À La Réunion, les femmes connaissent fréquemment une trentaine de
végétaux d’utilisation courante, aux usages tant préventifs que curatifs.
Quoique la manière de les employer soit relativement moins connue des jeunes
que des aînées, la connaissance de ces plantes, de leurs effets et des
préparations possibles constituent dans la plupart des familles un fond commun
de culture populaire thérapeutique. Une enquête menée en 2006 dans les Hauts de
La Réunion (Le Tampon) auprès d’élèves de CM1 (âgés donc de 9 ans en moyenne) a
montré que les enfants avaient connaissance, par transmission familiale, en
général par leur mère ou leur grand-mère, d’une dizaine de plantes médicinales
d’usage courant, y compris leurs conditions de culture ou de récolte et, dans
certains cas, la manière de préparer les tisanes. Souvent, quand un jardin
familial existe, ces végétaux y sont plantés. À ce niveau de pratique
domestique, la préparation est simple : les plantes, feuilles, tiges, fleurs ou
racines sont généralement mises à bouillir et consommées sous forme d’infusion.
Il est à noter que les connaissances des aînées sont dans l’ensemble beaucoup
plus précises et complexes que les recettes données par les plus jeunes, ce qui
tendrait à accréditer une double hypothèse : UÊ celle de savoirs qui seraient
acquis tout au long de la vie et qui expliqueraient que les aînées soient plus
expérimentées que les inter- locutrices les plus jeunes ; UÊ celle d’une déperdition
actuelle des savoirs.
Ainsi, pour une même pathologie – un muguet dans la bouche des petits
enfants – Christine, 30 ans, conseille de frotter l’intérieur de la bouche avec
un morceau de tissu trempé dans une infusion de cochléaria à laquelle est ajouté
un peu de miel.
Le même schéma est globalement présent à Maurice, avec cependant de
très importantes variations dans les connaissances en fonction de l’âge, de
l’origine et du milieu social des femmes interrogées : plus les femmes sont
jeunes, plus leur niveau d’études est élevé, plus elles semblent avoir rejeté
les savoirs traditionnels. À l’inverse, plus les femmes sont âgées, plus elles
connaissent de plantes et de recettes de remèdes. Cette grande disparité entre
les générations s’explique sans doute en partie par la hausse du niveau
d’études des femmes, ainsi que par l’importance, elle aussi croissante, de
l’offre médicale, qu’elle soit ou non biomédicale.
À Maurice, cette dernière prend une ampleur croissante en raison,
notamment, de la création récente d’un cursus d’études médicales dans l’île. La
médecine populaire y est souvent niée ou dévalorisée par les médecins, qui
parlent à son sujet de croyances, voire d’obscurantisme. Le fait se retrouve à
La Réunion, mais dans une moindre mesure. Le manque de médecins et le nombre
particulièrement limité de recours biomédicaux excluent Rodrigues de ce schéma.
Depuis une vingtaine d’années, la biomédecine vient de plus en plus
court-circuiter le recours aux simples en milieu familial, l’utilisation de
végétaux apparaissant comme socialement connotée (médecine des pauvres), même
si, dans les faits, elle est encore massivement employée. Les jeunes femmes
font toujours appel à leurs aînées quand elles ont besoin d’un remède qu’elles
ne savent pas préparer. Ce phénomène se retrouve sur les trois îles. La
connaissance des plantes semble également diminuer en raison de l’arrivée, sur
le « marché » des soins, d’autres médecines au pouvoir de guérison reconnu. À
Maurice, autre alternative à la médecine occidentale moderne, la médecine
chinoise, connue depuis longtemps, s’affirme comme un recours important et
réputé ; en parallèle, depuis une quinzaine d’années, la médecine ayurvédique
tend à s’implanter, associée au désir de retour aux origines d’une partie de la
population mauricienne d’origine indienne. Enfin, depuis un peu moins de dix
ans, les naturopathes ont fait leur apparition dans l’île. Leur discours à
connotation scientifique tend à rassurer certains parmi les jeunes générations
qui, sous prétexte de désir de modernité, refusent une partie de leur
patrimoine culturel (avant, d’ailleurs, le plus souvent, d’y revenir quelques
années plus tard) et substituent volontiers des élixirs vendus à prix élevé aux
simples cultivés par leurs mères et leurs grands-mères.
Les modes de préparation relevés dans les familles comprennent
l’ensemble des possibilités de préparation thérapeutique : infusions,
décoctions, onguents, emplâtres et cataplasmes, bains, préparations composées
ou spécifiques à des végétaux donnés. Et les très nombreuses recettes
collectées ont été fournies tant par de jeunes mères que par des femmes plus
âgées. En outre, le nombre des plantes connues et employées par toutes est
beaucoup plus élevé qu’il ne l’est à La Réunion ou à Maurice. Il se situe,
selon les femmes, entre 30 et 50 plantes, qui sont soit cultivées dans les
jardins, soit ramassées sur le bord des routes ou dans les étendues sauvages
(au sens de non cultivées), soit enfin récoltées en forêt.
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