Le symbolisme maçonnique, avec
notamment ses nombreuses références opératives, ne présente apparemment rien de
féminin. Cela tient certes à l’origine typiquement masculine de notre tradition
puisque nous disons être les descendants à la fois des bâtisseurs et des
chevaliers. Mais cela tient aussi à nos racines religieuses, la tradition
judéo-chrétienne qui laisse fort peu de place au féminin et dont l’image de la
divinité est exclusivement masculine. Apparence seulement, car à y regarder de
plus près le symbolisme maçonnique, comme celui de la religion, cache une
dimension féminine qu’il importe de comprendre. On peut en donner quatre exemples.
Les trois petites lumières éclairant la
loge, ses fondements qui nous viennent de l’Être éternel et infini, portent
toutes des noms féminins. La première est la Sagesse. Or, on y reviendra, la
sagesse divine occupe dans les derniers livres de l’Ancien Testament une place
très importante et représente la face féminine de Dieu. Le Livre de la sagesse,
dit de Salomon, la chante par exemple comme «le maître d’oeuvre» et «l’artisane
de l’univers»; il dit notamment que «les vertus sont les fruits de ses travaux
car elle enseigne tempérance et prudence, justice et fortitude» (Sg 7: 27-28,
8: 7). La basilique de Byzance, la Rome orthodoxe, était consacrée à Sainte
Sophie, Sophia signifiant en grec la sagesse. La Légende dorée dit certes que
Sophie était une vertueuse martyre, mais son texte montre clairement qu’il
s’agit en réalité de la sagesse divine puisqu’il ajoute que Sainte Sophie avait
«trois filles, la foi, l’espérance et la charité».
A l’Orient brillent le soleil et la
lune, couple cosmique qui évoque le mariage divin, la hiérogamie chère aussi
bien aux religions antiques qu’à la tradition alchimique. Ce couple fait
également pendant aux deux colonnes de l’entrée du temple qui représentent
notamment les deux pôles de la vie et de l’être. Dans de nombreuses
représentations de la crucifixion par la peinture médiévale, le soleil et la
lune figurent au ciel, de chaque côté de la tête du Christ. Souvent aussi ces
deux astres sont au-dessus de Saint Jean et de Marie agenouillés au pied de la
croix, nouveau couple spirituel par la bénédiction et l’adoption. Les
bâtisseurs de cathédrales avaient du reste une prédilection pour la dédicace de
leurs oeuvres à Saint Jean ou à Notre Dame, tout comme les Templiers. Cela à
l’époque même de l’amour courtois, où la dame était bien plus un idéal
spirituel qu’une femme de chair.
Sur nos autels la Bible est ouverte au
Prologue de Jean, texte consacré au Verbe, le Logos de Dieu. Or, même si selon
la théologie le Verbe est assimilé au Christ, le Logos du Prologue s’identifie
à plusieurs égards à la Parole comme Esprit-Saint, en particulier à l’esprit
féminin de Dieu, la Sophia. En effet, le Verbe selon le Prologue présente des
analogies extrêmement frappantes avec la Sagesse divine telle qu’elle est
décrite dans l’Ancien Testament. La Sagesse y dit d’elle-même qu’elle fut
«établie depuis l’éternité… dès le commencement… aux côtés» de l’Eternel (Pr 8:
22-23, 30), que sa «source est la Parole de Dieu dans les cieux» et qu’elle est
«la mère du pur amour» (Si 1: 5; 24: 17). Salomon dit d’elle en s’adressant à
Dieu: «Tu avais donné toi-même la Sagesse… envoyé d’en haut ton Saint Esprit…»,
et les hommes furent ainsi «instruits et sauvés par la Sagesse divine» (Sg 9:
10, 17).
Le temple de Salomon, figure
emblématique de la maçonnerie, détruit puis reconstruit après l’exil, évoque
bibliquement les noces entre Dieu et son peuple, peuple symbolisé par
Jérusalem, féminine comme toute cité. Le prophète dit ainsi d’elle: «Resurgis,
remets-toi debout Jérusalem… toi, stérile qui n’enfantais plus, explose et
vibre… ton veuvage, tu ne t’en souviendras plus… car ton époux, le Seigneur
tout-puissant, t’a rappelée» (Es 51: 17; 54: 1-8).
Noces encore celles de la
nouvelle Jérusalem céleste de l’Apocalypse, décrite par Jean «comme une épouse
qui s’est parée pour son époux», vêtue «d’un lin resplendissant et pur», prête
pour les «noces», «la fiancée, l’épouse de l’agneau» (Ap 19: 7-8; 21: 2, 9).
Temple et cité sainte sont donc lieux de noces, d’union symbolique du masculin
et du féminin.
Ainsi, l’aspect féminin du sacré est
réellement présent dans la profondeur de notre symbolisme, et il apparaît même
d’une importance qui n’est pas secondaire. Mais alors, pourquoi cet aspect
féminin est-il si discret et pourquoi est-il largement écarté de nos réflexions
symboliques? La prédominance masculine dans notre symbolisme n’a pas pour
seules bases des distinctions découlant du travail artisanal ou du combat
chevaleresque. Elle ne s’explique pas non plus comme un simple reflet de la
condition féminine dans les sociétés patriarcales du temps biblique ou du Moyen
Age. Elle plonge ses racines bien plus loin, dans la profondeur de la psyché
humaine et dans les fondements de la pensée religieuse.
source : http://www.freimaurerei.ch/
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