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jeudi 2 avril 2015

L’image féminine du divin


Le processus psychique et individuel qui précède est dans ses grandes lignes exactement le même que celui suivi par l’évolution spirituelle et collective des religions. Dans son état primitif, l’homme perçoit le divin de façon avant tout inconsciente et naturelle. A l’instar d’Adam et Eve au paradis, les pôles de sa psyché restent équilibrés et il perçoit également de manière harmonieuse les aspects symboliquement masculins et féminins de la divinité. Son univers est encore constellé de dieux et de déesses. Les grandes religions antiques et les traditions primitives de l’Occident faisaient une large place aux femmes dans les rites et accordaient de multiples aspects féminins à la divinité. Dans les religions archaïques, les déesses mères ou de la terre étaient prédominantes. Les panthéons de l’Egypte et de la Grèce comptaient autant de dieux que de déesses, et pratiquement chaque dieu avait pour pendant féminin une épouse ou une soeur, comme Jupiter et Junon, Apollon et Diane. Les triades divines comprenaient très souvent un élément féminin, comme Isis en Egypte, Isthar à Babylone. Même le Yahvé archaïque des hébreux possédait une épouse, Ashéra.

Mais peu à peu la conscience de l’homme se développe; c’est la connaissance du bien et du mal, la chute allégorique. La psyché se dissocie tout comme la perception et la représentation du divin. À partir de cette conscience, de cette dissociation, le judaïsme évoluera vers le monothéisme, l’hellénisme vers la philosophie. Comme la conscience et la raison sont symboliquement masculines, l’inconscient et le spirituel féminins, au fur et à mesure que conscience et raison croissent, la perception du monde et de la divinité qui le gouverne prend des formes de plus en plus masculines. Se renforce ainsi, jusqu’à devenir unique dans le judaïsme, la figure masculine du Dieu père symbolisant l’ordre et la loi, du Dieu céleste qu’il faut craindre. À l’inverse s’estompe jusqu’à disparaître, l’image de la déesse terre protectrice et nourricière, de la déesse mère métaphore de l’amour et de la renaissance. Le christianisme suivra la même voie: le Christ rédempteur est Fils de Dieu le Père; la Trinité est dénuée d’expression féminine; Marie, pourtant «mère de Dieu», en est exclue, alors que le Saint Esprit procède du Père et du Fils. Le modèle divin est une relation père-fils sublimée, la mère et la fille en sont écartées.

Ainsi, psychisme et religion suivent le même chemin. Comme l’homme qui refoule son anima dans la profondeur de son inconscient, la religion évacue la figure féminine de Dieu. Mais dans les deux cas la moitié écartée n’est pas éliminée, elle est seulement occultée. Un certain déséquilibre, une incomplétude en résulte. Situation temporaire cependant, car ainsi que l’homme est voué par sa quête à retrouver son anima, la religion est amenée un jour à laisser transparaître ou à mettre en pleine lumière les éléments féminins qu’elle dissimulait. Tel fut le cas du judaïsme exaltant la Sagesse, puis du christianisme vénérant la Vierge ou idéalisant la Jérusalem céleste.

En d’autres termes, la quête de l’homme face à lui-même et son essor vers la divinité ont le même passage obligé: la rencontre, les noces avec l’Eternel féminin. Pour l’homme psychique, le but sera l’union dans le Soi de sa conscience masculine et de son intériorité féminine, l’anima. Pour l’homme spirituel, le but sera le mariage mystique de l’esprit et de l’âme, ou de l’intelligence et de la sagesse divine, afin que de ces noces naisse l’enfant-dieu de l’amour, l’homme ressuscité à la vraie vie. Si la face féminine de Dieu se dissimule aujourd’hui à nos regards, sous le voile plus ou moins épais dont la recouvre la religion, la tradition et nos symboles, c’est parce qu’elle représente un des buts les plus secrets de la quête intérieure et spirituelle.

Masculin et féminin dans la Genèse

À travers ses multiples récits et anecdotes, souvent exploités à des fins misogynes, l’Ancien Testament donne à première vue de la femme l’image d’une mineure soumise à l’arbitraire d’une société patriarcale. Mais le féminin dans la Bible dépasse cette condition profane, pour peu que l’on aille à l’essentiel. Et cet essentiel commence par la Genèse qui nous révèle la double nature masculine et féminine à la fois de l’être humain et de la divinité, en même temps qu’elle nous révèle l’égalité de l’homme et de la femme face au salut et leur complémentarité essentielle.

Au sixième jour, «Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il le créa mâle et femelle». Ainsi, le tout premier livre de la Genèse déclare le masculin et le féminin simultanément incarnés dans l’humain, ce qui vise notamment la double nature psychique de l’homme. Plus, déclarant l’homme créé mâle et femelle à l’image de Dieu, le texte implique logiquement que Dieu lui-même possède ce double aspect masculin et féminin. Cette dualité dans l’unité est l’un des sens que l’on peut prêter au delta maçonnique.

Puis, dans le second livre, Dieu crée l’Adam originel, tiré de la terre et animé de son souffle divin. Mais la solitude d’Adam appelle immédiatement la création d’Eve. Nullement pour que l’humanité puisse se perpétuer, car au paradis cela n’est pas nécessaire, mais afin qu’Adam ait un semblable, un vis-à-vis. Eve incarne donc non seulement l’autre, sans lequel la vie n’aurait pas de sens, mais aussi le miroir, qui renvoie à l’homme sa propre image profonde. Plus, l’anecdote de la création de la femme à partir de la côte ou du flanc de l’homme indique qu’Eve est symboliquement une partie d’Adam, la part féminine de celui-ci, son anima.

Au paradis, Adam et Eve vivent dans une parfaite harmonie. Mais la chute, avec ses malédictions différenciées pour chacun d’eux, remplacera cet état par des relations souffrantes de désir et de domination. C’est le symbole de la dissociation de la conscience et de la psyché. Dès lors, le but de l’être sera de retrouver cette harmonie perdue, de reformer le couple originel d’Adam et Eve. Car, comme le dit l’évangile apocryphe de Philippe, «Quand Eve était en Adam, il n’y avait pas de mort. Si à nouveau elle entre en lui et s’il la prend en lui-même, il n’y aura plus de mort». La renaissance de l’initié passe par cette réunion.


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