Le mythe de la création
« Avant le commencement, la Déesse dont on ne
peut prononcer le nom, flottait dans les profondeurs de la nuit, seule, en
quête d’hommages et de respect. Et quand elle plongeait son regard dans le
miroir voûté de l’éther, elle reconnaissait sa propre image lumineuse et en
tomba amoureuse. Par la puissance qui l’habitait, elle sortit cette image du
miroir, s’unit à elle amoureusement et lui donna le nom de « Miria, la
merveilleuse ». Son extase s’exprima à travers un chant sur tout ce qui est,
qui fut et qui sera, et de ce chant naquit le mouvement, puis les vagues, dont
les mouvements lascifs devinrent les sphères et les cercles de tous les mondes.
La Déesse fut emplie d’amour, elle s’arrondit et se réchauffa et donna
naissance à une pluie d’esprits lumineux, qui se répandirent sur les mondes et
devinrent des créatures de chair et de sang. Mais lors de ce grand mouvement
Miria fut expulsée, et du fait de cette séparation d’avec la Déesse, elle
devint de plus en plus masculine.
Elle devint d’abord le Dieu bleu, le dieu doux
et souriant de l’amour, puis le Dieu vert, celui qui était vêtu de feuilles de
vignes, celui qui prenait racine dans la terre, l’esprit de tout ce qui pousse.
Finalement elle devint le Dieu Cornu, le chasseur, celui qui est aussi brûlant
que le soleil et aussi sombre que la mort. Mais toujours le désir le ramenait à
la Déesse, il tournait autour d’elle, espérant, toujours, retrouver son amour.
Toute chose trouve son origine dans l’amour, tout cherche à retourner à cet
amour. L’amour est loi, l’amour est mère de la sagesse, la grande manifestation
des mystères. » (transmission orale issue de la tradition féri
de la croyance sorcière)
Ce mythe montre clairement l’étonnement vis à
vis du monde qui est divin et du divin qui est le monde. Au début la Déesse est
le tout, la vierge, autrement dit, se suffisant à elle-même. Elle est nommée «
déesse », mais elle pourrait aussi bien être « dieu » car son existence n’est
pas sexuée. Il n’y a ni séparation, ni scission, rien que l’unité originelle.
Mais l’aspect féminin est mis en avant car il y a une naissance dans le
processus de la création. Le monde est « mis au monde », il n’est pas créé.
La Déesse voit son reflet dans le miroir de
l’éther ce qui pourrait être considéré comme un regard magique dans la
représentation de l’univers, dans le domaine tordu de la physique moderne. Le
miroir est un ancien attribut de la Déesse, affirme Robert Graves, dans sa
représentation en tant que « ancienne déesse païenne de la mer, Marian…,
Miriam, Mariamne, Myrrhine, Myrtea, Maria ou Marina, protectrice des écrivains
et des amoureux, et fière mère des cupidons …. Marian est souvent représentée
comme étant une sirène…. La représentation conventionnelle de la sirène –une
très belle jeune femme, avec une queue de poisson, un miroir rond et un peigne
en or- signifie « la Déesse de l’amour vient de la mer ».
Il y a une autre symbolique du miroir : le
reflet dans le miroir est une image inversée, identique, mais opposée, la
polarité inverse. Ce reflet exprime le paradoxe : toutes choses sont un, et
pourtant chaque chose est unique, individuelle par rapport à elle-même. Les
religions orientales ont surtout retenu la première partie du paradoxe, et
partent du principe que toute chose ne font qu’un et que l’individualité n’est
qu’illusion. Les religions occidentales prônent plutôt l’individualité et
pensent en général que le monde est fait d’une multitude de choses uniques. La
vision occidentale encourage l’effort individuel, et l’engagement individuel
dans le monde. La vision orientale prône le recul, la contemplation et la
compassion. Dans la religion de la grande Déesse on trouve ces deux façons de
voir. Elles se font face et se complètent. Elles ne sont pas contradictoires.
