La fusion du masculin et du féminin est
un des buts de la quête initiatique. L’union de l’homme et de la femme n’en est
qu’un reflet symbolique. La seconde est fiançailles, la première est noce.
Evoquer aujourd’hui la franc-maçonnerie
et la femme conduit immanquablement maçons ou profanes à s’interroger,
polémiquer même sur ce que d’aucuns considèrent comme un ostracisme archaïque
et d’autres comme une intangible tradition: la non-mixité de la maçonnerie
régulière et la non-reconnaissance par celle-ci de la maçonnerie féminine. Ces
questions, pour brûlantes qu’elles paraissent à la raison contemporaine, sont
loin de couvrir l’entier du thème. Osons même dire d’emblée qu’aux yeux de
l’initié, dans la perspective notamment de la maçonnerie spiritualiste du Régime
écossais rectifié, de telles questions n’ont qu’une importance secondaire. Car
par nature symboliste et initiatique, donc fondamentalement orientée vers le
spirituel, la franc-maçonnerie invite d’abord à comprendre le rôle du féminin
dans la quête initiatique, le développement personnel et le travail spirituel;
cela avant de penser la place de la femme dans l’initiation maçonnique. Cette
approche, qui est celle du présent article et en explique le titre, n’exclut
toutefois pas quelques réflexions préalables sur cette dernière question.
Critique
profane et regard initiatique
Homme et femme sont sans conteste égaux
sur le plan de l’esprit. Les femmes peuvent accéder aux plus hautes vérités
transcendantes, rayonner d’une profonde autorité morale ou spirituelle, et rien
à cet égard ne justifie qu’elles soient privées du sacerdoce, dont les écartent
pour d’autres raisons de nombreuses religions. La femme est donc
indiscutablement initiable. Restent toutefois ouvertes les questions de savoir
si la nature de l’initiation féminine est différente, si la franc-maçonnerie
est une voie appropriée aux femmes ou encore si l’initiation et, partant, la
maçonnerie peuvent être mixtes.
Notre époque peine à distinguer égalité
des sexes et confusion des genres. La pensée dominante récuse toute
différentiation des rôles sociaux fondée sur le sexe et prône la mixité dans
tous les domaines. Aussi, le caractère exclusivement masculin de la maçonnerie
régulière et celui majoritairement non-mixte des autres obédiences suscitent-ils
incompréhension et critiques allant jusqu’au grief d’archaïsme patriarcal ou de
sexisme sectaire. La mise à l’écart des femmes ou le rejet de la mixité peuvent
certes paraître opposés à l’universalisme de la maçonnerie, contraires à une
fraternité exempte de ségrégation. Mais cette situation découle à la fois de la
tradition, à laquelle sont foncièrement attachés les maçons, et de la volonté
de ceux-ci, dans leur actuelle majorité.
Les explications profanes à cette
attitude de la maçonnerie envers les femmes ne manquent pas. Des sociologues y
verront une survivance de la division sexuelle des tâches sociales et du
travail, un avatar de l’appropriation du savoir et du pouvoir par une classe.
Des anthropologues diront que les rites initiatiques des tribus primitives ont
en particulier pour but l’identification sexuelle et l’intégration
communautaire, qu’historiquement l’initiation des hommes et des femmes a
toujours été séparée. Des psychanalystes freudiens réduiront cette attitude à
un tabou né du refoulement de la libido ou à une forme de résolution du
complexe d’OEdipe. Des moralistes enfin y chercheront l’empreinte d’un idéal
ascétique universel de dépassement des désirs et de chasteté, de délivrance des
contingences terrestres.
Plus prosaïquement, nombre de
francs-maçons, et des maçonnes aussi, considèrent la non-mixité en loge comme
relevant de la sagesse pratique. Au regard notamment de la morale maçonnique,
les risques de la fraternité entre sexes sont évidents. Légitime est donc le
souci d’éviter le désordre des sentiments et les tentations de la chair; comme
celui de rassurer son partenaire ou préserver sa famille. Les faiblesses des
hommes étant ce qu’elles sont, et celles des femmes n’étant pas moindres, la
présence de l’autre sexe perturbe souvent pensée et comportement; le travail
maçonnique rituel, intellectuel ou spirituel peut s’en trouver parasité. Notre
monde est de plus en plus mixte, mais hommes et femmes n’en restent pas moins
prisonniers de leur image; au delà des plaisirs conviviaux, le partage entre
personnes du même sexe, sans le masque porté devant l’autre, a une valeur
positive.
Ces critiques, explications profanes ou
justifications pratiques ne permettent cependant pas de prendre la vraie mesure
des rapports entre maçonnerie et femme. Elles suscitent des débats relevant
d’ordinaire plus du politique que de l’initiatique, stériles car elles ignorent
ce qui est pour nous essentiel: le sens du féminin dans les trois dimensions,
symbolique, psychologique et spirituelle de la franc-maçonnerie. Or pour
découvrir ce sens, propre à clarifier et relativiser le problème des relations
entre hommes et femmes en maçonnerie, ce n’est pas dans quelque direction
sociologique ou pragmatique qu’il faut chercher, mais dans la profondeur de
l’âme humaine, dans les fondements et l’histoire de la pensée religieuse, dans
la sagesse.
Jean-Pierre Augier, Union des Coeurs -
Genève (Revue maçonnique suisse: août/septembre 2005)
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