Lorsque
les femmes se retrouvent entre elles, cela paraît suspect aux yeux de
l’entourage, de la société. Même au sein de notre cercle, la participation ne
laisse pas l’entourage indifférent : de la curiosité à l’hostilité, si
certaines deviennent très vite des relais auprès des proches, enfants, amies,
en créant parfois même de nouveaux espaces d’échanges, d’autres gardent ce
jardin secret pour se préserver. Mais que font les femmes entre elles de si
mystérieux ?
Quand les femmes se rassemblent, elles partagent leurs histoires,
leurs joies et leurs soucis, elles échangent leurs trucs et astuces, elles
vibrent sur une même corde, se répondant comme des miroirs les unes aux autres
… De tous temps des espaces se sont créés, mais presque toujours de manière subversive,
dans l’espace privé sans légitimité publique …
Tel est le principe de la
domination : diviser pour régner. Le patriarcat avait un intérêt à ce que les
femmes soient isolées, sous le joug du père ou du mari pour que l’ordre social
soit maintenu. Au cours des siècles, les femmes ont été sans discontinuité
assignées à leur rôle de femmes : épouses et mères. Et les femmes
indépendantes, sages-femmes, femmes seules, se voyaient entourées d’une
certaine méfiance puisqu’elles survivaient sans la protection d’un homme.
Certaines possédaient en outre un certain savoir empirique qui soulevait pas
mal de fantasmes chez les honnêtes gens. Mais qui étaient ces sorcières, ces
femmes sages en marge ? Elles étaient au Moyen-Age les médecins des campagnes,
ou les médecins du peuple, qui possédaient des connaissances, notamment des
plantes, transmises de femme à femme, de mère à fille. Elles accompagnaient
aussi bien la naissance, la vie, la maladie que la mort. Selon Barbara
Erhenreich et Deirdre English , l’avènement des facultés de médecine sous
l’emprise du clergé, a contribué à hiérarchiser les savoirs, à casser cette
chaîne de transmission, afin d’asseoir le pouvoir clérical masculin et de
chasser les sorcières au sens propre des pratiques médicales. Alors que les
rencontres très probables entre ces femmes, que l’on accusait d’être des
sorcières, avaient sûrement une influence sur l’évolution de la société.
« En
fait, il est à peu près sûr que ces femmes que l'on accusait de sorcellerie se
rencontraient effectivement par petits groupes et qu'à leur tour, ces petits
groupes se joignaient à d'autres pour se retrouver par centaines et par
milliers les jours de fête. Certains écrivains pensent que ces rencontres
étaient des prétextes à des célébrations païennes. Il va sans dire que ces
rencontres servaient aussi à s'échanger des nouvelles et des connaissances sur
les plantes médicinales. On a toutefois peu de témoignages quant à la portée
politique de ces rencontres, mais il est difficile d'imaginer qu'elles n'en
aient eu aucune, puisqu'elles coïncidaient avec les rebellions paysannes de
l'époque. Toute organisation, par le simple fait d'être une organisation,
favorisait les échanges entre les villages et l'esprit de solidarité et
d'autonomie parmi les paysans ».
Aujourd'hui
et ailleurs Les cercles de femmes, comme par exemple les tentes rouges ,
fleurissent, comme on l’a dit, partout en Belgique, en Europe ou ailleurs, sous
des formes et des couleurs variées, chaque cercle ayant son organisation
propre. Les initiatives sont diverses : parfois une femme fait appel à ses
amies, parfois c'est l'envie d'un petit groupe d'initier quelque chose de
nouveau, parfois sur base d'une idée précise telle la création d'un rite de
passage pour les filles à leurs premières lunes (règles), parfois c'est une
association qui prend en charge la logistique. Mais tous les cercles ont en
commun d'être et de devenir un espace-temps de parole et d'écoute, de lien et
de soutien.
En ce sens, le témoignage d'Anne-Charlotte est parlant : « Grâce
aux rencontres et aux lectures proposées, j'ai pu naître à la vie, sentir les
saisons, de la nature et de moi-même (...) J'ai pu prendre connaissance de mes
lunes, de leurs significations, de leur présence, de leur impact sur mon
humeur, le pourquoi de mon humeur (...) Bref, mieux me comprendre au cours de
mon cycle lunaire, au cours de mes cycles de vie, au cours de ma vie. Depuis,
je me redécouvre tous les jours un peu plus ... sur le plan physique et sur le
plan spirituel.
Et ce rendez-vous, une fois par mois, me permet de me
recentrer, de me reconnecter lorsque la vie quotidienne m'a entraînée un peu
partout et que je me suis laissée dé(con)centrer (...) D'avoir rejoint ce
groupe m'a permis d'ouvrir une porte que je n'avais qu'entre-ouverte au monde
de l'invisible et des liens qui s'y créent ». Même au Rwanda, des groupes de
paroles avec des survivantes du génocide sont devenus des espaces sacrés où les
femmes se sont connectées à la puissance du Féminin.
Comme le raconte Laetitia
De Schoutheete , « c'est en lâchant « notre » savoir que nous avons touché les
unes et les autres cet espace sacré où la sagesse des femmes qui se rassemblent
depuis des millénaires est à portée de cœur ».
Propos de Frédou Braun et Lara Lalman
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