Nombre total de pages vues

dimanche 19 avril 2015

L’évolution de la tradition biblique


Après la chute du couple primordial, le judaïsme de l’Ancien Testament connaîtra schématiquement deux périodes, dominées successivement par deux regards sur la divinité, et donc par deux images très différentes du féminin dans la relation entre l’homme et Dieu. D’une part, dans la première moitié du millénaire avant notre ère, la figure dominante sera celle de l’Alliance, c’est-à-dire de la loi ancienne; d’autre part, dans sa seconde moitié, avant l’émergence du christianisme et sous l’influence grecque, apparaîtra la figure de la Sagesse de Dieu, qui préfigurera la loi nouvelle.

La première période est centrée sur l’Alliance entre l’Eternel et son peuple. Dans cette Alliance qui exprime l’amour et la fidélité à Dieu, comme dans une relation nuptiale où la divinité tient le rôle de l'époux, l’humanité est revêtue d’une identité féminine. Elle prend poétiquement le féminin visage de la Terre promise ou de la Cité sainte. À travers ce couple, l’humain s’identifie à la femme soumise à la loi d’un mari exigeant et jaloux. Epouse tentée par l’infidélité, le retour aux divinités païennes, car souffrant des colères imprévisibles de l’implacable époux (Os 1-2). C’est ainsi que se cristallise la figure du Yahvé de l’Ancien Testament. Dans la lumière du ciel, seul brille le Père qui inspire la crainte. L’anima est exilée dans l’obscurité de la terre.

Au fil des siècles, cette relation ombrageuse s’adoucit quelque peu. Le Cantique des cantiques, pur chant d’amour où résonne la voix féminine de la bien-aimée, élève symboliquement l’humanité au rang d’une épouse plus aimée que possédée. C’est cette relation que l’on retrouvera plus tard dans le christianisme, notamment chez Paul, avec l’union du Christ et de son Eglise, l’Eglise étant comparée à la femme soumise, mais aimée de son mari (Ep 5: 21-32). A ce stade, où l’homme est encore largement dominé par ses sentiments et où sa raison doute encore d’elle- même, l’identité symbolique de l’humanité reste féminine, celle de la divinité exclusivement masculine. Ce n’est déjà plus la loi ancienne mais ce n’est pas encore la loi d’amour.

Plus nous approchons de notre ère, plus la conscience et la raison humaines se renforcent, et plus la divinité devient abstraite et se spiritualise. D’une part, l’esprit de l’homme ne s’accommode plus de l’image du Dieu patriarcal et violent des origines; la conscience n’accepte plus l’humiliation de Job. D’autre part et en conséquence, dans la pensée religieuse, les qualités du divin se féminisent, la relation au divin appelle sagesse et amour. Ainsi, dans la pensée judéo-alexandrine des deux derniers siècles avant Jésus Christ, le Dieu d’Israël change quelque peu de caractère et, surtout, deux autres créatures d’essence divine font leur apparition à ses côtés: le Logos et la Sophia.

C’est ainsi qu’à travers les livres tardifs de l’Ancien Testament comme les Proverbes, la Sagesse et le Siracide, s’élaborent la figure de la Sagesse divine et sa tradition sophianique. Sophia, mystérieuse entité féminine, émanant éternellement du souffle de Dieu, dépositaire de ses secrets, présente à ses côtés lors de la création et artisane de l’univers. Elle deviendra la médiatrice entre l’homme et Dieu, l’intercesseur bienveillant qui compense l’abîme insondable de l’Eternel terrifiant. L’anima retrouve la lumière, la divinité une face féminine.

Sagesse divine et noces
La Sagesse divine, figure mal connue du judaïsme de la fin de l’Antiquité, préfigura clairement l’Esprit Saint de la Trinité chrétienne, le Paraclet de l’évangile de Jean, et même le Logos du Prologue. Elle inspira de nombreux traits à l’image de Marie, mère immaculée du Christ et intercesseur priant pour le salut des pécheurs. Elle fut enfin chantée avec passion comme une femme aimée, à l’instar de la Jérusalem apocalyptique, épouse spirituelle de l’agneau. Epouse parée non plus pour l’union cosmique de Dieu avec l’humanité, son peuple ou son Eglise, mais parée pour les noces mystiques de l’homme, de chaque initié, avec la divinité.

L’Ancien Testament dit de la Sagesse: «Elle est un reflet de la lumière éternelle, un miroir sans taches dans l’activité de Dieu et une image de sa beauté… Elle partage la vie de Dieu… à ses côtés comme le maître d’oeuvre… l’artisane de l’univers et des êtres» (Sg 7: 26 , 8: 3-4; Pr 8: 30, Sg 8: 5). Et la Sagesse dit d’elle-même: «Je suis la mère du pur amour… je suis donnée à tous mes enfants… Venez à moi, vous qui me désirez et rassasiez-vous de mes fruits» (Si 24: 17, 19). Ainsi, l’exaltation de la Sagesse divine dans l’Ancien Testament, comme plus tard dans la franc-maçonnerie, symbolise un triple accomplissement, la célébration de trois sortes de noces qui abolissent la dualité.

Accomplissement religieux tout d’abord. La part féminine de Dieu, autrefois déesse archaïque chassée du ciel, revient d’exil régénérée et spiritualisée; elle retrouve sa place auprès de l’Eternel. De ce mariage divin pourra naître l’enfant-Dieu rédempteur de l’humanité, incarné au coeur de l’homme pour y engendrer l’amour. Accomplissement psychologique ensuite. La moitié de la personnalité, refoulée dans l’inconscient, est libérée, aimée; pôle féminin de l’âme et pôle masculin de la conscience se rejoignent et recouvrent l’harmonie. De cette union psychique pourra naître le Soi, expression de la complétude de l’être. Accomplissement spirituel enfin. L’image de Dieu ensevelie en l’homme est ressuscitée comme l’initié, l’image défigurée est restaurée; l’être retrouve son centre, la communion avec sa source sacrée. De ces noces mystiques pourra renaître l’homme primordial, réintégré dans sa ressemblance divine. C’est cette triple union que célèbre symboliquement la Jérusalem apocalyptique: 

«Heureux ceux qui sont appelés au festin des noces de l’agneau!». Heureux les spirituels ou les initiés accomplis qui pourront pénétrer dans leur propre ville sainte, leur intériorité préparée comme une épouse, comme un tabernacle de Dieu, car celui-ci habitera avec eux. (Ap 19: 9; 21: 2-3). De telles noces passent par l’abolition de toute dualité, par la fusion du masculin et du féminin notamment. Parvenu à ce stade ultime de la quête, l’être n’a plus besoin ni de soleil ni de lune; car la gloire de Dieu l’éclaire. Alors, la nuit comme la mort sont abolies. (Ap 21: 4, 23; 22: 6).



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire