Les
femmes sont sans doute moins soucieuses de fonder, de bâtir (religion ou
maison), de laisser des marques, car elles ont le pouvoir de donner la vie, car
elles sont elles-mêmes demeure ou maison ; porteuses de vie, elles ont, plus
que l’homme, le sens du relais, le sens des choses et des êtres passants et
passagers. Et l’aspect gratuit, prodigue de la vie s’accorde avec leur corps
fécond.
Par son
corps même, la femme est davantage liée au mystère, aux forces cachées et
souveraines, aux puissances telluriques et cosmiques. Cette réceptivité l’a du
reste rendue suspecte, et très vite on a parlé de sorcellerie, de satanisme,
d’occultisme ; aujourd’hui encore, si une femme a des accents mystiques, on la
traite de folle ou d’hystérique.
On est
bien obligé de reconnaître que la femme a été occultée dans tous les domaines
de la pensée, de la création, du pouvoir. On a minimisé son rôle pour lui ravir
sa puissance. Il est étonnant par exemple que de la Bible on ne retienne avant
tout que les figures masculines, alors que les femmes y sont très nombreuses et
très importantes ; on reconnaît sans discuter les hommes, dénommés prophètes,
mais quand il s’agit de prophétesse, on nous avertit que ce terme ne signifie
pas la même chose, que c’est plutôt devineresse, poétesse…
Comme si les hommes
seuls avaient le privilège de la parole inspirée et de la connaissance sacrée [On oublie les sibylles qui rendaient les oracles divins, dans
les sanctuaires]. Et dans le Coran, la figure puissante de Mahomet efface
toutes les femmes – ses femmes d’abord – qui lui ont transmis les messages
divins.
Et les
femmes se sont tues. Peut-être moins par ordre imposé que parce que leur savoir
doit être tenu au secret, à l’écart du profane ; peut-être aussi parce que,
selon l’adage du Tao-te-King, « Celui qui parle ne sait pas, celui qui sait ne
parle pas », que certain silence est la manifestation de la plénitude
spirituelle. La femme occultée est devenue femme secrète.
Les
femmes se sont tues, de gré ou de force, et les hommes ne leur ont pas posé de
question ; ils ont continué à bavarder au lieu de vivre, à se rassurer avec
leur étroite et prudente raison au lieu de s’ouvrir à l’inconnu. Le cortège
féminin du Graal continue son étrange cérémonie, et Perceval échoue dans sa
quête parce que précisément il ne pose aucune question à cette coupe
d’abondance, bien féminine…
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