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samedi 4 avril 2015

LES SAVOIRS DES FEMMES DES MASCAREIGNES



Leurs connaissances thérapeutiques et médicinales constituent un système global et cohérent.

Création culturelle complexe, ces savoirs se sont construits à partir d’un drame humain, d’une histoire commune héritée de l’arrivée, comme colons, esclaves ou engagées, de femmes originaires d’Inde, d’Europe, d’Afrique, d’Asie, et dès lors d’un métissage, tant biologique que culturel, entamé il y a plus de trois siècles.

Les femmes des Mascareignes sont porteuses de connaissances médicinales précieuses. Dans un monde où plus de la moitié des molécules pharmaceutiques sont issues des végétaux, ces connaissances sont significatives d’un rapport particulier à la nature et elles véhiculent divers savoirs propres aux femmes. Les enjeux de la reconnaissance et de la préservation de ces savoirs sont importants parce que ceux-ci constituent un héritage à préserver, tout particulièrement dans un contexte mondial marqué par les ruptures et les risques de tous ordres. En peu d’années, quarante tout au plus, on est passé de modèles locaux – réunionnais, mauricien, rodriguais – à un modèle occidental unique, au sein duquel est remis en cause l’ensemble des savoirs traditionnels. Ceux-ci sont, au mieux, folklorisés, quand ils ne sont pas purement et simplement niés. Pourtant, de manière paradoxale, jamais ces savoirs n’ont été aussi courtisés, notamment par les laboratoires pharmaceutiques, qui sont toujours à la recherche de molécules et de brevets à déposer.

 Le phénomène, loin d’être local, se retrouve sur l’ensemble des aires géographiques de la planète, comme le montrent de très nombreuses publications récentes sur le sujet. Par ailleurs, les savoirs propres aux femmes des Mascareignes sont menacés par divers mouvements aux relents communalistes, centrés sur une recherche des origines qui valorise les savoirs des femmes présents dans les pays d’origine des ancêtres – pays réels ou choisis. Des savoirs eux aussi réels ou artificiellement reconstruits, particulièrement depuis la généralisation des transports aériens, à partir de séjours ou pèlerinages touristiques. Avec, selon les organisations culturelles, une survalorisation des savoirs des femmes indiennes, des femmes malgaches ou des femmes africaines. Ce faisant, ces associations dévalorisent la création culturelle et les savoirs communs aux femmes des trois îles, savoirs qui n’apparaissent plus que comme des sous-produits hybrides, alors qu’ils constituent la preuve de la constitution aux Mascareignes de sociétés créoles tout à la fois dynamiques, proches les unes des autre et indépendantes. L’enjeu est donc ici celui de la cohésion sociale, d’une véritable prise de conscience, par les habitants des différentes îles, de la présence d’un patrimoine culturel commun à tous qui transcende les origines sociales et/ou ethniques. Loin de constituer une survivance du passé, pauvrement composée de superstitions, comme certains aimeraient à le laisser penser, les savoirs des femmes sont capables d’enrichir la connaissance, au sens large du terme, en permettant un réel développement des savoirs botaniques et médicaux.

Les savoirs des femmes sont enfin valorisés par une partie de la communauté scientifique biomédicale, qui a pris conscience de l’importance de ces savoirs traditionnels et de l’enrichissement qu’ils peuvent lui apporter. Notamment dans le domaine de la naissance, comme l’a montré un ouvrage pluridisciplinaire sur la prise en charge des suites de couches (De Gasquet, Codaccioni, Roux-Sitruk, Pourchez, d’Olier, 2005). Dans un contexte planétaire en évolution extrêmement rapide, les savoirs locaux, principalement les savoirs des femmes, revêtent une importance particulière. Alors que de nombreux pays de la zone Sud manquent cruellement de médecins et de traitements médicamenteux, ils sont susceptibles de permettre une alternative en termes de médication. Ils constituent une part importante du patrimoine immatériel de l’humanité et doivent, pour cette raison même, être reconnus et préservés.


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