Le XXIe siècle sera celui
des femmes : voilà ce que montrent les indicateurs.
A force de conquêtes, elles
ont défi ni leur place. Aux hommes d’inventer une nouvelle façon d’être au
masculin, loin des stéréotypes. Une renaissance du mâle pour le bien de tous.
D’où vient que l’on éprouve souvent le sentiment d’énoncer une
approximation un peu niaise dès que l’on parle de « l’Homme » et de « la Femme
» ? Tout simplement du fait que le temps des généralités, en la matière, est
dépassé, et que ni les femmes ni les hommes ne sont désormais réductibles au
singulier majuscule, alors que l’individualisme triomphe et que chacun
revendique d’être « soi ». Les féministes ont définitivement enterré « la Femme
» dans les années 1970 et 1980, lorsqu’il est devenu insupportable d’entendre
égrener les qualités et les défauts prêtés à l’éternel féminin depuis quelques
siècles par la gent masculine. Les femmes – au pluriel – ont conquis le droit
de s’échapper du carcan de l’archétype traditionnel, et même de le casser. Mais
les hommes, qui ne se sont jamais révoltés collectivement contre le prototype
pesant de l’éternel masculin, restent confusément, intimement, profondément
arrimés à un modèle auquel, pourtant, beaucoup ne croient plus. Alors que les
femmes ont entassé des montagnes d’écrits pour crier leur colère et clamer
leurs volontés, les hommes n’ont pas trouvé de mots communs pour dire ensemble
ce qu’ils ne veulent plus être ou ce qu’ils voudraient devenir. Elles veulent
tout, ils ne revendiquent rien. Tandis que s’ouvre le siècle des femmes, celui
qui les verra faire jeu égal avec les hommes et improviser les partitions de
leur choix, « l’Homme » au singulier majuscule fond comme neige au soleil.
C’est la fin.
Et maintenant, les hommes se cherchent, sur les décombres de
l’éternel masculin. On ne sait pas encore ce qui va en surgir. A première vue,
on en a une petite idée en kaléidoscope. Une publicité, d’abord, pour l’Eau
sauvage de Dior qui, en 2009, a recours à une photo d’Alain Delon jeune prise
en 1966 – date de sortie du parfum – comme si la virilité sexy ne pouvait se
conjuguer que dans la nostalgie d’un idéal masculin enfui. Seconde publicité,
cet automne, pour un autre parfum, Bleu de Chanel. Un homme donne une
conférence de presse. C’est Gaspard Ulliel, le comédien aux beaux yeux bleutés.
Une femme lui pose une question. Il répond par un silence interminable. Puis
soudain, il se lève en murmurant : « Je ne vais plus être la personne que vous
attendez. »
Que va-t-il devenir ? Qui va-t-il devenir ? Quand on lit les
ouvrages publiés par les auteurs masculins qui annoncent et généralement
prônent cette mutation, on est frappé par l’incertitude qui est la leur. Ils
sont moins sûrs de ce qu’ils voient que de ce qu’ils croient. Comme s’ils
étaient étrangers à eux-mêmes, comme si le continent masculin était devenu une
terra incognita. Qu’il fallait défricher, conquérir, à coups de pioche, de
pinceau ou de marteau.
Eric Zemmour choisit
plutôt la massue, c’est son commerce. Dans « Premier sexe » (J’ai lu, 2009), il
préconise une revirilisation des hommes, qui seraient menacés d’effondrement et
de castration sous l’influence des homosexuels et le joug des femmes, désormais
reines du monde.
