Cercles de
femmes, Tentes rouges, Conseil des 13 grands-mères indigènes… Dans ces temps de
changement, des femmes se rassemblent, décidées à jouer un rôle nouveau dans la
transformation du monde.
De par le
monde, les combats pour les droits des femmes sont plus que jamais d’actualité.
En témoignent les récentes manifestations Save the Girls à New Delhi en Inde,
le mouvement contestataire des Femen en Ukraine et bien d’autres. Mais les
femmes se rassemblent aussi pour suivre le cheminement plus intérieur de leur
dimension spirituelle, allant de la guérison des blessures à l’éveil du féminin
sacré. Cette évolution est plus souterraine, moins vindicative, moins dualiste
– elle prend en compte l’union avec le masculin – et elle s’inscrit dans une
quête de valeurs plus en accord avec des qualités supposément propres aux
femmes mais qu’elles doivent redécouvrir, tant elles s’en sont éloignées. Les
femmes sont de plus en plus nombreuses à rejoindre des cercles qui leur sont
dédiés, autour de la maternité, des sagesses ancestrales, de la sexualité et de
la spiritualité.
La confusion des genres
À l’origine de ce mouvement, un besoin de retrouver une part féminine. Il
semblerait en effet que pour se frayer une place, les femmes se soient coulées
dans des modèles à dominante masculine. « En
véritables guerrières, ces hyperbattantes ont misé sur une attitude activiste,
basée sur le contrôle. Celui de leur corps, de leur image, des autres et même
de la nature, de la maternité », explique France Schott-Billmann,
psychanalyste et auteure de Le
Féminin et l’amour de l’autre. Dans
la société actuelle, elles n’ont eu d’autre choix que de chercher à être les
égales des hommes… en devenant en quelque sorte identiques. Une confusion des
genres qui n’est pas sans risques, pour la psychanalyste : « Cuirassées pour être efficaces, elles ont oublié
d’être réceptacles. Campées sur leur position défensive ou agressive, elles se
sont coupées de leur ressenti, et de leurs forces vives. » D’où sans doute ce désir de revenir à
soi.
«
Aujourd’hui encore, les femmes ne sont pas dans un confort moral qui leur donne
une véritable confiance en leurs valeurs », se désole Aude de
Thuin, fondatrice du Women’s Forum. Ses rencontres avec des représentantes de
tous âges et cultures du monde entier ont assis sa conviction que les femmes
représentent des facteurs de changement importants pour construire une société
plus éthique, respectueuse de l’autre, soucieuse de l’environnement… En matière
de leadership d’entreprise, par exemple, les étudesWomen Matter réalisées par McKinsey (2007), ont
établi de manière frappante la corrélation entre excellence organisationnelle
et présence féminine dans les organes de direction. Mais une étude récente montre
qu’encore aujourd’hui, une femme doit en moyenne travailler 79 jours de plus
qu’un homme pour gagner autant.
Pour Aude de Thuin : « Dans ce
système patriarcal, la relation des femmes aux hommes comme protecteurs a
toujours été le socle de leur existence, d’où l’insécurité permanente de
dépendre d’un autre, physiquement et socialement plus puissant… afin de
survivre. » Au
registre des nouveaux défis à relever, « les
femmes doivent s’affranchir des modèles anciens et participer pleinement au
monde », conclut cette entrepreneuse hors du commun.
Un mouvement international
«
Chez les Anciens, il est dit que ce sont les femmes qui vont porter le réveil
de conscience, et qu’elles sont invitées à se rassembler »,
explique Wilma Mankiller, l’une des 13 grands-mères indigènes. Créé en 1994, le
Conseil international des 13 grands-mères indigènes est constitué de femmes de
sagesse, chamanes et guérisseuses venues du cercle polaire arctique, d’Amérique
du Nord, d’Amérique centrale, d’Amérique du Sud, d’Afrique, du Tibet et du
Népal. Parcourant le monde pour diffuser leurs enseignements, elles insistent
sur l’importance de maintenir les liens sacrés entre le peuple et la terre, et
proposent une sagesse où les rituels, la prière et la médecine des plantes sont
primordiaux. En droite ligne de cette initiative, de nombreux cercles autour de
ces transmissions ancestrales se sont formés ; leur but est d’aider chaque
femme à s’accomplir dans ses dons et talents personnels, pour rétablir une
harmonie perdue.
«
Coupées de nos racines, de nos cycles, de nos liens avec l’invisible et les
esprits de la nature, nous privons le monde d’une part essentielle à son
équilibre », rappelle Marisa Ortolan, thérapeute en biodynamique et
animatrice de cercles intitulés Secrets de femmes. Et c’est dans les cercles de
femmes, ces « chaudrons », ces matrices, comme les appellent les anciennes,
qu’elles se retrouvent. Autrefois déjà, les femmes se réunissaient et se
transmettaient leur sagesse. « Elles
naissaient, vivaient et agissaient au sein de cercles de femmes. Pour leurs
premières « lunes » (règles), elles étaient initiées, accueillies au sein de la
« lignée des femmes », prêtes à recevoir de celles qui avaient marché avant
elles, la sagesse des « lunes » et leurs énergies créatrice, sexuelle et
spirituelle », précise Marie Motais, formée aux traditions
chamaniques celte et amérindienne, et animatrice des cercles L’Envol des 3
lunes.
