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mercredi 30 décembre 2015

La femme, le désir et la peur


Aux cultes de la Grande Déesse ont fait suite les religions patriarcales.



À la terreur sacrée qui peut emplir un disciple devant les mystères de la vie a succédé la crainte du châtiment venu d’un Dieu courroucé et vengeur. À une sexualité ressentie sacrée, lien et porte entre terre et ciel, s’est substituée une sexualité profane qui a asservi le corps à diffé­rents impératifs (plaisir, argent, pouvoir, procréation, etc.) : à ce stade d’asservissement, pornographie, « libération sexuelle » ou sexualité pro­grammée, impuissance ou « nouvelle chasteté » sont d’une certaine façon équivalentes, témoins d’une même mutilation, la coupure d’avec la source sacrée. La Grande Déesse a été remplacée par Pan, vous savez, ce dieu qui fut proclamé roi de l’Univers et qui ressemblait en tous points (cornes, sabots, corps velu et voix rocailleuse) à un satyre ! C’est à ce satyre, qui agressa maintes nymphes, que nous devons le mot « pani­que ». L’univers est en proie à la peur parce que, depuis Pan et bien avant lui, on a refoulé, nié, massacré les nymphes, disons les valeurs féminines, parce qu’on a violé Lucrèce ou Philomèle, parce qu’on a répudié Mélusine ou Bethsabée.
Il est difficile d’entrevoir des solutions à cette violence, à cette peur, car elles renvoient au cœur humain et non à une quelconque loi de sécurité. Au lieu de se construire un abri antiatomique, l’être humain a pour tâche urgente de s’ouvrir, de s’éveiller, de lâcher prise. Car avoir peur c’est presque toujours avoir peur de perdre, avoir peur de mourir.
Comme femme, devant l’agression de certains regards ou comporte­ments masculins, j’hésite entre Judith, Philomèle et Suzanne : celle qui coupe la tête de l’homme, qui tranche ce désir ténébreux ; celle qui persiste et témoigne, et de la blessure fait un chant ; celle qui reste sereine car ces regards ne peuvent saisir ni souiller l’être profond. Comme femme, devant les violences perpétrées par certains hommes, je ressens plus le mal que la peur : je souffre de ce que la lumière, la pureté sont encore et toujours blessées, la confiance bafouée, l’amour insulté.
S’il n’y avait en moi ce sens aigu de la solidarité et de la complicité entre femmes qui me fait hurler et maudire au nom de toutes mes sœurs bâillonnées, enfermées, excisées ou violées, s’il n’y avait en moi ce cri de la Nature fouillée et massacrée, je ne saurais devant la violence de l’autre que pleurer ou prier. Pour moi, je n’ai pas peur : c’est ma façon d’innocence.
Et sans doute revient-il à la femme, par sa patience, par son espoir, par son don d’éveiller les sources enfouies, sans doute lui revient-il de transmuter la peur en clarté, la violence en harmonie, et le désir en amour. Mais pour accomplir cette mission en notre âge de fer, la femme doit être prudente autant que sage, éviter bien des pièges, et se garder (en silence, en solitude, voire en chasteté), se garder proche du Mystère et de la Divinité.



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