A l’inverse, le discret Paul Ackermann, qui a publié
«Masculins singuliers » (Robert Laffont, 2009), milite pour l’émergence d’un
homme « réconcilié » : « Réconcilié avec les femmes, réconcilié avec l’héritage
de ses pères, mais surtout réconcilié avec lui-même. » Dans un livre sorti en
octobre 2010, le philosophe Vincent Cespedes prône une « masculinité
mystérieuse » et voit déjà pointer la « difficile transition de la performance
au mystère ». Le singulier du titre – « L’Homme expliqué aux femmes »
(Flammarion) – est démenti par le visuel choisi pour la couverture, une
silhouette en kit, regroupant sur un seul corps huit types masculins,
l’ambitieux, le bon vivant, le grand sensible, l’obsédé… : la synthèse est
ardue. Ce qui n’empêche pas l’auteur d’annoncer la « Renaissance masculine »,
qu’il voit déjà pointer « en prise avec le tendre en dehors, le tendre en soi,
la puissance exorbitante du bonheur enfantant le bonheur ». A ce prix
seulement, suggèrent Cespedes et Ackermann, les femmes nous aimeront.
On revient de loin. 1804, le code Napoléon consent de nouveaux
droits civils aux femmes, particulièrement en matière de succession, mais les
déclare juridiquement incapables et verrouille la hiérarchie familiale : « La
femme doit obéissance à son mari et le mari doit protection à sa femme. » Il a
fallu attendre 1970 pour que l’homme soit détrôné de sa position de chef de
famille. En attendant, pendant des décennies, jusqu’à ce qu’elles obtiennent le
droit de vote en 1944, des ténors agitent le spectre de la « virilisation ».
Ces femmes sont folles, de s’aventurer à se servir de leur cerveau ! « Dans la
jeunesse, dans l’âge mûr, dans la vieillesse, quelle sera la place de ces êtres
incertains qui ne sont, à proprement parler, d’aucun sexe ? » s’écrie le
médecin et philosophe Pierre Cabanis. Haro sur Jules Ferry, héraut du droit à
l’instruction pour les deux sexes. On suppute les dommages collatéraux : « Un
jour, écrit Barbey d’Aurevilly dans les « Bas bleus » en 1878, c’est nous, les
hommes, qui ferons les confitures et les cornichons. » Bien vu.
Enfin, relativement. A
vrai dire, les femmes ont plus massivement profité de la brèche ouverte par
Jules Ferry en 1870, que les hommes n’ont profité des portes ouvertes dans la
cuisine et la buanderie par celles qu’on appelait hier les « ménagères ».
Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire, les filles sont meilleures
que leurs congénères masculins à tous les échelons de la scolarité et sont plus
diplômées qu’eux. Elles sont, en France, 68 % à décrocher leur baccalauréat
pour 56 % de garçons. Depuis dix ans, elles sont majoritaires dans le troisième
cycle universitaire. Certes, elles se retrouvent parquées dans 11 familles de
métiers sur 86 : moins de 10 % dans le bâtiment, 20 % dans l’énergie, 75 % dans
les secteurs de l’éducation, de la santé et de l’action sociale. Certes, elles
sont moins de 25 % chez les ingénieurs, bastion masculin traditionnel, 17 %
seulement dans l’informatique, territoire neuf. Mais, désormais, le sexisme est
devenu ringard. Plus aucune publicité n’ose montrer une femme armée d’une serpillière
et les propos machos passent pour une faute de goût ou un signe d’inculture. La
cause est entendue : les femmes sont les égales des hommes, au moins dans les
textes. L’avant-garde sociale des entreprises, qui communiquent sur leur «
management éthique », se démène, de charte de la diversité en label égalité,
pour mériter l’étiquette « women friendly ».
Outre-Atlantique, les femmes sont devenues les breadwinners de
40 % des couples, selon le rapport Shriver du Center for American Progress.
Pendant la crise, de fin 2007 à janvier 2010, l’emploi masculin a chuté de 8,2
% tandis que le nombre de femmes au travail ne baissait que de 3,9 %, indique
une étude de la Banque de réserve fédérale (Fed) de New York. La France vit une
mutation apparemment analogue. Huit femmes sur dix travaillent et contribuent
aux ressources du foyer. Au début de la récession, le chômage féminin a flambé
moins vite que celui des hommes. Mais, selon la sociologue Margaret Maruani,
les travailleurs les plus pauvres sont à 80 % des travailleuses. Et pour cause,
les femmes occupent massivement des emplois non qualifiés et un tiers d’entre
elles bosse à temps partiel.
