Pour cet
article-invité que Francesca m'a gentiment autorisé à faire, j'ai beaucoup
hésité entre présenter un article entièrement de mon crû, ou l'axer davantage
vers une présentation de l'œuvre de celle que je considère comme mon mentor
spirituel dans tout ce qui concerne les mythes de la Déesse.
J'ai finalement
opté pour une présentation de celle qui, à mes yeux, reste la plus grande
spécialiste du sujet.
Françoise Gange
était une personnalité hors norme. Née en 1944, philosophe, sociologue et
ethnologue de renommé, mais également écrivain, elle a étudié pendant des
décennies les mythes du monde entier et leurs origines les plus lointaines.
Elle s'intéressait également aux énergies et était énergéticienne et
lithothérapeute.
Elle a publié,
entre autres, trois œuvres majeures qui s'organisent comme une trilogie autour
de l'histoire de la religion de la grande Déesse. Je n'ai jamais rien lu de
plus documenté sur le sujet, Françoise Gange retournant à l'origine première
des mythes ayant structuré les religions patriarcales, telles qu'elles nous
sont parvenues. Grâce à sa grande connaissance des symboles qu'elle maîtrisait
à la perfection, elle est parvenue à mettre au jour l'origine matriarcale des
mythologies et à expliquer comment elles ont été recouvertes, petit à petit,
par un tissu de plus en plus patriarcal, et ce jusqu'à ce que l'origine
première des mythes de la Déesse ait été perdue.
J'ai découvert sa
trilogie lors de sa réédition aux Editions Alphée en 2008, mais malheureusement
pour moi, j'ai attendu le mois de mai 2011 pour essayer d'entrer en contact
avec elle, par le biais de son éditeur. Mal m'en a pris d'avoir d'attendu si
longtemps, je n'ai jamais pu obtenir le moindre contact de Françoise Gange
puisque c'était le moment précis où son âme avait décidé de quitter son corps…
Quoi qu'il en soit,
ses œuvres sont à lire à tout prix si vous vous intéressez aux religions de la
Déesse. Dans cet article, je vais donc présenter un extrait de chacun des
livres qui constituent sa trilogie sur l'ancienne religion de la Grande Déesse,
et qui s'organisent comme suit :
• Avant les Dieux, la Mère universelle : traite du temps où l'humanité était placée sous la
protection de la Grande Mère universelle, et comment, à partir de la fin de
l'âge du Bronze, cette culture a commencé à être renversé par le nouvel ordre
du Dieu Père dominant qui l'a non seulement
démonisée, mais a été jusqu'à en effacer sa trace dans la mémoire
collective, se faisant passer pour le Commencement.
• Jésus et les femmes :
est davantage axé sur le Jésus de la Gnose, d'après les Evangiles de Nag
Hammadi, retrouvés en 1945 dans le désert d'Egypte. Ces Evangiles interdits
nous révèlent l'enseignement gnostique de Jésus, qui était un maître spirituel
ami des femmes et de la sphère féminine de l'humain, et constamment entouré de
disciples à la fois masculins et féminins. Son message mal transmis prônait la
compassion, l'ouverture à l'autre et au monde, et l'amour à la fois spirituel
et charnel qui unit l'homme et la femme.
• Le viol d'Europe ou le féminin bafoué : nous présente en
détail l'idéologie qui se cache derrière le mythe grec d'Europe, enlevée et violée
par Zeus, le Dieu Père déguisé en Taureau. Ce livre analyse plus spécifiquement
les causes de la violence envers le féminin qui caractérise les sociétés
patriarcales, et comment ce mythe est porteur des fondements de la culture
européenne, caractérisée par l'hypertrophie des qualités viriles conquérantes
et un déficit du féminin.
Extrait
de Avant les Dieux, la Mère universelle,
Editions Alphée, 2008, p.71-72
Les
sources de la monarchie de droit divin
La monarchie de droit divin n'est pas étrangères
aux coutumes sexuelles sacrées (hiérogamies) qui, bien au contraire, la
fondent.
