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lundi 11 mai 2015

La figure féminine du divin


La fusion du masculin et du féminin est un des buts de la quête initiatique. L’union de l’homme et de la femme n’en est qu’un reflet symbolique. La seconde est fiançailles, la première est noce.



Evoquer aujourd’hui la franc-maçonnerie et la femme conduit immanquablement maçons ou profanes à s’interroger, polémiquer même sur ce que d’aucuns considèrent comme un ostracisme archaïque et d’autres comme une intangible tradition: la non-mixité de la maçonnerie régulière et la non-reconnaissance par celle-ci de la maçonnerie féminine. Ces questions, pour brûlantes qu’elles paraissent à la raison contemporaine, sont loin de couvrir l’entier du thème. Osons même dire d’emblée qu’aux yeux de l’initié, dans la perspective notamment de la maçonnerie spiritualiste du Régime écossais rectifié, de telles questions n’ont qu’une importance secondaire. Car par nature symboliste et initiatique, donc fondamentalement orientée vers le spirituel, la franc-maçonnerie invite d’abord à comprendre le rôle du féminin dans la quête initiatique, le développement personnel et le travail spirituel; cela avant de penser la place de la femme dans l’initiation maçonnique. Cette approche, qui est celle du présent article et en explique le titre, n’exclut toutefois pas quelques réflexions préalables sur cette dernière question.

Critique profane et regard initiatique

Homme et femme sont sans conteste égaux sur le plan de l’esprit. Les femmes peuvent accéder aux plus hautes vérités transcendantes, rayonner d’une profonde autorité morale ou spirituelle, et rien à cet égard ne justifie qu’elles soient privées du sacerdoce, dont les écartent pour d’autres raisons de nombreuses religions. La femme est donc indiscutablement initiable. Restent toutefois ouvertes les questions de savoir si la nature de l’initiation féminine est différente, si la franc-maçonnerie est une voie appropriée aux femmes ou encore si l’initiation et, partant, la maçonnerie peuvent être mixtes.

Notre époque peine à distinguer égalité des sexes et confusion des genres. La pensée dominante récuse toute différentiation des rôles sociaux fondée sur le sexe et prône la mixité dans tous les domaines. Aussi, le caractère exclusivement masculin de la maçonnerie régulière et celui majoritairement non-mixte des autres obédiences suscitent-ils incompréhension et critiques allant jusqu’au grief d’archaïsme patriarcal ou de sexisme sectaire. La mise à l’écart des femmes ou le rejet de la mixité peuvent certes paraître opposés à l’universalisme de la maçonnerie, contraires à une fraternité exempte de ségrégation. Mais cette situation découle à la fois de la tradition, à laquelle sont foncièrement attachés les maçons, et de la volonté de ceux-ci, dans leur actuelle majorité.
Les explications profanes à cette attitude de la maçonnerie envers les femmes ne manquent pas. Des sociologues y verront une survivance de la division sexuelle des tâches sociales et du travail, un avatar de l’appropriation du savoir et du pouvoir par une classe. 

Des anthropologues diront que les rites initiatiques des tribus primitives ont en particulier pour but l’identification sexuelle et l’intégration communautaire, qu’historiquement l’initiation des hommes et des femmes a toujours été séparée. Des psychanalystes freudiens réduiront cette attitude à un tabou né du refoulement de la libido ou à une forme de résolution du complexe d’OEdipe. Des moralistes enfin y chercheront l’empreinte d’un idéal ascétique universel de dépassement des désirs et de chasteté, de délivrance des contingences terrestres.

Plus prosaïquement, nombre de francs-maçons, et des maçonnes aussi, considèrent la non-mixité en loge comme relevant de la sagesse pratique. Au regard notamment de la morale maçonnique, les risques de la fraternité entre sexes sont évidents. Légitime est donc le souci d’éviter le désordre des sentiments et les tentations de la chair; comme celui de rassurer son partenaire ou préserver sa famille. Les faiblesses des hommes étant ce qu’elles sont, et celles des femmes n’étant pas moindres, la présence de l’autre sexe perturbe souvent pensée et comportement; le travail maçonnique rituel, intellectuel ou spirituel peut s’en trouver parasité. Notre monde est de plus en plus mixte, mais hommes et femmes n’en restent pas moins prisonniers de leur image; au delà des plaisirs conviviaux, le partage entre personnes du même sexe, sans le masque porté devant l’autre, a une valeur positive.

Ces critiques, explications profanes ou justifications pratiques ne permettent cependant pas de prendre la vraie mesure des rapports entre maçonnerie et femme. Elles suscitent des débats relevant d’ordinaire plus du politique que de l’initiatique, stériles car elles ignorent ce qui est pour nous essentiel: le sens du féminin dans les trois dimensions, symbolique, psychologique et spirituelle de la franc-maçonnerie. Or pour découvrir ce sens, propre à clarifier et relativiser le problème des relations entre hommes et femmes en maçonnerie, ce n’est pas dans quelque direction sociologique ou pragmatique qu’il faut chercher, mais dans la profondeur de l’âme humaine, dans les fondements et l’histoire de la pensée religieuse, dans la sagesse.


Jean-Pierre Augier, Union des Coeurs - Genève (Revue maçonnique suisse: août/septembre 2005)

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