Pendant que les filles s’appropriaient les rôles hier interdits,
les garçons ont eu la liberté d’emprunter le chemin inverse. Ils sont entrés,
comme un seul homme, dans les maternités. On les voit dans les squares
pouponner, moucher, consoler, conduire les poussettes. Ils ne boudent plus leur
congé de paternité. Mais, selon une étude publiée par le démographe Arnaud Régnier-Loilier
(Ined) en 2009, 80 % des tâches ménagères sont encore accomplies par les femmes
et, même chez les couples égalitaires, l’écart entre les conjoints se creuse à
l’arrivée d’un enfant, a fortiori des suivants.
Les jeunes pères, pourtant, tiennent à exister. Ils se battront,
s’ils viennent à divorcer, pour voir leurs enfants autant que la mère. Mais ce
n’est pas si facile d’être un homme libéré. Comme les femmes, ils sont soumis
dans les entreprises à une double injonction : c’est « génial » d’avoir un
mouflet – « ça s’arrose, hein ? » – mais « au fait, le dossier Dubois, tu as
réglé le problème ? »
Alain emmène chaque matin ses enfants à l’école. Lorsque ce
cadre de direction dans une grande banque française a objecté à son supérieur
qu’il lui serait impossible de se rendre à une réunion hebdomadaire fixée à 8 h
30, il s’est vu fusiller du regard. Il a tenu bon. Et il le paie. Sa carrière
progresse moins vite que celle de ses collègues. « Quand mes enfants sont
tombés malades, j’ai pris un jour de congé pour m’en occuper. Trois ans après,
mes collègues ironisent encore en m’appelant “la nounou”. » Alain a le
sentiment d’être dans une situation semblable à celle des femmes, lui qui ne
traîne pas le soir au boulot, ne s’éternise pas au bistrot avec les collègues
et n’emporte pas dix dossiers en week-end : il n’a pas adopté les codes
informels de la réussite.
Dans leurs blogs, de
jeunes pères rivalisent d’expertise, décidés à investir la sphère privée. Sur
un petit ton caustique, histoire de ne pas passer pour des idiots utiles.
Cédric Bruguière, l’un des auteurs du blog « Papa travaille », se plaint de
discrimination. « Parfois, écrit-il, il vaut mieux dire à l’employeur que vous
avez besoin des mercredis pour jouer au golf, rencontrer de nouveaux clients,
faire du tennis de compétition, ou même aller jouer au poker. » Malgré leur
bonne volonté, pas sûr, pourtant, que ces pères éperdus aient la même
perception que les femmes des rôles qu’ils désirent partager. Le sociologue
Thierry Blöss a observé que tout ce qui relève de la « gestion mentale » de
l’enfant était abandonné aux mères, tandis que les pères aiment se consacrer
aux activités de « socialisation ». En clair, ils incarnent « une figure
secondaire ou auxiliaire ». A elles, « la figure principale ». De quoi combler
la plupart des psy qui se lamentent sur le manque de père, au sens symbolique
du terme : comme Michel Schneider qui stigmatise la société maternante – « Big
Mother » (Odile Jacob, 2002) – ou le pédiatre Aldo Naouri qui appelle les
hommes à s’imposer en tant qu’amant de la mère.
Pas un patron, aujourd’hui, qui n’encense les femmes. Dans les
faits, ça coince : à poste égal, ils les paient toujours moins bien que les
hommes. Mais le groupe résiste, dès que le pouvoir est en jeu.
Les vrais machos, ceux qui ne veulent pas être pris pour des «
gonzesses », se recrutent encore dans les cités, les bistrots, les vestiaires,
les chambrées, ou chez les dirigeants d’entreprises et les politiciens. Ils
frappent encore, même physiquement. Mais ils sont hors-la-loi et ils le savent.
Même s’ils se cherchent des alibis. Ils pressentent bien, au fond d’eux-mêmes,
qu’un jour leurs filles prendront leur indépendance. Leur machisme ressemble à
des crispations sectaires, à des réflexes archaïques face à la perte de
pouvoir, quand la peur se masque de haine.
