Remontons
le temps, ou redescendons en nous, afin de retrouver toutes ces femmes qui sont
intimement liées au sacré. Nous rappellerons ici quelques mythes, des figures
oubliées des anciennes religions, sans nous astreindre à une chronologie
puisque le sacré est hors-temps c’est-à-dire présent partout.
On notera
que les femmes sont toujours liées au surnaturel, et qu’ainsi il n’y a pas
vraiment de distinction entre femmes humaines et déesses.
Dans l’Épopée de Gilgamesh, c’est une courtisane qui
éveille Enkidu, par l’art d’amour ; de ce quasi-animal elle fait un être
humain, qui pourrait cueillir la fleur d’immortalité, s’il ne maudissait pas la
femme, s’il lui faisait confiance.
Isis, la
divinité de l’Égypte ancienne, a le pouvoir de ressusciter les morts, de
rassembler ce qui a été dispersé. C’est le « Solve et coagula » de l’Œuvre hermétique. Elle retrouve les morceaux
du cadavre de son frère et époux Osiris, lui redonne vie, et de la putréfaction
d’Osiris un enfant naît. Le vieil homme fait place à l’enfant lumière. Isis est
par excellence le personnage de l’initiatrice, ou encore elle représente Dame
Alchimie. Elle se continuera, plus tard, dans la lignée des Vierges noires, que
le christianisme a tenté de récupérer, et sous la figure de la Papesse du
Tarot, arcane II, femme voilée qui détient le livre de vie et la clef de la
connaissance.
Il est
d’ailleurs intéressant de considérer les couples que nous offrent diverses religions
: couple constitué d’un homme ou d’un dieu qui meurt, et d’une femme
immortelle. Isis et Osiris, mais aussi Ishtar et Tammuz, Cybèle et Atys,
Aphrodite et Adonis, Freyja et Balder, Déméter et Dionysos-Zagreus… On pourrait
ajouter Iseult et Tristan. Ces femmes représentent la
puissance de vie, d’amour, qui se joue du temps, de la mort, de l’irréversible.
Elles vont tout au bout de la souffrance, des ténèbres, de l’espoir aussi, pour
retrouver le fils ou l’amant perdu et lui donner seconde vie.
La Tradition
celtique est riche en femmes initiatrices, le plus souvent femmes brunes, par
exemple dans le conte de Peredur,
qui préfigure la quête de Perceval. Ce sont des femmes-fées qui habitent l’île
des bienheureux, l’île d’Avalon. Quant au Graal, il baigne dans une lumière et
une thématique entièrement féminines. De cette souveraineté féminine, les
règles de l’amour courtois se souviendront : qu’elle se nomme dans la légende
Guenièvre, ou dans la réalité Aliénor d’Aquitaine, la femme apparaît comme la Reine,
la Maîtresse pour qui les hommes accomplissent leurs exploits, la Dame d’amour
qui impose des épreuves mais sourit au chevalier vainqueur. Le Roman de la Rose
ne dit pas autre chose que cette quête de la Femme éternelle, sous ses masques
successifs, parfois cruels ou rebutants.
De la
mythologie grecque, on peut retenir Ariane, qui détient le fil lumineux de
l’intuition et de l’initiation, permettant au candidat Thésée de sortir du
labyrinthe, de ses ténèbres intérieures, et de naître à nouveau. Quant au
prudent et rusé Ulysse, candidat à l’initiation (symbolisée par une navigation,
un grand voyage), il fuit systématiquement les Circé, Nausicaa, Calypso, qu’il
rencontre à chaque étape : il a peur pour lui, pour son intégrité physique et
psychique, il fuit la femme et l’épreuve ; c’est pourtant une femme, Pénélope,
qui marque la fin et sans doute le but de son voyage si long.
Évoquons encore Kali-Durga, divinité de
l’hindouisme, qui fait office de gardienne du seuil, coupe les têtes
c’est-à-dire tranche les illusions. Dans le shaktisme, on la représente
volontiers debout, dansant sur le cadavre du dieu Shiva, comme l’énergie allant
éveiller la matière inerte. Amaterasu, déesse-soleil du Japon antique, recluse
dans une chambre sacrée et tissant des vêtements divins (disons : tuniques de
lumière). Rappelons le rôle important joué par les femmes aux premiers temps du
christianisme, leur présence lors de la Résurrection du Christ, et leur qualité
d’initiées dans la tradition gnostique.
Rappelons
que c’est une femme, Béatrice, qui guide Dante vers le Paradis lumineux ; une
femme, Aurélia, qui révèle à Gérard de Nerval les mystères de la Destinée.
C’est sous une forme féminine qu’est représentée la Sagesse, ou l’âme du monde,
dans la Tradition initiatique qu’illustrent un Shakespeare comme un Léonard de
Vinci (cf. Les jardins de Bomarzo, le
Songe de Poliphile, la Joconde,
et les pièces de Shakespeare, toutes chiffrées, dont le Conte d’hiver.)
C’est
encore une femme, une veuve (Isis ou la mère d’Hiram), qui symbolise l’initiation
maçonnique, la quête de la parole perdue, et le passage des ténèbres à la
lumière.
On
pourrait enfin évoquer divers contes, chargés d’enseignement : Peau d’âne,
jeune fille lumière dissimulée au yeux du profane par un vêtement grossier (cf.
Apulée : L’âne d’or ou les
Métamorphoses) ; ou Shéhérazade,
dans la tradition musulmane, dont la parole éveille et donne vie au Sultan, Shéhérazade tenue cachée et prisonnière entre les
murailles du palais officiel comme la connaissance ésotérique (le sens intérieur,
« batin ») est recelée et parfois étouffée sinon mise à mort
par l’exotérisme (ou « zahir ») : ou Mélusine, porteuse d’un secret, qui peut
conférer l’immortalité aux humains mais s’échappe si on veut la saisir ;
Mélusine qui représente la véritable puissance du mortel Raimondin.
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