Le monde fait de multiplicité est le reflet de l’unité, et l’unité est le reflet
de la myriade d’individualités. Nous sommes tous des atomes de la même énergie,
et pourtant chaque atome est unique dans son aspect, et dans son apparence. La
Déesse tombe amoureuse d’elle-même, et exprime sa propre luminosité, qui
acquerra une vie propre. L’amour ce ceux qui se ressemblent est la force
créatrice de l’univers. Le désir est l’énergie primitive, et cette énergie est
érotique : la force d’attraction entre celui qui aime et celui qui est aimé,
entre les étoiles et les planètes, entre l’électron et le proton. L’amour est
la glaise qui fait s’unir le monde.
Eros, l’aveugle, devient Amour, le bon.
D’après Joseph Campbell, il s’agirait là plus d’un aspect individuel et
personnel que de l’amour du prochain, Agape, ou de l’appétit sexuel. Le reflet
de la déesse sort d’elle-même et reçoit un nom. L’amour n’est pas seulement une
force dispensatrice d’énergie, il est aussi utile à l’individualisation. Il
contrecarre la séparation et pourtant crée l’individualité, il est l’ultime
paradoxe.
Miria, la merveilleuse, est évidemment
Marian-Mariam-Mariamne, puis Mari, le côté « pleine lune » de la Déesse. Le
sens du bonheur et du ravissement dans le monde naturel est l’essence de la
religion de la grande Déesse. Le monde n’est pas une création imparfaite, rien
que nous devions fuir. Elle ne demande ni sauvetage ni pardon, mais il semble
que chaque jour elle nous donne matière à étonnement.
L’extase divine devient génératrice de la
création, et la création est un processus orgasmique.
L’extase est le cœur – lors des rituels nous
dirigeons le paradoxe de l’intérieur vers l’extérieur et devenons la Déesse,
nous partageons la joie originelle de l’unification.
L’extase conduit à l’harmonie, à la musique
des sphères. Le mot musique est l’expression symbolique de la vibration qui est
commune à tous les êtres. Les physiciens apprennent que les atomes et les
molécules de toutes les matières, depuis le gaz le plus volatile jusqu’au
rocher de Gibraltar, sont en perpétuel mouvement. Ce mouvement suit un ordre, qui
devient la base de l’harmonie propre de toute existence. La matière chante du
fait de sa nature particulière.
La Déesse est de plus en plus emplie d’amour
jusqu’à ce qu’elle donne naissance à une pluie d’esprits, qui réveilleront la
connaissance dans le monde, comme l’humidité fait que la terre devient verte.
La pluie est le sang menstruel, le sang créateur de vie de la Lune, tout comme
la perte des eaux annonce la naissance, la restitution extatique de la vie.
Le mouvement et les vibrations deviennent si
forts que Miria est expulsée. Plus elle s’éloigne du point central de
l’unification, et plus elle sera fortement polarisée, différentiée et
masculinisée. La Déesse s’est auto-projetée, son moi projeté devient l’autre,
le contraire, qui cherchera sans cesse à se réunifier. C.G Jung dirait qu’elle
a projeté son âme masculine, son animus. La différenciation éveille le désir,
qui va à l’encontre de la force de projection. Le champ de forces du cosmos se
polarise et devient le conducteur de forces qui agissent en sens contraire. Cet
ensemble est considéré comme champ énergétique, qui est polarisé par deux
puissantes forces –le masculin et le féminin, la Déesse et le Dieu, qui se font
fasse sous leur plus puissant aspect. Toutefois nous devons distinguer ce concept
de polarité de notre représentation culturelle du masculin et du féminin. La
puissance masculine et la puissance féminine sont certes différentes, mais dans
le fond elles ne le sont pas : elles sont la même force qui va dans des
directions différentes mais qui peuvent se réunir.
