Dans la
mythologie celtique, il y a une relation entre le pouvoir séculier et la déité,
et entre le pouvoir et la terre. Le roi était lié par un mariage sacré à la
déesse qui était supposée assurer la fertilité de la terre. Assez souvent dans
l’ancienne religion ou dans les mythes, la terre ou le pays étaient représentés
par des entités féminines, comme les déesses, ou bien des entités qui en
étaient la personnification. La déesse du pays avait souvent les attributs de
la déesse-mère ou de celle de la fertilité. Evidemment, elle n’était pas
nécessairement une déesse ; elle pouvait être la reine ou une personne
représentative de la déesse, comme une prêtresse. La compagne du roi, qui
qu’elle puisse être, est souvent décrite comme la «Déesse de la Souveraineté».
La fertilité et la prospérité futures du royaume dépendent de la façon dont le
roi s’accouple avec la Souveraineté de la terre. Dans la mythologie irlandaise,
il y a beaucoup de femmes ou de déesses qui représentent la Souveraineté de
l’Irlande.
Parmi elles, on trouve
Morrigan (et son triple aspect en tant que déesse de la guerre – Badb, Nemain
et Macha), Eriu et ses soeurs Banba et Fodla. Les trois soeurs, Eriu, Banba et
Fodla sont toutes les trois un des noms poétiques de l’Irlande. Elles
représentent la Souveraineté de l’Irlande, de même que les déesses de Danann.
Cependant, Eriu est la plus connue des trois soeurs. Dans le Lebor
Gabála (le Livre des Invasions) et dans le Cath
Maige Tuired (la Seconde Bataille de Mag Tuired), Eriu était aimée
d’Elatha, le roi des Fomoré1. Elle devint la mère du Roi Bres d’Irlande, quand
Nuada perdit son bras. Avec la défaite des Fomoré dans la seconde bataille de
Mag Tuired, elle devint l’une des épouses du héros Lugh Lamfada2. Quand les
trois petits fils de Dagda3 assassinèrent Lugh, Eriu se maria avec l’un des
frères, nommé MacGreine. Ses soeurs se marièrent avec les deux autres frères –
Banba avec MacCuill et Fodla avec MacCecht. Ainsi Eriu était la mère d’un roi
et l’épouse de deux autres. Quand les
Milésiens arrivèrent, les trois souverainetés de l’Irlande comprirent qu’ils
voulaient conquérir le pays,et chaque
reine essaya de les persuader de lui donner leur nom. Eriu, la dernière des
soeurs à rencontrer les Milésiens, leur promit la victoire sur son propre
peuple. Eriu et ses soeurs tombèrent avec leur
poux dans la Bataille de Tailtiu. Ainsi qu’ils l’avaient promis, les
Milésiens nommèrent toute l’île en l’honneur d’Eriu, Erin ou Eire, qui est
l’autre nom de l’Irlande.
Morrigan est une des déesses des plus exceptionnelles.
Elle était la fille de
Delbáeth et Ernmas. Elle avait aussi deux soeurs, Badb et Macha (et
probablement aussi une troisième nommée Nemain). Ici, on peut la voir sous la
forme de trois personnages séparés. Cependant, il est aussi possible que Badb,
Macha et Nemain ne soient qu’une seule personne, connue sous le nom de Morigu.
Mais chacune représente un aspect de la déesse. Ainsi Morigu était la triple
déesse de la guerre. Elles aussi étaient déesses de la souveraineté d’Irlande,
mariées aux hauts rois. Badb et Nemain sont connues pour être les épouses de
Neit, un personnage obscur des mythes irlandais, alors que Macha était l’épouse
et consort de Nuada Airgedlámh. Macha et Nuada moururent dans la Seconde Bataille
de Mag Tuired4. Il a été dit aussi que Macha était l’épouse de Nemed, le chef
des Némédiens, un peuple qui s’est installé en Irlande avant l’arrivée des
Tuatha Dé Danann.
Avant la Seconde Bataille
de Mag Tuired, le dieu Dagda rencontra une belle femme à Glenn Etin pendant la
nuit de Samhain (la veille de la bataille). Dagda la séduisit et dormit avec
elle. On pense que cette femme était Morrigan. Elle prédit la victoire des
Danann en leur promettant son aide. Chaque année, la nuit de Samhain, Dagda doit
s’accoupler avec Morrigan pour assurer la fertilité et la prospérité de
l’Irlande, car la déesse de la guerre est aussi la souveraineté de l’Irlande.
Les déesses de la
souveraineté ne sont pas limitées à se marier avec le haut roi d’Irlande.
