D'une
pierre, deux coups
Et si l'alimentation vivante ne nous permettait pas seulement de faire la paix
avec notre corps, mais aussi avec notre planète ?
Lorsque j'étais petite, je voulais devenir une super-héroïne. Avoir le courage
de Lara Croft, le crochet de Buffy contre les vampires, l'agilité des Charlie's
Angels, la beauté des princesses Disney, parler dix langues, et même lire dans
les pensées. Mais, à l'âge de vingt-cinq ans, j'ai plutôt l'impression d'en
avoir 100. Je réussis à cumuler acné tardive et premières rides, un exploit
tout à fait déprimant. Avec ses maux variés et sa perpétuelle fatigue, mon
corps m'est un fardeau dont je m'échappe la nuit avec soulagement. Au réveil,
les retrouvailles avec mon habit de chair n'ont rien de chaleureuses. La brume
devant mes yeux ne se lève qu'après deux tasses de café. La journée, j'ai du
mal à me concentrer, je suis souvent de mauvaise humeur et stressée.
Un tableau bien noir ? Plutôt la réalité quotidienne de la majorité de mes
contemporains. C'est peut-être ça, finalement, être adulte : un mal-être
sous-jacent qu'on gére à grand renfort de stimulants, alcool, chocolat, séries
télés et de résignation. Lorsque je décris mes bobos à une amie, elle m'assure
qu'il n'y a rien de plus normal. Tout le monde en est là, elle la première. Il
faut faire avec. Vraiment ? Personne ne m'a prévenue ! Je n'ai pas signé pour
une existence pareille. Mon enfant intérieure, qui se rêve plutôt en
Wonderwoman, me rend cette réalité particulièrement dure à accepter.
Le jour de mon anniversaire, une prise de conscience soudaine : il n'y a aucune
raison que ma forme s'améliore avec les années... bien au contraire. J'ai déjà
tenté d'appliquer les conseils de "bon sens" des médecins et des
magazines - boire davantage d'eau, faire du sport, dormir, pratiquer la pensée
positive - sans résultats. Mue par l'energie de l'espoir, je décide alors de
tenter le tout pour le tout : je vais adopter le régime crudivore, dont
certains prétendent qu'il fait des miracles.
En plein hiver, en plein Paris, armée de toute ma détermination et d'un
extracteur de jus, je me lance dans le cru, à corps perdu. Ou plutôt, à corps
retrouvé. Car ce dernier m'indique très vite que j'ai fait le bon choix. Une
sensation de bien-être s'insinue dans mes entrailles. Une sérénité nouvelle
envahit mon esprit. Je supporte avec résignation la detox qui s'ensuit et les
regards consternés devant mes orgies de fruits. Six mois plus tard, je vibre
d'une énergie dont je n'ai jamais joui, même dans ma plus tendre enfance.
C'était il y a deux ans. Depuis, nombre de mes proches ont à leur tour adopté
ce mode de vie, séduits par mon éclat tout neuf. L'alimentation vivante n'est
pas un simple régime mais une véritable philosophie, basée sur le respect des
lois de la nature, auquel notre corps est soumis. C'est apprendre à discriminer
entre ce qui est bénéfique et ce qui ne l'est pas. C'est décider de ne s'offrir
que le meilleur, le vrai, le juste, par amour pour soi-même. C'est apprendre à
respecter la vie. Il existe un parallisme évident entre la façon dont nous
(mal)traitons notre corps, et pillons notre planète. A la racine du mal,
l'irresponsabilité.
Le corps des femmes, comme celui de Gaïa, est généreux, cyclique, nourrissier.
Mais lorsqu'il est attaqué par la pollution générée par le mode de vie d'une
civilisation décadente, il se dérègle, devient moins fertile et disharmonieux.
Résilient par nature, il n'a de cesse de se réparer, grâce à la loi de
l'homéostasie. Mais il ne peut cependant se régénèrer qu'à partir de ressources
adaptées. Un fruit nourrit le sol comme les tissus humain, sans laisser de
résidus importuns. A l'inverse, les aliments traités, cuits, transformés,
inadaptés, vont salir le système sans le nourrir, tout comme leurs emballages
défigurent le paysage durant des années.