On peut décrire les forces de la façon
suivante : aucune n’est active ou passive, sombre ou lumineuse, sèche ou
humide, au lieu de cela chacune est tout cela à la fois. L’aspect féminin est
considéré comme force créatrice de vie, comme pouvoir de la révélation, de
l’énergie, qui s’écoule dans le monde pour y trouver une forme. L’aspect
masculin est considéré comme puissance de la mort, dans son sens positif et non
négatif, la force de la restriction, qui est l’opposé nécessaire de la création
débridée, la force de la dissolution, le retour à la non-forme. Chaque principe
contient l’autre. La vie conduit à la mort, nourrit la mort ; la mort contient
la vie, rend l’évolution possible, ainsi que la nouvelle création. Les deux font
partie du même cycle, dépendant l’une de l’autre.
L’existence est le résultat du va et vient,
des deux courants changeants et parfaitement équilibrés. La puissance de mort
due aux guerres ou aux homicides est incontrôlée. Mais, pris ensemble ils sont
générateurs d’harmonie vitale, de perfection cyclique, comme on peut l’observer
dans le rythme des saisons, dans l’équilibre écologique de la nature, et dans
le cycle de la vie, depuis la naissance jusqu’à la mort, puis à la renaissance,
en passant par la sagesse et la vieillesse.
La mort n’est pas la fin. C’est un stade du
cycle, qui conduit à la renaissance. Après la mort l’âme reste dans le « pays
de l’été » au pays de l’éternelle jeunesse, où elle est rajeunie et rénovée
pour préparer son retour. La renaissance est un immense cadeau de la part de la
Déesse, qui est manifeste dans le monde réel. La vie et le monde ne sont pas
séparés de la Déesse, mais sont partie intégrante de la divinité. La vie est
quelque chose de merveilleux. L’âge est une partie naturelle et très appréciée
du cycle de la vie, c’est le temps de la plus grande sagesse, du plus grand
savoir. Evidemment la maladie cause des souffrances, mais il ne faut pas la
considérer comme inévitable. Dans la pratique l’art de guérir, la médecine par
les plantes et l'aide à la naissance sont liées. Même la mort n’est pas
effrayante. Il n’est que la disparition de l’enveloppe physique, qui permet à
l’âme de se préparer pour une nouvelle vie. Oui, la peine et la douleur
existent, elles font partie de l’apprentissage, et doivent être amoindries
grâce à un travail acharné. Car la douleur est une part normale du devenir et
de notre passage, elle sera adoucie par la compréhension et l’acceptation, par
le don de la lumière et des ténèbres en échange.
La polarité entre masculin et féminin ne
devrait pas être considérée comme modèle valable pour les êtres mâles et
femelles. Dans chaque être les deux principes sont présents, nous sommes tout
autant masculin que féminin. Etre complet signifie vivre avec ces deux forces,
la création et la destruction, la croissance et la limitation. L’énergie
engendrée par le courant de ces forces coule en chacun de nous. A travers les
rituels et la méditation on peut les dissocier et les exprimer de telle sorte
qu’elles vibrent à l’unisson avec d’autres. Le sexe, par exemple, est bien plus
que l’acte d’union de deux corps, il est un courant polarisé entre deux êtres
humains.
Le principe masculin est pratiquement
considéré comme étant androgyne (hermaphrodite) : l’enfant, le dieu bleu de
l’amour, joueur de flûte. Son image est étroitement liée à celle du Dieu Bleu,
le Moi divin, qui est également androgyne. Tendre jeunesse, fils bien-aimé, il
n’est jamais sacrifié.
L’aspect vert est le Dieu de la végétation,
l’esprit des blés, les épis qui sont coupés et semés à nouveau, la semence, qui
meurt à chaque récolte et qui à chaque printemps renaît.
Le Dieu Cornu, qui dans l’esprit conventionnel
est la projection masculine de la Déesse, est le chasseur éternel, mais aussi
l’animal, qui est chassé. Il est l’animal sauvage qui est sacrifié, pour que la
vie des hommes puisse continuer. Mais il est aussi le sacrificateur qui fait
couler le sang. On voit en lui le soleil, qui inlassablement poursuit la lune
dans le ciel. Les phases montantes et descendantes du soleil au fil des saisons
symbolisent le cycle vie et mort, devenir et disparition, séparation et retour.
