Après la chute du
couple primordial, le judaïsme de l’Ancien Testament connaîtra schématiquement
deux périodes, dominées successivement par deux regards sur la divinité, et
donc par deux images très différentes du féminin dans la relation entre l’homme
et Dieu. D’une part, dans la première moitié du millénaire avant notre ère, la
figure dominante sera celle de l’Alliance, c’est-à-dire de la loi ancienne;
d’autre part, dans sa seconde moitié, avant l’émergence du christianisme et
sous l’influence grecque, apparaîtra la figure de la Sagesse de Dieu, qui
préfigurera la loi nouvelle.
La première période
est centrée sur l’Alliance entre l’Eternel et son peuple. Dans cette Alliance
qui exprime l’amour et la fidélité à Dieu, comme dans une relation nuptiale où
la divinité tient le rôle de l'époux, l’humanité est revêtue d’une identité
féminine. Elle prend poétiquement le féminin visage de la Terre promise ou de
la Cité sainte. À travers ce couple, l’humain s’identifie à la femme soumise à
la loi d’un mari exigeant et jaloux. Epouse tentée par l’infidélité, le retour
aux divinités païennes, car souffrant des colères imprévisibles de l’implacable
époux (Os 1-2). C’est ainsi que se cristallise la figure du Yahvé de l’Ancien
Testament. Dans la lumière du ciel, seul brille le Père qui inspire la crainte.
L’anima est exilée dans l’obscurité de la terre.
Au fil des siècles,
cette relation ombrageuse s’adoucit quelque peu. Le Cantique des cantiques, pur
chant d’amour où résonne la voix féminine de la bien-aimée, élève
symboliquement l’humanité au rang d’une épouse plus aimée que possédée. C’est cette
relation que l’on retrouvera plus tard dans le christianisme, notamment chez
Paul, avec l’union du Christ et de son Eglise, l’Eglise étant comparée à la
femme soumise, mais aimée de son mari (Ep 5: 21-32). A ce stade, où l’homme est
encore largement dominé par ses sentiments et où sa raison doute encore d’elle-
même, l’identité symbolique de l’humanité reste féminine, celle de la divinité
exclusivement masculine. Ce n’est déjà plus la loi ancienne mais ce n’est pas
encore la loi d’amour.
Plus nous approchons
de notre ère, plus la conscience et la raison humaines se renforcent, et plus
la divinité devient abstraite et se spiritualise. D’une part, l’esprit de
l’homme ne s’accommode plus de l’image du Dieu patriarcal et violent des
origines; la conscience n’accepte plus l’humiliation de Job. D’autre part et en
conséquence, dans la pensée religieuse, les qualités du divin se féminisent, la
relation au divin appelle sagesse et amour. Ainsi, dans la pensée
judéo-alexandrine des deux derniers siècles avant Jésus Christ, le Dieu
d’Israël change quelque peu de caractère et, surtout, deux autres créatures
d’essence divine font leur apparition à ses côtés: le Logos et la Sophia.
C’est ainsi qu’à
travers les livres tardifs de l’Ancien Testament comme les Proverbes, la
Sagesse et le Siracide, s’élaborent la figure de la Sagesse divine et sa
tradition sophianique. Sophia, mystérieuse entité féminine, émanant
éternellement du souffle de Dieu, dépositaire de ses secrets, présente à ses
côtés lors de la création et artisane de l’univers. Elle deviendra la
médiatrice entre l’homme et Dieu, l’intercesseur bienveillant qui compense
l’abîme insondable de l’Eternel terrifiant. L’anima retrouve la lumière, la
divinité une face féminine.
Sagesse divine et noces
La Sagesse divine,
figure mal connue du judaïsme de la fin de l’Antiquité, préfigura clairement
l’Esprit Saint de la Trinité chrétienne, le Paraclet de l’évangile de Jean, et
même le Logos du Prologue. Elle inspira de nombreux traits à l’image de Marie,
mère immaculée du Christ et intercesseur priant pour le salut des pécheurs.
Elle fut enfin chantée avec passion comme une femme aimée, à l’instar de la
Jérusalem apocalyptique, épouse spirituelle de l’agneau. Epouse parée non plus
pour l’union cosmique de Dieu avec l’humanité, son peuple ou son Eglise, mais
parée pour les noces mystiques de l’homme, de chaque initié, avec la divinité.
L’Ancien Testament
dit de la Sagesse: «Elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans
taches dans l’activité de Dieu et une image de sa beauté… Elle partage la vie
de Dieu… à ses côtés comme le maître d’oeuvre… l’artisane de l’univers et des
êtres» (Sg 7: 26 , 8: 3-4; Pr 8: 30, Sg 8: 5). Et la Sagesse dit d’elle-même:
«Je suis la mère du pur amour… je suis donnée à tous mes enfants… Venez à moi,
vous qui me désirez et rassasiez-vous de mes fruits» (Si 24: 17, 19). Ainsi,
l’exaltation de la Sagesse divine dans l’Ancien Testament, comme plus tard dans
la franc-maçonnerie, symbolise un triple accomplissement, la célébration de
trois sortes de noces qui abolissent la dualité.
Accomplissement
religieux tout d’abord. La part féminine de Dieu, autrefois déesse archaïque
chassée du ciel, revient d’exil régénérée et spiritualisée; elle retrouve sa
place auprès de l’Eternel. De ce mariage divin pourra naître l’enfant-Dieu
rédempteur de l’humanité, incarné au coeur de l’homme pour y engendrer l’amour.
Accomplissement psychologique ensuite. La moitié de la personnalité, refoulée
dans l’inconscient, est libérée, aimée; pôle féminin de l’âme et pôle masculin
de la conscience se rejoignent et recouvrent l’harmonie. De cette union
psychique pourra naître le Soi, expression de la complétude de l’être.
Accomplissement spirituel enfin. L’image de Dieu ensevelie en l’homme est
ressuscitée comme l’initié, l’image défigurée est restaurée; l’être retrouve
son centre, la communion avec sa source sacrée. De ces noces mystiques pourra
renaître l’homme primordial, réintégré dans sa ressemblance divine. C’est cette
triple union que célèbre symboliquement la Jérusalem apocalyptique:
«Heureux
ceux qui sont appelés au festin des noces de l’agneau!». Heureux les spirituels
ou les initiés accomplis qui pourront pénétrer dans leur propre ville sainte,
leur intériorité préparée comme une épouse, comme un tabernacle de Dieu, car
celui-ci habitera avec eux. (Ap 19: 9; 21: 2-3). De telles noces passent par
l’abolition de toute dualité, par la fusion du masculin et du féminin
notamment. Parvenu à ce stade ultime de la quête, l’être n’a plus besoin ni de
soleil ni de lune; car la gloire de Dieu l’éclaire. Alors, la nuit comme la
mort sont abolies. (Ap 21: 4, 23; 22: 6).
source :
http://www.freimaurerei.ch/
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