Chaque province a sa déesse de la souveraineté. Il y aussi une autre Macha,
souveraineté de l’Ulster, et dans une province voisine, Medb (Maeve) était
celle du Connacht5. Il n’est pas certain que l’Ulaid Macha6 soit la même
reine/déesse que la Macha némédienne ou que celle des Danann. Cependant, l’idée
du mariage sacré entre un roi et une déesse n’apparaît pas seulement dans les
mythes irlandais ou gallois. En fait, qu’un roi se marie à une déesse est un
très ancien rituel de nombreuses cultures anciennes. Et comme dans les mythes
celtiques, le mariage sacré est en rapport avec la fertilité de la terre. Il y
en a un qui me revient en mémoire : le mythe de la déesse sumérienne, Inanna,
dont le nom babylonien est Ishtar. Les attributs d’Inanna combinaient ceux des
déesses grecques Aphrodite et Athéna, car elle était la déesse de l’amour et de
la guerre. Inanna a aussi été identifiée comme la déesse de la souveraineté de
Sumer.
Selon les mythes
sumériens, elle était l’épouse de Dumuzi, le dieu des bergers. Pour quelque raison,
Inanna descendit aux Enfers, et Ereshkigal, la déesse de la mort, séquestra sa
sœur Inanna dans son domaine. Cependant, Enki, le dieu de la sagesse envoya
deux de ses créatures pour sauver Inanna. Quand celle-ci s’échappa de sa prison
des Enfers et s’enfuit jusque chez elle au Paradis, Ereshkigal envoya ses
démons pour poursuivre sa soeur. Inanna réussit à se protéger ainsi que ses
enfants, mais elle ne put protéger son époux. Dumuzi fut traîné dans les
Enfers. Cependant, une partie de son
esprit échappa à la mort.
En tant que souveraineté
de la terre, il est dit d’Inanna qu’elle est la fiancée de chaque roi. Chaque roi est vu comme étant
l’incarnation de Dumuzi, le mari d’Inanna. Ainsi chaque roi se mariait et s’accouplait avec la
prêtresse d’Inanna (Ishtar).
Dans la mythologique
nordique, le mariage sacré était appelé hierós gámos bien que ledit mariage
soit conclu entre le dieu du ciel et la déesse de la terre. Avec l’importance
croissante de l’agriculture pour les Scandinaves, l’union entre ces déités
devait assurer la fertilité de la terre. Les sols n’avaient pas seulement
besoin d’être fertiles, mais il leur
était aussi nécessaire d’avoir du soleil et de la pluie. De même, la légende du
Roi Arthur et du Graal a emprunté et utilisé le symbolisme et des images du
fond celtique. Elle a aussi utilisé le symbolisme du mariage sacré.
Dans les mythes gallois,
Guenièvre était nommée Gwenhwyfar, une reine et déesse de Bretagne. Ainsi
Gwenhwyfar était la personnification de la Bretagne ; et aussi sa souveraineté.
Quand Arthur se maria avec elle, il épousa le pays (la Bretagne). Cependant,
dans le courant principal de la littérature arthurienne, Guenièvre ne
représente pas seulement le royaume de Logres (Bretagne), mais la source de la
puissance terrestre d’Arthur provenant de la Table Ronde. Il y a plusieurs
versions de l’origine de la Table Ronde, mais l’originale (racontée par Wace,
dans le Roman de Brut en 1155) était construite de façon à ce que tous les
chevaliers soient égaux sans que l’un d’entre eux ait une préséance sur un
autre, quelle que soit son origine (voir la Vie du Roi Arthur et
l’Origine de la Table Ronde). La Table Ronde n’a rien à voir avec Merlin ou le
Graal. Mais comme les histoires du Graal se mélangèrent avec celles des
chevaliers d’Arthur, les origines de la Table Ronde changèrent.
Vers 1200, un poète nommé
Robert de Boron écrivit une trilogie à propos du Graal : Joseph d’Arimathie,
Merlin et Perceval. Selon Boron, la Table Ronde fut construite par Merlin, en
utilisant la Table du Graal de Joseph d’Arimathie comme modèle. De même Merlin
la fit ronde, car le cercle est semblable à la Terre. Pour résumer cette
histoire, Merlin l’avait construite à l’origine pour Uther Pendragon (le père
d’Arthur), mais à sa mort, le Roi Leodagan de Camelide, le père de Guenièvre la
reçut d’Uther. Quand Arthur se maria avec Guenièvre, Leodagan donna la Table
Ronde (et 100 chevaliers) à Arthur comme dot (on peut trouver plus de détails
de cette histoire dans la légende d’Excalibur, l’Origine
de la Table Ronde, et Merlin et le Graal). Le
point fort de cette histoire est que Guenièvre était le symbole de la Table
Ronde et du Royaume de Logres tout à la fois et qu’ainsi, elle représentait la
puissance de la royauté, bien plus qu’Arthur lui-même. La Reine était unie au
royaume et à la fraternité des compagnons de la Table Ronde.