Déesse et Dieu, principes masculin et féminin,
naissance et mort, vibrent sur leur voie, impérissables et toujours en
mouvement. La polarité, la force qui unifie l’univers, est l’amour, individuel,
érotique, transcendant. Le monde n’a pas été créé brusquement à un moment
précis. La création se fait à chaque instant et s’inclut dans le cycle de
l’année.
La roue de l’année
En amour, le Dieu Cornu cherche toujours la
Déesse, sous diverses formes et avec divers visages. Dans notre monde la quête
apparaît dans le cycle de l’année.
Elle est la grande mère, qui le fait naître,
enfant soleil, au solstice d’hiver. Au printemps il est le semeur et la
semence, et pousse dans la lumière croissante, vert comme les jeunes pousses.
Elle est la prêtresse. Elle l’initie aux mystères. Il est le jeune taurillon.
Elle est la nymphe, la séductrice.
En été, quand le jour est le plus long, ils
s’unissent et la puissance de leur passion contient le monde. Mais la figure du
Dieu devient moins nette au fur et à mesure que le soleil s’affaiblit, jusqu’à
ce qu’enfin il se sacrifie lui-même, quand le blé est récolté, pour que chacun
puisse être nourri.
Elle est celle qui moissonne, le ventre de la
terre, celle à laquelle tout doit retourner. Durant les longues nuits et les
jours sombres il repose dans son corps. En rêve il est le maître de la mort qui
règne sur le pays de la jeunesse, à l’Est des portes du jour et de la nuit. Sa
sombre tombe devient le chaudron de la renaissance, car au milieu de l’hiver
elle lui donne naissance à nouveau. Le cycle prend fin et recommence à nouveau,
et la roue de l’année tourne et tourne encore.
Les rituels des 8 fêtes solaires découlent
directement du mythe de la roue de l’année.
La Déesse se manifeste à travers ses trois
aspects : La jeune fille, qui fait d’elle la gardienne vierge de la naissance
et de l’initiation ; la nymphe qui est la tentatrice sexuelle, l’amante, la
sirène, la séductrice ; la vieille qui fait d’elle le côté le plus sombre de la
vie, qui génère la mort et le sacrifice. Le Dieu est fils, frère, amant, qui
deviendra son propre père : la victime éternelle, à qui on redonne
éternellement vie.
La religion de la Grande Déesse dans le monde
fait avant tout ressortir la vie. Le cosmos est un champ de forces polarisé. La
polarité que nous nommons Dieu et déesse, crée le courant, qui est à la base
des changements dans les saisons, et des mouvements des astres, de l’harmonie
dans la nature, et de l’évolution dans la vie des êtres humains. Nous admettons
le jeu des forces en présence de deux façons : la vision intégrale de la
lumière des étoiles pour l’hémisphère droit du cerveau, et l’instinctif, au
même titre que ce que l’on sait par analyse pour l’hémisphère gauche.
La communication entre le su et l’instinctif,
entre le soi qui s’exprime et le soi enfantin, et entre ce dernier avec le moi
divin, l’esprit, dépend de notre sincérité par rapport aux deux modes de
perception.
Les notions verbales doivent être transposées
en images ou symboles. Les images intuitives doivent être placées à la lumière
de la connaissance. A travers une communication ouverte nous pouvons être à
l’unisson du cycle de la nature, de l’unisson primordiale extatique, qui est la
force de la création. Cette mise au diapason exige un sacrifice : être prêt à
changer, accepter de ne pas rester bloqué à un point de la roue, mais d’aller
de l’avant. Mais ce sacrifice n’implique pas de souffrance, et la vie, sous
tous ses aspects, lumière et ténèbres, croissance et disparition, est un
immense cadeau. Dans un monde, où la danse érotique du Dieu et de la Déesse est
la trame rayonnante de toute chose, nous, qui nous abandonnons à leur rythme,
nous serons bouleversés par le miracle et le mystère de l’existence.
extrait du livre : La
puissance de la Grande Déesse Chapitre II
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