Tout a commencé lorsque le cocotier poussa de la tête d’un serpent de
mer, ou plutôt d’un serpent mère. Ses yeux et sa bouche sur chacun des fruits
rappellent à chacun le visage de la mère du cocotier. Les fruits, dont les yeux
pointaient jadis vers le sol, observaient les malheureux passants pour les tuer
en se laissant tomber sur leur tête. Un jeune homme de Maewo flécha et retourna
les fruits de cocotier qui aujourd’hui, aveugles, ne font plus de mal aux êtres
humains. On peut ainsi dévisager la mère serpent sans crainte lorsque le fruit
est détaché de son inflorescence par sa bouche (le pore germinatif) nous nous
délectons d’une boisson délicieuse, médicinale et magique qui n’est autre que
le sang d’une mère particulièrement importante dans un système matrilinéaire où
les enfants héritent le sang de leur mère. En mangeant la chair de l’amande,
c’est un morceau du "corps de la mère" que nous ingérons.
Non loin des Iles Banks, aux Torres, il ne s’agit pas d’un serpent de
mer, mais d’une anguille qui se transforme en un magnifique garçon après avoir
mangé de manière répétitive de l’igname. Il attirera l’amour féminin et par
conséquent déclenchera des jalousies masculines ; il devra se
retransformer en anguille pour retourner dans son milieu marin et ainés éviter
la mort que lui promettaient les hommes du village. L’anguille malgré sa
bienveillance et sa modestie en engendre les sentiments les plus violents chez
les hommes (et non les femmes) allant de la jalousie au meurtre. Aux Torres,
l’anguille se transforme en homme en inhalant des tubercules d’ignames alors
qu’à Mota elle donnera vie à l’un des arbres les plus utiles pour les
hommes et les femmes de l’île. Cette
transformation d’un animal en être humain (beau jeune homme ou mère d’une belle
jeune fille) est commune en Mélanésie. C’est donc la relation entre les
personnes et les objets personnifiés qui devient "la cible des affaires
locales".
La création du cocotier a nécessité le sacrifice par une mort violente,
le feu, de la mère serpent. Cette mort rôde désormais autour du couple
cocotier/homme. Ainsi, l’objet symbolisant la magie noire (bourre de coco, os
brûlés et autres ingrédients) a été enterré non seulement sous le lit de
l’homme visé mais aussi sous le cocotier qu’il avait planté. Les sorts du cocotier
et de son planteur sont liés. De même, lorsqu’un contrat de mariage est conclu,
deux cocotiers sont plantés côté à côte : la mort de l’un des deux présage
du décès d’un des deux futurs mariés.
Enfin, un type de cocotier de forme spicata dénommé mötô taktak (les
fruits sont directement attachés à l’axe centre de l’inflorescence) est un
cocotier de mauvaise chance. Si l’on en a un dans son jardin, on mourra jeune.
Si l’on remarque un jour que le nombre fruits sur l’infrutescence correspond au
nombre de ses frères et sœurs, et si le lendemain un des fruits est tombé,
alors un enfant de la famille décèdera prochainement.
Dans une histoire de Mota Lava, les folioles en mouvement, alors que le
vent ne soufflait pas, indiquèrent à une femme se rendant au jardin la mort de
sa mère restée à la maison. De plus, sur cette même île, on raconte que si le
héros commun au groupe des Banks, Qet, crée les êtres humains en sculptant des
morceaux de bois, l’araignée Malawa annonça l’arrivée de la mort en enterrant
ses sculptures humaines sur des nattes tressées de folioles de cocotier. Ainsi,
cocotiers et êtres humains sont liés par un contrat de vie et de mort ; le
cocotier, l’"alter ego vivant" de l’Homme (Giambeli 1998)
l’accompagne de sa naisse jusqu’à sa mort.
D’autres exemples de ce type existent dans le Pacifique. Pour préserve
la santé d’une nouvelle mère de Nauru, le placenta, ibi, doit être
immédiatement enterré au pied d’un cocotier, ini, planté devant la maison. Le
sort de l’enfant et du cocotier sera dorénavant lié (Petit-Skinner 1983).
