“Quand
elle mit au monde trois merveilleuses petites filles, le roi Elinas qui ne se
souvenait plus de sa promesse s'en vint à l'improviste et entra dans la chambre :
-
Tu as manqué à ta promesse et cela te portera malheur; tu m'as perdue à tout
jamais.
Pressine
prit ses trois filles avec elle, s'évanouit dans les airs et partit pour la
terre des femmes, rejoindre la reine d'Avallon, sa sœur, sa complice.”
Sans
y penser, tout à la joie de sa paternité, Elinas a rompu son serment et transgressé le Tabou. Immédiatement, son
épouse le quitte; elle s’en retourne “chez sa mère” avec ses filles. Au-delà de la variété des situations, des
époques, des coutumes dont découlent des obligations et interdictions
éminemment variable, on est cependant
frappé de voir
que, en tous
temps et en
tous lieux, le
Tabou dit “de l’inceste” a existé; de la plus simple
hutte de branchages au palais le plus sophistiqué, il impose son indiscutable
puissance. Ainsi le mot “harem” désignant l’appartement des femmes dans le
monde arabe, a-t-il pour premier sens : protégé, sacré, inviolable ; c’est-à-dire Tabou ! Mais le Tabou est
impensable sans le Totem; ces deux concepts
sont constamment mis
en rapport l’un
avec l’autre; ils
sont indissociables.
Si le terme Totem n’appartient pas à notre vocabulaire
habituel, il est cependant incontournable dès qu’il s’agit de comprendre le
Tabou, autant que la parenté. Dans le langage courant, le mot Totem évoque
aussi bien les sculptures des indiens d’Amérique du Nord que
les représentations animales
auxquelles se rattachent
clans et tribus
dits primitifs.
L’animal
totémique est pour nous l’animal symbolique et protecteur que se donne un
groupe pour se distinguer d’un autre. Mais son sens est plus vaste et plus
complexe.
La
légende de Mélusine
présente des d’indices
totémiques. En effet,
des notations animales
apparaissent à plusieurs reprises
dans ce récit, comme dans nombre de contes et légendes européens; or le
Totémisme est toujours associé au monde animal, parfois végétal. Mélusine, la
première, est elle-même en affinité avec le serpent : “Raymond vit Mélusine
dans le bassin. Jusqu’au nombril, elle avait l’apparence d’une femme et elle
peignait ses cheveux; à partir du nombril, elle avait une énorme queue de
serpent, grosse comme un tonneau pour mettre des harengs, terriblement longue,
avec laquelle elle battait l’eau qu’elle faisait gicler jusqu’à la voûte de la
salle.”
Et puis, lorsque,
après la trahison
de Raymond, Mélusine
disparaît, elle retrouve
sa forme serpentine
(dite aussi ophidienne) : “elle
s’élança dans les airs, traversa le verger et se transforma en une énorme
serpente, longue de près de cinq mètres.” Il importe de souligner ici, non
seulement le caractère totémique du serpent mais aussi son lien avec les
déesses archaïques ayant précédé les panthéons masculins. En effet, le serpent
est dans toutes les civilisations l’ami et le défenseur de la déesse, l’ennemi
des dieux qui la menacent.
Les archaïques déesses aux serpents :
Danu en Inde, Tiamat en Mésopotamie, Eve dans la Bible, Artémis en Crète etc.
confirment cette antique intimité de la déesse et du serpent. Cette affinité de
Mélusine avec le serpent ne fait que confirmer son lien avec
l’ancienne matrilinéarité alias
le Totem. Par
ailleurs, la progéniture
de Mélusine se
caractérise par de multiples éléments animaux : Urian a “les
plus grandes oreilles qu’on ait vues à un enfant”, Eudes a “une oreille incontestablement plus grande que l’autre”,
Guion a “un œil plus haut que l’autre”, Antoine porte “sur la joue gauche une
patte de lion qui devint velue avec des griffes tranchantes”, Renaud n’avait
qu’un œil, mais “si perçant qu’il était capable de voit un objet à plus de
quatre-vingt kilomètres”, Geoffroy “arriva sur terre avec une dent qui
lui sortait de
la bouche de
près de trois
centimètres”, Fromont a
“sur le nez
une petite tache
velue, comme la peau d’une taupe ou d’une fouine”
EXTRAIT DE MELUSINE OU L’ELIMINATION DES TABOUS - de A g n è s E c h è n e
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