Pour le comprendre, il faut se replacer à
l'époque de la Déesse. La royauté de droit divin est alors dispensée par la
Déesse à la Grande Prêtresse (la Nin)
qui l'incarne sur terre, cumulant, dans une société où la vie de la communauté
gravite autour du temple, deux fonctions qui n'étaient pas séparées : celle de
Grande Prêtresse et celle de reine.
Frazer a montré ainsi qu' « à Khyrim,
la Grande Prêtresse était automatiquement le chef de l'Etat. Plus généralement,
on voit, à travers les mythes de Sumer et dans divers recueils de textes
rédigés à l'époque des rois, qu'originellement la Nin, Grande Prêtresse-Reine ou Déesse vivante, régnait entourée de
conseils d'anciens. »
C'est ainsi que certains textes datés de
l'époque historique, sous le règne des rois mâles, regrettent explicitement
cette réalité ancienne qui gravitait autour du divin féminin, parce que la vie
y était meilleure et moins injuste. Ces textes précisent que désormais les
puissants s'attribuent la majorité des richesses ; tandis que jadis, récoltes
et répartitions des biens régis par le temple étaient communautaires. Les
textes des réformes entreprises par le roi Urukagina (vers -2355 av. J.-C.)
notent par exemple que le souverain, voulant revenir à une société plus juste,
s'inspire d'attitudes communautaires qui prévalaient aux temps antérieurs.
Il est intéressant de remarquer comme le
fait M. Stone dans son livre Quand Dieu
était femme, que le terme utilisé pour caractériser ces réformes, amargi, a reçu une double traduction :
« liberté » et « retour à la mère ». De même, la notion de
Justice est incarnée en Egypte par Maât, la Grande Déesse. Elle est symbolisée
par la plume d'Oiseau, légère, qui sert à évaluer le poids du cœur des morts se
présentant pour le Jugement : « Sur les plateaux, le cœur est mis en
balance avec la plume légère de la Déesse […]. Ne pas mentir, c'est parler
selon Maât." L'égoïsme, la violence comme le mensonge, en Egypte, s'opposent
à Maât, la Grande Mère »,
Conditionnés par la vision patriarcale de
leur culture, la majorité des auteurs a interprété à l'envers le processus qui
conduit à la royauté. Ils disent que lorsqu'une femme accédait par le mariage à
la royauté, elle devenait alors Grande Prêtresse-reine. A l'origine, c'est
l'inverse qui est vrai : sous le règne du divin féminin, c'est par son union
avec la Nin, qui incarne la Déesse
sur terre, que le mâle devient roi.
Extrait
de Jésus et les femmes, Editions
Alphée, 2008, p.53
L'enseignement de Jésus invite donc à
passer outre les déterminations particulières de sexe, pour s'élever vers
l'être authentique et atteindre à l'universalité de l'essence. Pour lui, l'être
est un, à la fois mâle et femelle. Idée qui est aussi au centre du Tao. Faire
de deux un seul, c'est atteindre la plénitude, c'est-à-dire le Royaume, en
revenant à l'unité primordiale. On voit en quoi cet enseignement est
révolutionnaire : il est à l'opposé de ce que postule la religion judaïque
étayée sur l'idée de hiérarchie et sur la disparité des rôles échus au masculin
et au féminin ; l'un étant invité à dominer, tandis que l'autre est appelé à se
soumettre. On peut ainsi aisément comprendre les heurts de Jésus avec les
autorités du Temple, gardiennes des traditions.
La question de la séparation rigoureuse, ou
au contraire de la réunion entre féminin et masculin, apparaît ainsi comme un
point central des divergences entre Yahvisme et enseignement de Jésus.
Cette idée de la réunion et de la fusion
nécessaire des contraires en soi-même est encore exprimée un peu plus loin dans
ce même Evangiles selon Thomas :
Si deux sont l'un avec l'autre en paix dans la même
maison, ils
diront à la Montagne :"Déplace-toi!", et
elle se déplacera.