Le malaise masculin face à la concurrence des femmes s’exprime
souvent plus subtilement. C’est bien simple, les femmes, souvent, ils ne les
voient pas. Souvenez-vous du président Sarkozy offrant aux parlementaires, pour
fêter sa présidence européenne, un petit cadeau comprenant un stylo et… une
cravate.
Ils les cherchent souvent. Si, si. Des compétentes, bien sûr. «
On n’en trouve pas, gémissent-ils, vous en connaissez, vous ? » Catherine
Ferrant, alors directrice de l’innovation chez Total, livrait, dans un colloque
en juin 2008, les résultats d’une enquête conduite auprès des cadres du groupe
pour tenter d’identifier les freins à la promotion féminine : « Les femmes
cadres décrivent les hommes cadres comme des cadres », a-t-elle conclu. « Les
hommes cadres décrivent les femmes cadres comme des femmes. »
Elles ont décidé de se
faire voir. Face aux réseaux masculins qui structurent le corporatisme
masculin, les femmes de pouvoir s’organisent, de sites en colloques, pour faire
la courte échelle aux autres. De Véronique Morali, présidente du développement
chez Fimalac et créatrice du site Terra Femina, à Mercedes Erra, présidente
exécutive d’Euro-RSCG, toutes sont convaincues qu’il faut en finir avec les
pudeurs féminines face au pouvoir. « La compétition est ouverte », déclare
Marie-Claude Peyrache, présidente française de l’European Professionnal Women’s
Network qui regroupe – en anglais exclusivement – 3500 cerveaux féminins dont 1
200 à Paris : « Un jour, dit-elle avec gourmandise, les femmes protègeront les
hommes. »
Tandis que les bardes de la virilité appellent leurs frères à la
réaction, les battantes clament qu’elles rendront le monde meilleur. Dans un
entretien à la chaîne ABC, Christine Lagarde, ministre de l’Economie et des
Finances, ironise sur son déficit de testostérone. Une « aide » pour les
femmes, finalement, « puisqu’on ne va pas nécessairement investir nos egos dans
une négociation, en imposant notre point de vue, en humiliant notre partenaire
».
La blague a fait le tour du monde féministe : « Si Lehman
Brothers s’était appelé Lehman Sisters, la banque n’aurait pas fait faillite. »
Explication des experts, « The Economist » en tête : les femmes prenant moins
de risques que les hommes, elles provoqueraient moins de dégâts. Selon une
étude réalisée par Equality and Human Rights, les bonus des traders féminins
sont 80 % moins juteux que ceux de leurs collègues masculins. Michel Ferrary,
professeur en gestion des ressources humaines à l’Ecole supérieure de commerce
de Nice-Sophia-Antipolis, a étudié les 42 plus grosses entreprises françaises.
Celles qui emploient plus d’un tiers de femmes cadres – 35 % étant le seuil à
partir duquel une minorité peut influer sur le groupe – auraient vu leur
chiffre d’affaires progresser de 60 % de plus que les autres et elles
créeraient davantage d’emplois. Le cabinet de consultants Mc Kinsey, lui, a
montré que plus les femmes sont nombreuses dans les comités exécutifs, plus la
rentabilité des sociétés s’accroit. Illico, deux banques finlandaises ont lancé
conjointement Top Women, une obligation bancaire investie dans des entreprises
riches en responsables femmes.
