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jeudi 19 mars 2015

LES MYTHES FEMININS AVEC LE COCOTIER



Tout a commencé lorsque le cocotier poussa de la tête d’un serpent de mer, ou plutôt d’un serpent mère. Ses yeux et sa bouche sur chacun des fruits rappellent à chacun le visage de la mère du cocotier. Les fruits, dont les yeux pointaient jadis vers le sol, observaient les malheureux passants pour les tuer en se laissant tomber sur leur tête. Un jeune homme de Maewo flécha et retourna les fruits de cocotier qui aujourd’hui, aveugles, ne font plus de mal aux êtres humains. On peut ainsi dévisager la mère serpent sans crainte lorsque le fruit est détaché de son inflorescence par sa bouche (le pore germinatif) nous nous délectons d’une boisson délicieuse, médicinale et magique qui n’est autre que le sang d’une mère particulièrement importante dans un système matrilinéaire où les enfants héritent le sang de leur mère. En mangeant la chair de l’amande, c’est un morceau du "corps de la mère" que nous ingérons.

Non loin des Iles Banks, aux Torres, il ne s’agit pas d’un serpent de mer, mais d’une anguille qui se transforme en un magnifique garçon après avoir mangé de manière répétitive de l’igname. Il attirera l’amour féminin et par conséquent déclenchera des jalousies masculines ; il devra se retransformer en anguille pour retourner dans son milieu marin et ainés éviter la mort que lui promettaient les hommes du village. L’anguille malgré sa bienveillance et sa modestie en engendre les sentiments les plus violents chez les hommes (et non les femmes) allant de la jalousie au meurtre. Aux Torres, l’anguille se transforme en homme en inhalant des tubercules d’ignames alors qu’à Mota elle donnera vie à l’un des arbres les plus utiles pour les hommes  et les femmes de l’île. Cette transformation d’un animal en être humain (beau jeune homme ou mère d’une belle jeune fille) est commune en Mélanésie. C’est donc la relation entre les personnes et les objets personnifiés qui devient "la cible des affaires locales".

La création du cocotier a nécessité le sacrifice par une mort violente, le feu, de la mère serpent. Cette mort rôde désormais autour du couple cocotier/homme. Ainsi, l’objet symbolisant la magie noire (bourre de coco, os brûlés et autres ingrédients) a été enterré non seulement sous le lit de l’homme visé mais aussi sous le cocotier qu’il avait planté. Les sorts du cocotier et de son planteur sont liés. De même, lorsqu’un contrat de mariage est conclu, deux cocotiers sont plantés côté à côte : la mort de l’un des deux présage du décès d’un des deux futurs mariés.

Enfin, un type de cocotier de forme spicata dénommé mötô taktak (les fruits sont directement attachés à l’axe centre de l’inflorescence) est un cocotier de mauvaise chance. Si l’on en a un dans son jardin, on mourra jeune. Si l’on remarque un jour que le nombre fruits sur l’infrutescence correspond au nombre de ses frères et sœurs, et si le lendemain un des fruits est tombé, alors un enfant de la famille décèdera prochainement.

Dans une histoire de Mota Lava, les folioles en mouvement, alors que le vent ne soufflait pas, indiquèrent à une femme se rendant au jardin la mort de sa mère restée à la maison. De plus, sur cette même île, on raconte que si le héros commun au groupe des Banks, Qet, crée les êtres humains en sculptant des morceaux de bois, l’araignée Malawa annonça l’arrivée de la mort en enterrant ses sculptures humaines sur des nattes tressées de folioles de cocotier. Ainsi, cocotiers et êtres humains sont liés par un contrat de vie et de mort ; le cocotier, l’"alter ego vivant" de l’Homme (Giambeli 1998) l’accompagne de sa naisse jusqu’à sa mort.

D’autres exemples de ce type existent dans le Pacifique. Pour préserve la santé d’une nouvelle mère de Nauru, le placenta, ibi, doit être immédiatement enterré au pied d’un cocotier, ini, planté devant la maison. Le sort de l’enfant et du cocotier sera dorénavant lié (Petit-Skinner 1983).

