Crédit photo : Fred Lefaune
Ce
n’est pas du tout
le moment de fêter Beltane. Trop tôt. Je devrais attendre une semaine. Et
pourtant non. J’ai entendu l’appel tôt ce matin, dès les premiers rayons de
l’aube. Je l’ai senti là, dans le ventre, dans le frisson des poils de ma
poitrine, dans la lumière râpeuse de mes cornes déployées. L’appel des fleurs,
des feuilles ouvertes, de la terre nue. C’est le moment. Je dois y aller. Je
dois le faire. Azalées et rhododendrons déploient leurs robes affriolantes et leurs
tout fins pénis gorgés de pollen safrané. La terre est huileuse et fertile.
L’Aubépine ouvre ses bouquets de fleurs roses et serrées. Le monde entier ouvre
les cuisses et laisse se répandre ses parfums. Y a pas à dire, cette année, la
nature est vachement en avance.
Je
traverse le jardin, fourrure au vent. Un voisin me jette au passage un regard
consterné. Il faut dire sous la brise, cela peut effarer. Je m’en
tamponne les coquillages et j’avance, nez levé, vers mon chalet de bois. Rien
ne paraît avoir changé depuis la semaine dernière. Tiens ? Si, tout de même.
Toutes les fleurs sont fanées elles tirent la tronche dans leurs écrins de
verre. Il faut laver tout ça. J’enlève la statue de crapaud qui trônait sur
l’autel depuis Ostara. Je nettoie la planchette toute poudreuse de pollen.
Quelques
fourmis s’enfuient. Je soupire. C’est toujours un moment spécial, transformer
son autel. Puis je dépose, avec d’infinies précautions, une autre figurine
d’argile, abstraite et biscornue. Qu’est-ce donc ? Un oeil ouvert ? Une fleur ?
Peut-être bien. Un vagin où palpite un clitoris boutonneux ?
Possible
également. Mais pas seulement. Il est Phallusaussi. C’est le Dieu-Déesse qui
s’entrouvre. L’antre du Mâle Femelle. L’Hermaphrodite. C’est le Tout. La
réunion terrestre, argileuse, des deux sexes. L’étrange célébration du végétal.
Du végétal ? Mais…
pourquoi ? Étrange comme l’humain croit avec une fermeté rigide que tout se
divise dans le monde en mâles et en femelles. Toutefois, l’immense majorité des
plantes à fleurs est au contraire hermaphrodite. La diécie fait figure
d’exception. Tandis que la grande tribu verte effectuait sa propre évolution,
elle a exploré un nombre incroyable de possibilités sexuelles. Et un pommier
n’est ni mâle ni femelle. Il est les deux sans être l’un ou l’autre. Il est
enfant du Dieu Déesse, c’est tout.
Je m’assieds confortablement. J’allume
ma pipe pour la deuxième fois de l’année. Son tabac chargé de vanille, de
réglisse, disperse le plaisir chaud de ses volutes bleutées. Je ne pense pas.
Je ne parle pas.
Je pétune là, sans rien dire. Je suis
juste présent. Ouvert. Je ne sais même pas ce qui va se produire pendant les
minutes qui suivent.
L’eau s’est retirée de ma hutte avec
un mois d’avance. Son appel est puissant. Charnel. Sensuel. La mousse a
recouvert la terre, mêlée de vieilles bogues de châtaignes, de feuilles de
pissenlit. L’ache des marais y tombe, plein, fort, envahisseur. Je casse une de
ses tiges. J’aime son parfum de céleri. Il glisse en moi des larges ondes de
désir vert, qui me retournent, rêveur, me déposent sur le sol. Je m’assieds.
Je m’allonge. Je regarde le plafond de
ma hutte, branches emmêlées de noisetier. Je sens l’herbe me gratter le dos,
des fourmis offusquées me piquer, la mousse me chatouiller. La terre est humide
de matin, de fraîcheur, de verdeur. Un merle crie. J’appelle le faune. Viens à
moi, faune. Il vient.
Nous sommes là, lovés dans le creux de
la terre, à un mètre sous le niveau du sol, faune mâle et homme mâle, enivrés
de caresses et de suantes fourrures. Donnons à la terre nue l’offrande
poisseuse de nos plaisirs. Quand mai allume les feux du sabbat de Beltane, je
ressens également un tout autre appel. Celui d’un de mes trois pommiers déjà
âgés. C’est toujours le même qui me hèle. Année après année. Je viens à lui.
Timide comme une jeune fille. Je colle ma fourrure à sa peau. Que c’est dur et
ridé, une écorce.
Que c’est blessé, couvert de
cicatrices, de rides et de cassures, la peau d’un arbre. Rien n’est lisse. Tout
est écorchure, tout accroche. Sa peau est mousse, lichen, fourmis et poudres
brunes. Mes poils s’accrochent à lui. Se mêlent à lui. Ma peau l’embrasse. Ma
main le parcourt sur le tronc, remonte sur ses branches. Ma barbe le lèche. Mes
lèvres le célèbrent. Union de l’animal et du végétal. Union sauvage de la peau
et de l’écorce. Pareillement nues. Pareillement dépourvues de toute douceur.
Ecorce écorchée, peau poilue. Fourrure
contre tronc. Baiser des lèvres à la naissance des branches. Quand le vent
souffle, l’arbre danse. Aujourd’hui, non, il ne danse pas. Il est totalement
immobile. Je sens un calme profond, profond, tellement profond. Le pommier est
en train d’enlever de moi les lambeaux de mes peurs et de mes rancoeurs. Sa
voix résonne en moi. On dirait celle d’une femme. Sa peau, pourtant, est celle
d’un homme.
Dieu Déesse. Oui, forcément ! «Mange
une pomme quand le stress te mange». J’y songerai. Merci à toi pour le conseil.
Je vois déjà le pistil de ses fleurs se gonfler, promesse des pommes futures.
Je le laisse à regret. Mais reviens à peine deux minutes plus tard pour prendre
quelques photos. A quoi ressemble l’union d’un homme avec un arbre ?
Je me le demande. Je mitraille. Je
découvre. Les images me surprennent. Je les trouve à la fois...étranges et belles.
En voici une, comme la bouche d’un géant au coeur d’un paysage nordique.
Je termine ma célébration en réalisant
une bouteille sorcière. Je collecte un échantillon de tout ce qui est en fleur
pour l’instant dans le jardin. Et cela fait pas mal de plantes : pissenlit,
lilas, azalée, rhododendron, pâquerette, aubépine, bourrache, clématite, pensée,
robinier, tulipe, glycine, weigelia cercis, genêt, pommier, romarin, thym,
renoncules,... Je rassemble le tout dans une bouteille sur laquelle je colle un
sigil signifiant le nom de Beltane et ce qu’il représente pour moi : la
floraison, l’union, la rencontre, l’expansion, l’amour. Puis, je couvre la
bouteille d’une bougie pastel que j’allume afin d’exprimer dans la lumière
toute la magie bénéfique, florissante et favorisant la rencontre que peuvent
véhiculer ces fleurs. La première des coulures frappe le sigil lui-même,
s’imprégnant donc de son pouvoir.
Ainsi, je clôture la fête, dans la
contemplation méditative d’une bougie allumée
Retrouvez les écrits et photos de Fred
Lefaune sur son blog http://sentierdesfaunes.canalblog.com
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