La santé du royaume et de
la fraternité des compagnons de la Table Ronde dépendaient de Guenièvre,
puisque la Table Ronde lui appartenait. Dans la Mort
Artu (La Mort du Roi Arthur, une
partie du roman du Cycle Vulgate), la
Table Ronde s’était brisée car Guenièvre fut surprise dans sa chambre en
compagnie de son amant Lancelot. Elle fut condamnée à mort, mais Lancelot vint
à son secours. Une guerre en résulta avec Arthur et ses fidèles contre Lancelot
et les siens. La division entre les deux factions fut symbolisée par la
division de la Table Ronde. Cette division de même que la guerre affaiblirent
grandement le pouvoir d’Arthur. Cependant, la Table Ronde se brisera encore une
fois lorsque Mordred, son fils illégitime, agissant en tant que vice-roi en
l’absence d’Arthur, saisit la royauté et le royaume. Dans cette version,
Mordred essaya de forcer Guenièvre à l’épouser, mais la reine réussit à
s’échapper.
Dans certaines versions
anciennes, c’était Mordred et non Lancelot qui était l’amant de Guenièvre.
Mordred, dans la légende originale était le neveu d’Arthur et le frère de
Gauvain. Le roi était absent car en guerre contre Rome, quand Guenièvre se mit
en quête de séduire le neveu de son mari. A travers le mariage à la
souveraineté de la Bretagne (Guenièvre), personne ne pouvait empêcher Mordred
de devenir le roi de Bretagne. Comme dans la légende plus récente, l’usurpation
de Mordred fut de courte durée. Quelle que soit la version que vous avez lue,
le royaume d’Arthur était en crise. En
se mariant avec sa tante, la Reine, Mordred pouvait légitimement prétendre au
trône et à la couronne. Tout homme qui épouse la Reine a les clés du royaume,
car la Reine était le royaume.
Dans la légende du Graal,
le roi du Graal, aussi connu sous le nom du Roi Pêcheur ou du roi Méhaigné,
était encore plus associé qu’Arthur à la fertilité de la terre. Parce qu’il
était blessé, le royaume du roi du Graal devint une contrée désolée et stérile
: la Terre Gaste (il y a plusieurs versions de l’origine de cette blessure, je
ne vais donc pas en dire plus, mais si vous êtes intéressé, vous pouvez lire le
Roi Pêcheur). Depuis que le Roi du Graal a été blessé aux cuisses et qu’il
est devenu stérile, sa terre l’est devenue aussi. Pour restaurer le royaume et
la fertilité de la terre, le Roi du Graal doit être soigné. Encore une fois, il
y a quantité de versions de la façon dont le roi a été soigné, mais la plus
commune, c’est quand le héros du Graal doit poser la question appropriée sur le
mystère du Graal : «A qui le Graal sert-il ?» Le point principal de tout cela
est que la terre était liée à la santé du roi, comme s’il était réellement
marié à son pays. Si le roi subit des blessures, alors le pays souffrira aussi.
Comme on peut le voir, le
Roi du Graal et sa terre partageaient un thème commun dans les mythes
celtiques. Tout le royaume dépendait d’un roi dont la santé devait être
excellente. Cela nous ramène aux mythes irlandais où un roi ayant souffert
d’une imperfection physique et d’avoir été défiguré avait été banni du royaume.
Nuada perdit son bras dans la guerre contre les Firbolgs7. N’ayant plus qu’un
bras, il dut abdiquer en faveur de Bres, qui était physiquement beau et en
bonne santé, mais totalement incapable de gouverner, car tyrannique et avare,
ce qui le rendit impopulaire auprès de son peuple. La tyrannie de Bres était
telle qu’il fut donné un bras d’argent à Nuada, afin qu’il put gouverner de
nouveau. Plus tard, Miach, le fils de Dian Cécht8, restaura le bras de Nuada,
de façon à ce qu’il n’y ait aucun doute sur la légitimité de Nuada à gouverner
l’Irlande. Un autre roi célèbre fût disqualifié de la Royauté : Cormac Mac
Airt, le Haut Roi d’Irlande était défiguré, ayant perdu un oeil. Il dût alors
abdiquer en faveur de son fils Cairbre Lifechair.
[1] Fomoré : ancien peuple
mythique d’Irlande.
[2] Lugh Lamfada : «Lugh
au long bras». Lugh est un dieu solaire irlandais,
excellent dans tous les
arts et techniques. Associé par les romains à Mercure.
[3] Dagda : «bon dieu »,
figure patrenelle de Danann milésiens : ancêtres
des Irlandais.
[4] Nuada Airgedlámh.
[5] Connacht : province de
l’ouest de l’Irlande.
[6] Ulaid Macha : Macha
d’Ulster.
[7] Firbolgs : ancien
peuple mytique d’Irlande
[8] Dian Cécht : Dieu
Irlandais guérisseur, qui créa le bras d’argent pour
Lugh
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