Pour que le destin d’une plante reflète celui d’un être humain, la plante doit présenter des qualités dignes du monde des Hommes ; de ce fait, que ce soit à travers l’histoire du cocotier mötö vavan à Vëtuboso ou celle de Pentecôte, le cocotier est un être doué de raison et d’intelligence.  Mieux que le bananier qui meurt chaque année ou que le sagoutier qui s’éteint lors de son unique fructification, le cocotier, par sa patience et sa réflexion, a su se préserver d sa mort certaine en vivant plus longtemps et en produisant des fruits chaque mois. Lors de ses promenades sur Reef Istalnd, ce sont ses fruits qui disparaissent ; ils portent comme les têtes des Hommes, sa conscience.

Le cocotier laisse ses attributs végétatifs ancrés dans le sol de l’île, mais possède la capacité de voyager vers d’autres lieux grâce à ses fruits. N’est-ce pas cette stratégie qui a permis au cocotier de diffuser ses semences dans tout le Pacifique ?

Le cocotier est donc doué d’intelligence, mais il présente aussi les mêmes cycles biologiques qu’une femme.

Fertile à sept ans, il rentrera lentement en "ménopause" vers 50 ans pour s’éteindre à plus de 81 ans. Durant sa vie, un organe fertile sera produit chaque mois. Après fécondation, chaque fleur mettra 9 à 10 mois à se transformer en fruits suffisamment matures pour se détacher de leur mère et vivre une autre vie. ses enfants souvent illégitimes, car d’origine paternelle inconnue, vivront non loin de leur mère ou prendront le large, voguant sur cette étendue d’eau, l’océan. Ces descriptions biologiques s’illustrent au mieux dans le mythe d’origine des gens de Lotowan, que l’on appelait anciennement les gens de Maligo, sur l’île de Mota. Leur ancêtre commun est une petite fille qui tomba d’un cocotier comme une noix de coco.
Plus qu’un visage, ses fruits peuvent être comparés à des seins de jeune filles comme le montre le nom d’une des catégories nommées de cocotiers, le mötö wësusuḿalḿal "cocotier / poitrine de jeune fille ou flèche empoisonnée", dont les fruits sont ronds avec une petite pointe. L’eau des fruits de cocotier présente également une certaine analogie avec le fait maternel, et dès sa naissance, l’enfant devait jadis avaler de l’eau de coco.

Le cocotier présente ainsi toutes les caractéristiques d’une femme, et plus précisément d’une mère. Comme d’autres en Indonésie, les habitants de Vanua Lava soulignent très justement la valeur reproductrice du cocotier lorsqu’ils offrent des fruits en germination à l’occasion d’un mariage ; la fertilité de la jeune mariée est honorée à travers ces offrandes. A Bali la fertilité du cocotier est relevée par les hommes et non les femmes. Lors de la plantation d’un cocotier, un homme doit avoir son fils, l’héritier masculin, à cheval sur ses épaules. Dans le golfe du Bengale, sur Nicobar, une femme enceinte doit limiter ses relations avec les cocotiers en n’en coupant pas, en n’en buvant pas l’eau des fruits, en n’utilisant pas un fruit qui n’a pas été débourré ou en ne courbant pas une palme ou une inflorescence. En réalité, sur ces îles, depuis la naissance jusqu’à la mort, le cocotier est le "miroir" de ses habitants, et "l’étude de la société est incomplète sans l’étude du cocotier".

Au Cambodge, la vie d’une femme âgée est prolongée si sa mort et sa renaissance sont mimées par la destruction d’un corps de substitution, dont la tête est représentée par une noix de coco et des paquets de riz, les côtes par des bananes et le squelette par des morceaux de canne à sucre. De plus, chaque femme médium possède un "maître de naissance" matérialisé par un objet, le Kachom, dont l’éliment principal est une noix de coco (Ang 2005).

EXTRAIT de la Thèse de Sophie Caillon (2005)

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