L’automne nous invite à la récolte des fruits mûrs. Le
thème de ce partage invite à la maturité de la maternité. Les témoignages de
ces mères évoquent l’ambivalence de l’expérience maternelle, son entremêlât
d’émotions, ses déséquilibres et ses enjeux pouvant mener à saturation. Les
pistes d’ouverture et de transformation proposées par les auteurs sont diverses
et personnelles… Peut-être vous reconnaîtrez-vous ? Osez donc vous laisser
inspirer…
« La première chose qui me vient à l'esprit lorsque
je pense à la fonction de maman, c'est l'ambivalence : ambivalence essentielle,
inéluctable, peut-être ontologique, du sentiment d'amour toujours teinté
d'autre chose, crainte, colère, rejet, jalousie, déception… »
Lorsque j'étais médecin dans les services de Protection
Maternelle et Infantile, j'avais organisé des rencontres avec les primipares –
les femmes qui attendaient leur premier bébé. Et j'amenais toujours à un moment
la petite phrase : « Vous savez, quoi qu'il arrive vous serez déçue ». C'était
un peu provocateur de le dire comme ça, mais ça ouvrait la parole en autorisant
l'ambivalence. Il y a toujours quelque part, avant l'arrivée de l'enfant, une
idéalisation à la fois de l'enfant, de soi en tant que mère, et de « comment ça
va être après ».
l'arrivée de l'enfant bouscule tout. Bouscule nos
hormones, d'abord : on ne se reconnaît plus soi-même ; et effectivement, celle
que nous sommes devenues en devenant mère n'est plus celle que nous étions
avant d'accoucher, là, juste quelques heures avant. Puis sont bousculés notre
système nerveux qui perd ses rythmes de sommeil, puis la sexualité du couple et
l'équilibre de la famille toute entière. Il y a une image que j'aime bien, qui
représente la famille posée sur un plateau circulaire, lui-même en équilibre sur
un ballon, comme au cirque. Introduisez un nouvel élément, tout le monde doit
se repositionner, le couple, les autres enfants, les grands-parents…
Tout cela demande beaucoup d'adaptabilité de la part de
tout le monde, et la mère se trouve à l'articulation entre ses propres
perturbations physiologiques, les besoins du nourrisson, et les grincements
adaptatifs de l'environnement : l'élément perturbateur est sorti de son ventre
à elle ! Alors, ça ne se passe jamais comme on avait imaginé.
Ça peut se passer bien, mais ça ne sera pas sans au moins
quelques renoncements, quelques désillusions, un peu tous les jours. Ça se
passera bien si on cultive une bonne capacité à prendre les choses comme elles
viennent, comme elles sont, sans les comparer à ce qu'on attendait qu'elles
soient, à ce qu'on croit qu'elles devraient être, à ce qu'on imagine devoir
faire pour être à la hauteur… Nous avons idéalisé un enfant qui n'est pas ce
qu'on imaginait, jamais : il est lui, différent, surprenant, il est sujet,
inattendu, existant dans le réel, non conforme au fantasme.
Nous avons idéalisé notre potentiel maternel, qui n'est
pas ce qu'on imaginait, jamais : nous sommes désemparées, faillibles,
fatigables, capables de sentiments violents, non conformes au fantasme. Nous
avons idéalisé le « comment ça va être après » et ce n'est pas ce qu'on
imaginait, jamais : il y a tant de nouvelles données, tant d'interférences
nouvelles, tant d'imprévus, non conformes au fantasme. Alors, nous risquons de
diviser notre esprit : une partie de nous qui s'accroche au fantasme, et
l'autre qui cherche à s'adapter à la réalité. La division de l'esprit aggrave
la fatigue, fait le lit de la culpabilité, de l'agressivité, des circuits de
sentiments parasites. Si l'on n'y prend pas garde, ces sentiments vont nous
pourrir la vie pendant des années, et largement contribuer à nous saturer.
La première chose, c'est d'abandonner le fantasme et
d'entrer de plain-pied dans le réel d'ici et maintenant, tous sens ouverts,
présente à soi et à l'instant. Focaliser ainsi son attention évite de se perdre
dans des élucubrations mentales qui ne manquent jamais d'attiser les doutes,
les regrets, les rancœurs, la victimisation et les jugements. Et lorsqu'il se
présente une vacuité dans l'instant présent : reposez-vous, amusez-vous,
jouissez du moment… Même trois minutes. Ensuite, tout ce qui peut nous
simplifier la vie psychique est bienvenu.