L’économiste Esther
Duflo, spécialiste du développement et de la lutte contre la pauvreté, a mené
en Inde des expérimentations sur la gouvernance au féminin. Dans un tiers des
districts d’un Etat, un dispositif administratif a imposé qu’un tiers des chefs
élus soient des femmes. On s’est aperçu que la part des dépenses publiques
consacrée aux infrastructures sociales comme l’eau, la santé ou l’éducation,
était bien plus élevée dans les districts dirigés par des femmes. Les hommes,
eux, auraient tendance à investir, au foyer, dans l’achat d’un véhicule ou,
pour la collectivité, dans des projets industriels démesurés, selon un rapport
de l’Unicef de 2007. « Tout, dans notre vision du mythe féminin et de l’idéal
masculin, nous pousse à prescrire aux unes le goût de la prudence, du retrait,
de la protection, du don de soi, et aux autres, celui de l’audace, de la
conquête, de la vitesse, du danger, de la domination », souligne le
psychanalyste Serge Hefez. De là à penser que si l’esprit pionnier a porté ses
fruits à l’ère industrielle, la société post-industrielle, elle, a besoin des
femmes pour retrouver le sens des priorités écologiques et régir le principe de
précaution, il y a un pas que certaines féministes franchissent avec
enthousiasme.
S’entendant décrire comme de grands ados un peu benêts, les
hommes auraient tort de déprimer. Seuls les différentialistes peuvent croire
que ces variations de comportement sont exclusivement déterminées par nos
gènes. Elles sont liées à la culture. Et la culture évolue. Maintenant que
Sciences Po a mis les gender studies à son programme, les élites ne pourront
plus l’ignorer : l’homme et la femme ne diffèrent pas seulement par ces «
détails » corporels qui nous occupent tant, mais par cette infinité de gestes,
d’attitudes, d’attentes, de codes jamais appris mais que chacun connaît par
cœur. La multiplication des études de genre – symptôme en soi de la crise
identitaire qui nous taraude – a le mérite de faire réfléchir à ce qu’on savait
déjà : les cultures habillent les sexes et chaque culture invente pour chacun
un nouveau costume intellectuel, affectif et politique.
En ce début de millénaire, dans les sociétés occidentales, il
est frappant de voir que les hommes n’ont plus peur de féminiser leur apparence
– le marché de la beauté masculine explose – tandis que les femmes mettent leur
part de virilité en veilleuse. Peut-être parce qu’elles n’ont pas besoin de
posture. Elles « font » les hommes puisqu’elles s’approprient tous leurs rôles.
Même la délinquance des filles, traditionnellement minime, décolle. Selon les
chiffres policiers, le nombre des atteintes aux personnes commises par des
mineures vient d’augmenter de 83 % en cinq ans.
Tout le monde est à l’étroit dans les codes traditionnels, ça
craque de partout. Dans « La Domination masculine » (Seuil, 2002), Pierre
Bourdieu expliquait que « le privilège masculin » était aussi un piège : « Il
trouve sa contrepartie dans la tension et la contention permanente, parfois
poussées jusqu’à l’absurde, qu’impose à chaque homme le devoir d’imposer en
toutes circonstances sa virilité. » Comme en écho, dans son dernier essai – «
Le Conflit : la femme et la mère (Flammarion, 2010) – Elisabeth Badinter écrit
: « Le bébé est le meilleur allié de la domination masculine. » A chacun de
chercher comment ne pas se laisser formater.
A sa façon, le réalisateur Joël Abecassis sort du rang en
publiant, sujet féminin s’il en est, le récit du régime alimentaire qu’il s’est
infligé. « D’où me vient cette angoisse ? » confie-t-il dans « Apesanteur »
(Lattès, 2010). « Je prends du poids parce que j’ai peur d’être trop léger
comme père, tout simplement. » Cet aveu-là, quand on est un mâle à l’ancienne,
on le tait. Abecassis a sa faiblesse et il l’expose, c’est un signe des temps.
De plus en plus d’hommes laissent paisiblement tomber les modèles Tarzan pour
mener leur vie à leur façon, loin des diktats d’antan. Décidées à ne rien
sacrifier, les femmes attendent d’être calées dans leur vie professionnelle
pour programmer leur premier enfant : à 30 ans aujourd’hui, 31 bientôt. Mais
certaines, déjà, étouffant dans leur habit de superwoman, fantasment de se
déployer ailleurs que dans la performance.
Et les voilà qui se retrouvent.
Garçon ou fille, les jeunes générations rêvent de « qualité ».