Au bout de quelques temps, la Terre, les corps, engorgés par trop de déchets,
sont incapables de continuer à fonctionner. Des symptômes appararaissent -
terres infertiles, maladies - qu'on traite à coups de substances chimiques.
Alors qu'il faudrait laisser le terrain en jachère, afin qu'il se régule de
lui-même, l'homme joue à l'apprenti sorcier. Antibiotiques, médicaments.
Pesticides, nitrates, chlore. On aseptise la surface en acidifiant les
profondeurs, déreglant un eu plus le système. Mais celui-ci, en apparence,
continue de fonctionner : il va pouvoir être exploité davantage, jusqu'à
épuisement.
L'homme a cru la planète si vaste, qu'elle pourrait digérer infiniment ses
déchets. Pas besoin de réguler ses modes de consommation, de nettoyer derrière
soi, ni (surtout pas !) de se priver. Aussitôt jeté, aussitôt oublié. De même,
inutile de prêter attention à ce qu'il avale, et pas question de se refuser de
"se faire plaisir" : le corps saura bien éliminer. Aussitôt avalé,
aussitôt oublié. Encouragé par un système de santé déresponsabilisant, chacun
refuse de voir le lien entre son attitude et ses maux, préférant accuser la
fatalité ou la génétique.
Aliéné par un quotidien éreintant, l'individu a déposé sa responsabilité. On
pare au plus pressé. On astique sa petite maison, avec des produits qui vont
polluer les océans. On se tartine de lotions lissant la peau, mais empoisonnant
l'intérieur. On mange des produits qui flattent notre palais, mais abiment
notre corps. Compartimentant, oubliant que tout n'est qu'Un.
Ne s'identifiant plus à sa nature mais seulement à sa civilisation, l'être
humain s'est coupé de sa planète mère. S'identifiant à son cerveau uniquement,
il s'est coupé de son corps. Au point de perdre tout instinct, de confondre
besoins naturels et artificiels. Dès son plus jeune âge, le bébé humain se voit
servir des aliments cuits, pasteurisés, mélangés, l'empêchant d'emblée de
développer son goût pour les choses vraies. Le privant de sa boussole intérieure,
il devient un consommateur vulnérable prêt à avaler n'importe quel produit bien
marketé.
La peur du manque, le refus de la frustration, aveugle l'homme sur les
conséquences à long terme de ses choix. Il lui faut une catastrophe
environnementale ou la maladie, pour envisager de remettre son mode de vie en
question. En vérité, il semble même que la menace imminente ne suffise pas. La
civilisation humaine fume sur son lit de mort ses dernières cigarettes. Au nom
d'un prétendu "plaisir", d'un hédonisme suicidaire.
Le corps féminin et son système hormonal subtil est particulièrement victime de
cette situation. Le syndrôme prémenstruel, est présenté comme une fatalité
normale, la pose en ennemie de son corps dès sa pré-adolescence. La double
injonction contraire de la société -"sois belle et mince" versus
"allez craque, il n'y a pas de mal à se faire plaisir" la place dans
une dissonnance permanente. Elle se lance alors dans des régimes qui l'affament
et échouent, renforçant le sentiment que son corps est un traître à qui elle ne
peut se fier.
L'alimentation crue et vivante réconcilie le corps et l'esprit. La conscience
s'ancre à nouveau dans le corps, qui devient enfin un endroit où il fait bon
habiter. De la detoxification de l'organisme naît la clarté d'esprit : le
ventre, deuxième cerveau, est une réalité qui n'est plus à démontrer. De la
concience d'être en harmonie avec son environnement nait la sérénité :
abandonner viande et céréales au profit des fruits, c'est remplacer élevage et
champs cultivés par des vergers. Planter des arbres pour se nourrir, c'est
soigner la Terre plutôt que de la piller. D'une pierre, deux coups.
Lucie DE RIBIER a 27 ans. Elle écrit,
réalise des vidéos, donne des conférences et des cours de cru-sine sur le thème
de l'alimentation vivante. Contact : lderibier@gmail.com
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