Parvenir à la paix qui repose sur la
réconciliation des antagonismes, c'est entrer en possession de son être
véritable et trouver la racine de la Puissance ; non pas au sens d'une
domination s'exerçant sur l'extérieur, mais au sens de la force intérieure
maîtrisée. Celui qui a opéré en lui-même la réconciliation des contraires (ce
qui jadis était en guerre) est devenu tout-puissant, plus rien ne peut
l'ébranler. Cette "maison" en paix, c'est l'âme enfin retrouvée. Qui
suit cette voie deviendra comme Jésus, deviendra Jésus.
Extrait
de Le viol d'Europe ou le féminin bafouée,
Editions Alphée, 2007, p.31
Ce rapide tour d'horizon montre que la
jeune femme chevauchant un animal sauvage (ou se tenant assise près de lui),
est une grande représentation religieuse qui met en scène la Déesse et son
consort, l'animal puissant et fécondant dont elle maîtrise sexuellement et on
pourrait dire amoureusement, la force - Taureau, Cheval ou Lion - dans le
contexte de la « première culture » de l'humanité, structurée autour
du divin féminin.
Culture qui nous renvoie aux premières
époques néolithiques et sans doute même bien avant, et dont les vestiges se
sont conservés jusque très tard après l'implantation de l'ordre patriarcal,
puisqu'à l'époque où saint Paul a voulu évangéliser Ephèse, il s'est heurté à
l'hostilité des fidèles de la grande Artémis, la Déesse/Mère aux multiples
mamelles, dont le culte était encore si vivace dans la ville, qu'il dût
renoncer à son prêche dans le stade. Aujourd'hui encore, en certains points du
globe, la notion de divin féminin n'a pas disparu - dans l'Inde du Sud par
exemple - et le culte de la Déesse est toujours bien vivant, dans plus d'une
culture située en marge du grand courant patriarcal qui a fini par l'ensevelir
partout ailleurs.
C'est ainsi que l'image d'Europe
chevauchant le Taureau et jouant avec lui, s'avère correspondre à la première
strate du mythe, strate originelle qui exprime la réalité historique la plus
ancienne.
Le Taureau est l'un des symboles majeurs de
la culture de la Déesse, culture qui a fleuri bien avant l'émergence de l'ordre
patriarcal étayé sur les Dieux et les rois.
Il est important de remarquer que la notion
de féminin divin est très ancienne, comme le montre la continuité des figures
féminines sculptées ou incisées sur roches : "Dame à la Corne" à
Laussel, en Dordogne, datée du Périgordien ; "Femme à la tête
quadrillée" sculptée en relief sur une dalle calcaire au même endroit ;
'Dame de Brassempouy" sculptée dans de l'ivoire, dans les Pyrénées. Ou
symboles féminins plus anciens : vulves gravées de l'Aurignacien en Dordogne ;
à Angles-sur-l'Anglin par exemple, dans la Vienne ; à Tito Bustillo en Espagne
etc. ; triangles fendus figurant le même motif de façon plus abstraite…
jusqu'au innombrables statues féminines qui peuplent l'art du néolithique.
L'œuvre de Françoise Gange offre un bon
panorama de la religion de la Déesse Mère à travers le monde, et à travers le
temps, et nous offre quantité de détails quant à ses symboles et à la manière
dont ils furent inversés sous le règne de l'ordre patriarcal du Dieu Père.
Elle propose en dernier lieu un regard sur
nous-mêmes et sur cette nécessité qui est la nôtre de rééquilibrer nos deux
polarités féminines et masculines. Son message est aussi que l'avenir du monde
dépendra de sa capacité à réintégrer son féminin perdu, afin d'être davantage
dans "l'être" et un peu moins dans "l'avoir".
SOURCE :
Géraldine http://www.consciencespirituelle.fr/
Dans la même optique que Marija Gimbutas, merci pour cet article Françoise.
RépondreSupprimer