On ne peut pas forcément simplifier la vie réelle,
travailler moins d'heures, changer l'autre... Mais on peut dans sa tête se donner
deux ou trois repères forts, s'appliquer à les respecter, et laisser tomber le
reste. Parmi ceux qui m'ont aidée avec les enfants : avoir une parole fiable et
assumer la responsabilité de mes décisions. C'est un peu de boulot parce que ça
demande de bien réfléchir avant de dire oui ou non, ça demande de s'engager à
tenir quand c'est dit, de savoir quelle sera la sanction si l'interdit est
transgressé, et de ne jamais laisser l'enfant douter que quand il est avec moi,
le chef, c'est moi. Mais qu'est-ce que ça simplifie la vie, et quel
investissement rentable sur le long terme ! Car l'enfant apprend vite. Je me
suis aussi appuyée sur le triptyque de Françoise Dolto : seulement trois
interdits absolus dans l'éducation d'un enfant. - Non, tu n'as pas le droit de
te blesser ou de te mettre en danger, et je ne te laisserai pas faire. - Non,
tu n'as pas le droit de blesser les autres ou de les mettre en danger, et je ne
te laisserai pas faire. - Non, tu n'as pas le droit d'abîmer quelque chose qui
ne t'appartient pas, et je ne te laisserai pas faire.
Croyez-moi, vous êtes une mère suffisamment bonne si vous
vous contentez de ces trois « non », et que vous les tenez. Pour le reste, ce
ne sont que des convenances personnelles alors si vous voulez vous simplifier la
vie, acceptez de sortir des habitudes familiales ou culturelles, des «
qu'est-ce qu'ils vont penser », et laissez l'enfant faire ses expériences. Ayez
confiance dans son intelligence, et dans celle de la vie. S'il n'a pas fini son
bol de purée, il mangera mieux demain. S'il n'a pas fini de s'habiller à
l'heure d'aller à l'école, il ira en pyjama avec ses vêtements dans un sac… Ce
n'est pas une menace, c'est juste une information.
Même si ça nous fait passer de temps en temps pour une
mère indigne, vraiment, ça ne vaut pas la peine de se gâcher la vie, et de
gâcher celle de nos enfants, pour des trucs comme ça. Vivez simplement, au ras
des pâquerettes, vous allez voir le miracle ! Un autre petit truc qui aide à ne
pas tomber dans les gros pièges : penser à partager les week-ends ou les temps
libres de manière équitable : grosso modo, dans l'idée, un quart pour papa tout
seul, un quart pour maman toute seule, un quart pour papa et maman ensemble
sans les enfants, un quart pour la famille tous ensemble. Il se passe beaucoup
de choses dans cette aptitude à prendre du temps pour soi ou pour la vie
amicale, à faire confiance à l'autre, à laisser les enfants à des tiers, à
renouer des moments intimes pour le couple…
Et puis je vais vous dire un secret : il n'y a rien de
pire pour un enfant qu'une mère trop parfaite. Parce que le rôle d'un enfant
c'est de quitter ses parents, sa mère en particulier, pour aller faire sa vie
ailleurs ; et que le rôle de la mère, c'est de le laisser entrevoir qu'il a
intérêt à la quitter. En psycho, la théorie des scénarios montre que l'on
mesure la réussite des stratégies de vie à la façon dont les choses finissent.
Toute notre présence à l'enfant prend son sens dans le fait de le préparer à
nous quitter. Or l'enfant passe la moitié de son temps à s'occuper de grandir,
et l'autre moitié à s'occuper de protéger ses parents, et surtout sa mère. Pour
que les enfants puissent partir librement un jour, il est important de prendre
soin de soi, et de le faire tôt. Lorsque les trois (17, 19 et 23 ans à
l'époque) se sont trouvés à quitter la maison en même temps pour leurs études
respectives, ils m'ont dit « Voilà, on pense que maintenant, tu es assez grande
pour pouvoir te passer de nous ». Alors j'ai bien ri, je savais que c'était
gagné.
Même s'il leur est arrivé de me dire « Là, tu sais, ce
que tu fais n'est pas ok » ; même s'il m'arrive encore de me dire que je ne
referais pas certaines choses de la même façon, qu'ici ou là j'ai été injuste,
ou pas assez attentive, ou trop dure, enfin, toujours quelque chose de trop ou
de pas assez, comme tout le monde ; je sais que je les ai bien préparés à être
des adultes autonomes, à vivre sans moi et sans s'inquiéter de moi. Aujourd'hui
je suis grand-mère, et je transmets ces quelques principes simples aux mères
désemparées, surmenées, aux prises avec un travail exigeant, une situation
familiale compliquée, un corps qui change…
On n'évite pas les moments de doute, d'inquiétude ou
d'angoisse, les moments de craquage sont normaux. On les rend moins profonds,
moins fréquents, moins douloureux et moins dangereux en se recentrant sur deux
ou trois choses vraiment importantes, et en laissant courir le reste. Dans
l'espace libéré, il y aura la place pour accueillir le plaisir,
l'émerveillement, la gratitude, la joie ; la place pour accueillir l'autre ; la
place pour le bonheur. Parce que l'amour ne suffit pas toujours.
Michèle RAULIN
auteure de « L'heure du corps, une
astrologie de la santé » et de « 30 jours de Lune, symbolisme du cycle
soli-lunaire »
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