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dimanche 21 décembre 2014

Working Witch / La Sorcière d’Aujourd’hui



une sorcière : femme au chapeau pointu dans les légendes, concoctant des potions étranges au dessus de son chaudron fumant, tantôt bonne, tantôt Carabosse. Toujours une féminité étrange, mystérieuse et  dangereuse, avec un fumet d’archaïsme et de recettes de bonnes femmes de nos terroirs.



Beaucoup revendiquent encore, dans le cadre du paganisme, une certaine forme de cette sorcière. Néo-baba cool sans avoir, en général, jamais connu ni les années 60, ni les années 70 ; la femme sauvage qu’est la sorcière dans nos esprits erre pieds nus de par les forêts et les landes, dans une harmonie avec la Mère et se salissant plutôt à la boue qu’au bitume et à la pollution des villes.

Oui mais voilà, les chiffres affichent actuellement pour la France un taux voisinant les 77% de population urbaine. Les sorcières se seraient-elles donc toutes retranchées dans les 23% de ruraux ? Voilà qui est peu probable, et qui l’est nettement moins encore quand on connait un peu le visage des paganisants, occultisants et autres wanabee amoureux et protecteurs de la nature, qui ont tous leur PC, leur connexion ADSL et qui échangent régulièrement par le net trucs et astuces pour bien remuer le chaudron et bien savoir enlever les baskets pour mieux courir dans les forêts urbaines ou les parcs de centre ville... Si si, c’est la vraie nature ! C’est ce qu’on enseigne aux enfants dans certaines écoles. Aussi discutable que ce genre d’allégation puisse paraître, c’est un fait, pour certains, la nature peut très bien se trouver entre deux pots d’échappement. Ma foi, tant mieux, c’est du CO2 dont se nourrissent les plantes. Comme on les aime, dans les grandes villes ! Comme on les nourrit bien ! C’est-y pas beau tout ça ?

Quoiqu’il en soit, cette réalité est de plus en plus appelée à affecter notre image de la sorcière traditionnelle. Nombreuses sont les méditations, dans la tradition dianique, invitant à entrer en contact avec notre sorcière intérieure afin de la nourrir et de lui permettre de se développer librement, hors des carcans et des préjugés. Après une certaine période où j’étais plus tournée vers la prêtresse en moi, signe de nécessité des temps de dévouement, de sacrifice et de don de soi, une sorte de balance interne m’indiqua clairement qu’il était temps de revenir à la sorcière, de la réclamer et de me la réapproprier. Ironiquement, c’est Aradia, celle que je considère comme «sans Histoire» que je choisis comme guide, cette année. Aradia, la sorcière ancienne et terriblement moderne. J’ai relu le premier chapitre de Gospel of Witches de Leland, et tout au long de la lecture, je voyais les gratte-ciels, les voitures, les métros et les trams, et nous tous, les esclaves, les pauvres englués dans les marasmes d’un système économique en crise. Des citadins qui doivent travailler dur souvent pout une maigre pitance, travailler comme des forcenés pour des maîtres, des seigneurs, qui nous mènent au fouet et nous considèrent avec condescendance comme la main d’œuvre nécessaire, des machines qu’il convient de satisfaire juste assez pour éviter que leur pouvoir ne se trouve mis en danger par de justes rébellions. Aucune image pseudo-médiévalisante ou fantaisiste ne me vint, rien que la très crue réalité, celle que nous expérimentons dans le quotidien, celle que nous voyons à la télé ou que nous lisons dans les journaux.

Je suis donc passée à cette fameuse méditation, visant à trouver cette sorcière intérieure, faire le point avec elle, pour donner un nouveau souffle, un nouveau départ. Et ma sorcière n’était pas penchée sur un chaudron, ma sorcière n’était pas nue dans la nature. Ma sorcière était une business woman dans un bureau de centre d’affaires. Une femme de pouvoir, qui a trimé pour en arriver là, qui a dû prouver sa valeur dans un monde   d’hommes pétris encore de préjugés, malgré les années passées depuis la libération de la femme. Une business witch en veste et chemise, avec pantalon noir, comme toute bonne femme d’affaires. Elle avait gagné son pouvoir dans ce monde il n’y a pas si longtemps encore réservé aux hommes, et pourtant, elle semblait enfermée dans ce bureau qui aurait étouffé le premier claustrophobe venu. Tout était artificiel, l’atmosphère était dénuée de tout sentiment, c’était juste un vrai bureau impersonnel aseptisé, qui plus est, un bureau «open space». L’endroit idéal où se dessécher. Ainsi, c’était donc cela, notre victoire ? Notre droit de nous assécher dans un monde de requins et d’y participer pleinement, transformant les femmes en créatures pires parfois que les modèles masculins eux-mêmes ?

Mais non, en fait, bien qu’à l’étroit, ma sorcière avait, au coin des lèvres, un petit sourire malicieux. Elle cachait un bras derrière son dos, et de ses pieds s’enfonçaient dans le sol bétonné des racines capables de trouver le chemin jusqu’à la terre noire nourricière. Que cachait donc ma sorcière moderne ? Il fut évident qu’elle cachait là son réel pouvoir, celui qu’elle ne peut encore se permettre de révéler à la face d’un tel monde dont elle a accepté les règles pour réussir. Ses armes sont des signes, des mots de pouvoir, un regard, des connaissances cachées derrière ce sourire mutin, son contact inchangé à la terre où qu’elle soit. Plus encore, ce contact avec les forces urbaines qui existent au même titre que celles que l’on trouve dans la campagne, le contact des champs électriques, des vibrations, des connexions. Tout ce que l’on doit connaître et contrôler si l’on ne veut pas en être la victime. Tout ce que l’on peut apprendre à aimer aussi, tout comme on se prend d’affection pour le vilain petit canard qui semble inutile et laid. Plus que jamais, elle est sorcière et mène son dur combat pour la liberté. Pour la liberté d’exister dans un système qu’elle n’a pas choisi mais qu’elle refuse de subir, qu’elle refuse tout autant de fuir. La sorcière est de ce monde, mais d’un monde imaginé qui n’exista jamais et n’existera jamais. La sorcière agit dans l’ici et maintenant. Elle prend ce qu’on veut bien lui tendre pour chercher le moyen de le transformer en or. Et si on ne lui tend pas, elle réclame. Et si malgré tout, on ne lui donne pas ?... Eh bien baste ! La sorcière prend. Depuis quand Aradia demande-t-elle l’autorisation ?


Source : Revue Wicane

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