Elles veulent réussir leur vie professionnelle et leur vie privée. Une enquête
réalisée par l’agence Equilibres en 2007 montrait que les pères de famille âgés
de 30 à 40 ans ne se sentent pas, contrairement à leurs aînés, mariés à leur
entreprise. 15 % seulement des quatre cents cadres à haut potentiel interrogés,
tous appelés à diriger un jour, correspondaient au modèle « tradi » du «
pourvoyeur de revenus » qui construit son identité d’homme à travers le
travail. 52 % d’entre eux, qualifiés d’équilibristes, aspirent à une paternité
épanouissante et attendent de l’entreprise une évolution. 33 %, dits «
égalitaires », osent des choix audacieux et des renoncements professionnels,
souvent mal compris.
es entreprises bougent. Plusieurs, comme Areva, Alstom et
Orange, ont signé des accords « vie professionnelle-vie personnelle ». Créé en
2008, un Observatoire de la parentalité en entreprise regroupe 179 sociétés et
associations autour d’une charte par laquelle ils s’engagent à faire évoluer
les règles écrites et non dites qui pénalisent les parents. Les réunions tard
le soir y sont proscrites. Les congés parentaux y sont mieux accompagnés. Des
crèches sur place sont prévues. Au début de 2010, l’Observatoire de la
responsabilité sociétale des entreprises (Orse) a publié un ouvrage intitulé «
Patrons papas » (Cherche Midi, 2010), dans lequel des dirigeants s’interrogent
longuement sur la question qu’il est devenu politiquement incorrect de poser
aux dames : comment concilier vie professionnelle et vie familiale ?
Les rôles se redéfinissent doucement en s’échangeant sur les
bords. C’est la tendance « gender flexibility », chacun joue avec les codes de
l’identité sexuelle de l’autre sans se renier. A l’heure du tout mixte, du
métissage, de la fusion food, de la world music, on a le droit de mélanger. Les
stars masculines, comme Guillaume Canet, n’hésitent plus à porter leur
fragilité en bandoulière. Contrairement à « une masculinité amputée et
impuissante, qui refoule le féminin et ne se définit que par cette négation »,
une masculinité « pleine et entière » a partie liée avec le féminin, assure
Vincent Cespedes. « Remuer l’altérité en nous-mêmes, ce n’est pas la dissoudre
en nous, mais en réactiver le dynamisme. »
Adieu, le mâle « qui fout des baffes aux femmes », le
métrosexuel efféminé et le perpétuel culpabilisé, décrète Paul Ackermann.
Bienvenue au « gentleman urbain, convivial, pas macho mais viril », cet homme «
humanisé », dont la sociologue Christine Castelain-Meunier voit l’émergence. «
On est en train de reconstruire une certaine fierté masculine, sans machisme »,
ajoute-t-elle. Propos de luxe quand on songe à tous ces pays où, en 2010, on
lapide encore des femmes pour des peccadilles ; où on les voile, on les
enferme, on leur interdit toute émancipation, on les vend. Dans les démocraties
modernes, le mâle comme référent essentiel de l’humanité est mort. Même si
certains campent comme des forteresses assiégées dans le mépris et l’arrogance
sexiste. Pour plaire aux femmes qui ont cassé le vieux moule, la majorité des
hommes, débarrassés de l’obligation d’être les
plus forts partout, inventent déjà – et sans que rien ne soit dit collectivement
– leurs compromis personnels avec l’héritage masculin, les tabous, leur propre
besoin d’oxygène. De la disparition de l’éternel masculin, après celle de
l’éternel féminin, va naître peu à peu une définition mixte de l’humain,
nourrie d’universalité. Chacun, avec ce qu’il est génétiquement, avec ses
différences qui ne sont pas toutes réductibles au sexe, pourra s’emparer des
rôles que la culture mettra à disposition. Une mixité passionnante qui, au-delà
des idéologies et des postures, se distille un peu chaque jour.
par
Jacqueline Rémy, Isabelle Germain
Bonjour, Françoise .
RépondreSupprimerJ'étais exhibitionniste .
Aujourd'hui castré, j'ai une vie très agréable .
Dois je avoir honte de ne plus être viril ?