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jeudi 18 février 2016

DANS L’ILE DES FEMMES


“Quand elle mit au monde trois merveilleuses petites filles, le roi Elinas qui ne se souvenait plus de sa promesse s'en vint à l'improviste et entra dans la chambre :

- Tu as manqué à ta promesse et cela te portera malheur; tu m'as perdue à tout jamais.
Pressine prit ses trois filles avec elle, s'évanouit dans les airs et partit pour la terre des femmes, rejoindre la reine d'Avallon, sa sœur, sa complice.”



Sans y penser, tout à la joie de sa paternité, Elinas a rompu son serment et  transgressé le Tabou. Immédiatement, son épouse le quitte; elle s’en retourne “chez sa mère” avec ses filles.  Au-delà de la variété des situations, des époques, des coutumes dont découlent des obligations et interdictions éminemment  variable,  on  est  cependant  frappé  de  voir  que,  en  tous  temps  et  en  tous  lieux,  le  Tabou  dit  “de l’inceste” a existé; de la plus simple hutte de branchages au palais le plus sophistiqué, il impose son indiscutable puissance. Ainsi le mot “harem” désignant l’appartement des femmes dans le monde arabe, a-t-il pour premier sens : protégé, sacré, inviolable  ; c’est-à-dire Tabou ! Mais le Tabou est impensable sans le Totem; ces deux concepts  sont  constamment  mis  en  rapport  l’un  avec  l’autre;  ils  sont  indissociables. 

Si  le  terme  Totem n’appartient pas à notre vocabulaire habituel, il est cependant incontournable dès qu’il s’agit de comprendre le Tabou, autant que la parenté. Dans le langage courant, le mot Totem évoque aussi bien les sculptures des indiens d’Amérique  du  Nord  que  les  représentations  animales  auxquelles  se  rattachent  clans  et  tribus  dits  primitifs.

L’animal totémique est pour nous l’animal symbolique et protecteur que se donne un groupe pour se distinguer d’un autre. Mais son sens est plus vaste et plus complexe.

La  légende  de  Mélusine  présente  des  d’indices  totémiques.  En  effet,  des  notations  animales  apparaissent  à plusieurs reprises dans ce récit, comme dans nombre de contes et légendes européens; or le Totémisme est toujours associé au monde animal, parfois végétal. Mélusine, la première, est elle-même en affinité avec le serpent : “Raymond vit Mélusine dans le bassin. Jusqu’au nombril, elle avait l’apparence d’une femme et elle peignait ses cheveux; à partir du nombril, elle avait une énorme queue de serpent, grosse comme un tonneau pour mettre des harengs, terriblement longue, avec laquelle elle battait l’eau qu’elle faisait gicler jusqu’à la voûte de la salle.”

Et puis,  lorsque,  après  la  trahison  de  Raymond,  Mélusine  disparaît,  elle  retrouve  sa  forme  serpentine  (dite  aussi ophidienne) : “elle s’élança dans les airs, traversa le verger et se transforma en une énorme serpente, longue de près de cinq mètres.” Il importe de souligner ici, non seulement le caractère totémique du serpent mais aussi son lien avec les déesses archaïques ayant précédé les panthéons masculins. En effet, le serpent est dans toutes les civilisations l’ami et le défenseur de la déesse, l’ennemi des dieux qui la menacent.

Les archaïques déesses aux serpents : Danu en Inde, Tiamat en Mésopotamie, Eve dans la Bible, Artémis en Crète etc. confirment cette antique intimité de la déesse et du serpent. Cette affinité de Mélusine avec le serpent ne fait que confirmer son lien  avec  l’ancienne  matrilinéarité  alias  le  Totem.   Par  ailleurs,  la  progéniture  de  Mélusine  se  caractérise  par  de multiples éléments animaux : Urian a “les plus grandes oreilles qu’on ait vues à un enfant”, Eudes a “une oreille  incontestablement plus grande que l’autre”, Guion a “un œil plus haut que l’autre”, Antoine porte “sur la joue gauche une patte de lion qui devint velue avec des griffes tranchantes”, Renaud n’avait qu’un œil, mais “si perçant qu’il était capable de voit un objet à plus de quatre-vingt kilomètres”, Geoffroy “arriva sur terre avec une dent  qui  lui  sortait  de  la  bouche  de  près  de  trois  centimètres”,  Fromont  a  “sur  le  nez  une  petite  tache  velue, comme la peau d’une taupe ou d’une fouine”


EXTRAIT DE MELUSINE OU L’ELIMINATION DES TABOUS  - de A g n è s  E c h è n e

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