Pour que le destin d’une plante reflète celui d’un être humain, la
plante doit présenter des qualités dignes du monde des Hommes ; de ce
fait, que ce soit à travers l’histoire du cocotier mötö vavan à Vëtuboso ou
celle de Pentecôte, le cocotier est un être doué de raison et
d’intelligence. Mieux que le bananier
qui meurt chaque année ou que le sagoutier qui s’éteint lors de son unique
fructification, le cocotier, par sa patience et sa réflexion, a su se préserver
d sa mort certaine en vivant plus longtemps et en produisant des fruits chaque
mois. Lors de ses promenades sur Reef Istalnd, ce sont ses fruits qui
disparaissent ; ils portent comme les têtes des Hommes, sa conscience.
Le cocotier laisse ses attributs végétatifs ancrés dans le sol de
l’île, mais possède la capacité de voyager vers d’autres lieux grâce à ses
fruits. N’est-ce pas cette stratégie qui a permis au cocotier de diffuser ses
semences dans tout le Pacifique ?
Le cocotier est donc doué d’intelligence, mais il présente aussi les
mêmes cycles biologiques qu’une femme.
Fertile à sept ans, il rentrera lentement en "ménopause" vers
50 ans pour s’éteindre à plus de 81 ans. Durant sa vie, un organe fertile sera
produit chaque mois. Après fécondation, chaque fleur mettra 9 à 10 mois à se
transformer en fruits suffisamment matures pour se détacher de leur mère et
vivre une autre vie. ses enfants souvent illégitimes, car d’origine paternelle
inconnue, vivront non loin de leur mère ou prendront le large, voguant sur
cette étendue d’eau, l’océan. Ces descriptions biologiques s’illustrent au
mieux dans le mythe d’origine des gens de Lotowan, que l’on appelait
anciennement les gens de Maligo, sur l’île de Mota. Leur ancêtre commun est une
petite fille qui tomba d’un cocotier comme une noix de coco.
Plus qu’un visage, ses fruits peuvent être comparés à des seins de
jeune filles comme le montre le nom d’une des catégories nommées de cocotiers,
le mötö wësusuḿalḿal "cocotier / poitrine de jeune fille ou flèche
empoisonnée", dont les fruits sont ronds avec une petite pointe. L’eau des
fruits de cocotier présente également une certaine analogie avec le fait
maternel, et dès sa naissance, l’enfant devait jadis avaler de l’eau de coco.
Le cocotier présente ainsi toutes les caractéristiques d’une femme, et
plus précisément d’une mère. Comme d’autres en Indonésie, les habitants de
Vanua Lava soulignent très justement la valeur reproductrice du cocotier
lorsqu’ils offrent des fruits en germination à l’occasion d’un mariage ;
la fertilité de la jeune mariée est honorée à travers ces offrandes. A Bali la
fertilité du cocotier est relevée par les hommes et non les femmes. Lors de la
plantation d’un cocotier, un homme doit avoir son fils, l’héritier masculin, à
cheval sur ses épaules. Dans le golfe du Bengale, sur Nicobar, une femme
enceinte doit limiter ses relations avec les cocotiers en n’en coupant pas, en
n’en buvant pas l’eau des fruits, en n’utilisant pas un fruit qui n’a pas été
débourré ou en ne courbant pas une palme ou une inflorescence. En réalité, sur
ces îles, depuis la naissance jusqu’à la mort, le cocotier est le
"miroir" de ses habitants, et "l’étude de la société est
incomplète sans l’étude du cocotier".
Au Cambodge, la vie d’une femme âgée est prolongée si sa mort et sa
renaissance sont mimées par la destruction d’un corps de substitution, dont la
tête est représentée par une noix de coco et des paquets de riz, les côtes par
des bananes et le squelette par des morceaux de canne à sucre. De plus, chaque
femme médium possède un "maître de naissance" matérialisé par un
objet, le Kachom, dont l’éliment principal est une noix
de coco (Ang 2005).
EXTRAIT de la Thèse de Sophie
Caillon (2005)
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