Cette tradition ancestrale semble avoir résisté à l’épreuve du temps et de la
modernité. Pour preuve, l’émergence des Tentes rouges en 2008, développées aux
Etats-Unis avec le mouvement BOLD (qui militait à l’origine pour une meilleure
transmission entre femmes des expériences de la grossesse et de la naissance) :
ce sont des groupes de parole de femmes, dans un lieu intimiste où l’ambiance
est à dominante rouge comme les lunes – les règles – (tissus, coussins, et
vêtements). Le but est de renouer avec cette transmission, au travers de
partages sur son histoire, ses secrets, ses interrogations sur la nature du
féminin. La parole est libre, « la
gardienne des lieux est garante de la confidentialité des propos et du
bien-être émotionnel des femmes. J’y ai trouvé une communauté de femmes qui
créent une nouvelle manière de vivre ensemble, dans le partage et le soutien »,
témoigne Camille, 28 ans, psychologue, enceinte.
Un retour au corps « vivant »
La prise en compte du corps est centrale dans les cercles de femmes, avec sans
doute le besoin inconscient de se le réapproprier. « J’ai été surprise de leur manque d’informations,
voire de leur désinformation au sujet de leur corps, tout comme des grandes
étapes de leur vie, à savoir l’adolescence, la maternité, l’accouchement, la
ménopause… », témoigne Catherine Jamet, naturopathe formée au
Cénatho (école de formation en naturopathie), et animatrice des cercles De la
femme blessée à la femme vivante. Dans notre société, le corps est morcelé,
jugé, dénigré. Trop occupées à traquer rides et capitons, 98 % des femmes de 18
à 64 ans, n’aiment pas leurs seins ni leurs fesses, nous apprenait une étude
Dove en 2010. Par ailleurs, ignorantes de la magie de leurs cycles et de leur
beauté naturelle, elles se sont coupées de leurs ressentis et du corps
conscient. Avec à la clé de grandes tensions. « La zone
du bassin, du ventre, du sexe et des cuisses est souvent tendue. Bien que
l’énergie soit toujours présente, elle ne peut circuler librement en raison des
déchets organiques et psychiques (émotions, douleurs, chocs non digérés…)
stockés », déplore Marie-Hélène Sourd, psychothérapeute en
biodynamique, une thérapie psychocorporelle, animatrice des Rendez-vous de la
féminité. Autant d’éléments qui complexifient l’accès à leur nature profonde,
sauvage et libre. Dans les cercles, les femmes retrouvent peu à peu la
connexion avec leurs rythmes physiologiques (expériences sensorielles dans la
nature, mouvements spontanés, prise de conscience du périnée, explorations
corporelles) ; il s’ensuit alors un regain d’énergie, et la découverte de leur
puissance créatrice.
Alors que la société de consommation exhorte l’individu à l’exhibition et à la
performance, des femmes aspirent en secret à retourner au mystère. Au-delà des
occupations quotidiennes et de leurs engagements sociaux, elles possèdent aussi
la faculté et le goût de la transcendance dont parlait le psychiatre Jacques
Lacan, lorsqu’il disait : « Je
soupçonne toute femme de nous tromper avec Dieu ! » « Nous célébrons cette
force de vie qui nous unit, les eaux primordiales et matricielles, la beauté et
la puissance de la femme », expliquent les créatrices des
rencontres sacrées aux Saintes-Maries-de-la-Mer, Sophia Clémenceau, Carol Anpo
Wi et Fabienne Gaïté, formées aux traditions chamaniques et spirituelles.
L’événement annuel réunit chaque automne plus de 170 femmes ; rituels et cérémonies
sont dédiés aux 4 éléments : air, terre, eau, feu. Ce cercle, en écho à tant
d’autres qui fleurissent de toutes parts sur un modèle approchant, offre des
temps pour nourrir ce sentiment d’être accordée aux cycles naturels, aux lois
du cosmos… et au divin. C’est un renversement des valeurs qui est proposé :
compassion, écoute, respect du corps et de la nature, ouverture aux expériences
spirituelles, sont autant d’attitudes encouragées. En ces temps de crise, les
groupes donnent la force de les mettre en œuvre.
Femmes, si vous osiez, Aude
de Thuin
Éditions Robert Laffont (Janvier 2012 ; 319 pages)
Éditions Robert Laffont (Janvier 2012 ; 319 pages)
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