aussi ces deux astres sont au-dessus de Saint Jean et de Marie agenouillés au pied de la croix, nouveau couple spirituel par la bénédiction et l’adoption. Les bâtisseurs de cathédrales avaient du reste une prédilection pour la dédicace de leurs oeuvres à Saint Jean ou à Notre Dame, tout comme les Templiers. Cela à l’époque même de l’amour courtois, où la dame était bien plus un idéal spirituel qu’une femme de chair.

Sur nos autels la Bible est ouverte au Prologue de Jean, texte consacré au Verbe, le Logos de Dieu. Or, même si selon la théologie le Verbe est assimilé au Christ, le Logos du Prologue s’identifie à plusieurs égards à la Parole comme Esprit-Saint, en particulier à l’esprit féminin de Dieu, la Sophia. En effet, le Verbe selon le Prologue présente des analogies extrêmement frappantes avec la Sagesse divine telle qu’elle est décrite dans l’Ancien Testament. La Sagesse y dit d’elle-même qu’elle fut «établie depuis l’éternité… dès le commencement… aux côtés» de l’Eternel (Pr 8: 22-23, 30), que sa «source est la Parole de Dieu dans les cieux» et qu’elle est «la mère du pur amour» (Si 1: 5; 24: 17). Salomon dit d’elle en s’adressant à Dieu: «Tu avais donné toi-même la Sagesse… envoyé d’en haut ton Saint Esprit…», et les hommes furent ainsi «instruits et sauvés par la Sagesse divine» (Sg 9: 10, 17).

Le temple de Salomon, figure emblématique de la maçonnerie, détruit puis reconstruit après l’exil, évoque bibliquement les noces entre Dieu et son peuple, peuple symbolisé par Jérusalem, féminine comme toute cité. Le prophète dit ainsi d’elle: «Resurgis, remets-toi debout Jérusalem… toi, stérile qui n’enfantais plus, explose et vibre… ton veuvage, tu ne t’en souviendras plus… car ton époux, le Seigneur tout-puissant, t’a rappelée» (Es 51: 17; 54: 1-8). 

Noces encore celles de la nouvelle Jérusalem céleste de l’Apocalypse, décrite par Jean «comme une épouse qui s’est parée pour son époux», vêtue «d’un lin resplendissant et pur», prête pour les «noces», «la fiancée, l’épouse de l’agneau» (Ap 19: 7-8; 21: 2, 9). Temple et cité sainte sont donc lieux de noces, d’union symbolique du masculin et du féminin.

Ainsi, l’aspect féminin du sacré est réellement présent dans la profondeur de notre symbolisme, et il apparaît même d’une importance qui n’est pas secondaire. Mais alors, pourquoi cet aspect féminin est-il si discret et pourquoi est-il largement écarté de nos réflexions symboliques? La prédominance masculine dans notre symbolisme n’a pas pour seules bases des distinctions découlant du travail artisanal ou du combat chevaleresque. Elle ne s’explique pas non plus comme un simple reflet de la condition féminine dans les sociétés patriarcales du temps biblique ou du Moyen Age. Elle plonge ses racines bien plus loin, dans la profondeur de la psyché humaine et dans les fondements de la pensée religieuse.


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