Psy : La virginité féminine peut sembler dépassée dans
notre société sexuellement libérée, pourquoi écrire un livre sur le sujet ?
Yvonne Knibiehler : La virginité féminine
est en réalité un sujet très actuel. Si la défloration est devenue un événement
physiologique insignifiant, elle reste un rite de passage. Perdre sa virginité,
c’est quitter l’enfance, découvrir l’autre, l’autre sexe. C’est franchir ce
seuil, qui ne va pas toujours de soi.
On entend aussi beaucoup parler actuellement,
notamment chez les femmes de culture musulmane, de réparations d’hymen, de
certificats de virginité. J’ai voulu mieux comprendre ces conduites. Celle
aussi de l’américaine Paris Hilton qui, comptant les amants à la centaine, a
déclaré qu’elle ferait réparer son hymen le jour où elle se marierait. La
virginité féminine est également à la source de nombreux faits divers. Il y a
eu le cas de cette étudiante américaine qui a mis la sienne aux enchères pour
financer ses études. Ou encore le procès entre ce couple à Lille, dont le
mariage a été rompu par l’époux lorsqu’il a découvert que sa femme n’était pas
vierge. Loin d’être désuète, la virginité féminine tient encore une place
symbolique considérable dans notre société.
Elle semble pourtant avoir perdu toute valeur…
Yvonne Knibiehler : Pourtant, la virginité
consacrée, par exemple, n’a pas du tout disparu. Au contraire. Le nombre de
femmes qui font vœu de célibat et de chasteté pour se consacrer à Dieu et aux
autres ne cesse d’augmenter en Occident et en Amérique, notamment latine. De même,
aux Etats-Unis, le mouvement No Sex - qui commence à prendre de l’ampleur en
Europe -, rassemble des gens qui entendent s’affirmer en maîtrisant leur
sexualité. Depuis les années 1970, nous avons traversé une période de sexualité
triomphante où il fallait absolument faire l’amour le plus tôt possible, jouir
le plus intensément possible. Mais il semble que nous soyons arrivés au seuil
d’une période un peu différente.
Que symbolise la virginité ?
Yvonne Knibiehler : Dans la nature, tout
être vivant est fait pour se reproduire et se reproduit à tout prix. Le culte
de la virginité et de la chasteté est, je pense, une réaction d’humains qui ne
veulent pas céder aveuglément aux forces de la nature. Il s’agit de se protéger
contre cette puissance extraordinaire de la sexualité.
Pourquoi
la virginité semble-t-elle être une problématique typiquement féminine ?
Yvonne
Knibiehler : Les
femmes ont toujours été plus préservées, et donc moins tentées. On a toujours
trouvé peu de garçons vierges, et pour cause : rien ne les y poussait. Ils
étaient même encouragés à affirmer leur force virile. Aujourd’hui, et c’est la
nouveauté par rapport aux siècles passés, on n’essaie plus de préserver les
filles, de les protéger. Les adolescentes sont d’ailleurs nombreuses à dire que
leur virginité les encombre, qu’il leur tarde de s’en débarrasser. Au collège,
au lycée, elles se demandent entre elles : « est-ce que tu l’as fait toi ? », «
comment c’était ? »…
Vous expliquez que la virginité, a, pendant des siècles, assuré
trois fonctions. Lesquelles ?
Yvonne
Knibiehler : La
virginité féminine a d’abord permis de garantir l’authenticité d’une filiation.
Un homme épousait une fille vierge pour être sûr que leurs enfants seraient de
son sang. C’était aussi un moyen de réserver l’initiation sexuelle de l’épouse
à son mari. Un homme, en faisant découvrir à une vierge le plaisir d’amour,
pouvait espérer obtenir sa fidélité en la rendant amoureuse grâce à la
découverte d’Eros.
Enfin, avec la naissance du christianisme, la virginité s’est
trouvée valorisée. Les Pères de l’Eglise l’ont proposée comme vertu suprême non
seulement aux femmes, mais aussi aux hommes. Rester vierge, c’était refuser la
domination de la sexualité, du corps, sur l’esprit. C’était une manière de se
rapprocher de Dieu et d’accéder à la sainteté. Pour les jeunes filles
chrétiennes, ce fut une véritable découverte : elles pouvaient désormais
refuser le mariage et l’enfantement, leur unique vocation depuis des siècles,
pour se vouer à Dieu et au développement de l’esprit. Cette promotion de la
virginité, entre le Ier et le IVème siècle, a constitué la première forme
d’émancipation féminine.
Que reste-t-il de ces trois fonctions aujourd’hui ?
Yvonne Knibiehler : Aujourd’hui, la pureté d’une lignée peut être assurée de
différentes manières (empreintes génétiques, procréation assistée…). Plus
besoin d’épouser une fille vierge. Avec les moyens de contraception, une femme
peut aussi choisir qui sera le père de ses enfants. De même, lorsqu’un jeune
homme et une jeune fille font l’amour, ils s’initient mutuellement. Et les
premières expériences sexuelles, désormais sans risque de grossesse grâce aux
moyens de contraception, ne visent pas toujours à faire durer l’amour. Reste la
troisième fonction, qui conserve pour certains de la valeur. Notamment ceux qui
veulent se consacrer à des tâches ou à des études importantes. Ils peuvent
refuser la sexualité parce que celle-ci entrave le développement de leur
esprit. Cela continue d’être une fonction essentielle de la virginité.
Pour les féministes, la virginité est une invention, un fantasme
masculin. De quoi ?
Yvonne
Knibiehler : L’idée du
sang qui coule au moment de la défloration est un fantasme masculin, celui d’un
homme qui s’empare d’une femme parce qu’il la fait saigner. Elle est à lui, son
sang marque son corps. Pourtant, au 19ème siècle, le grand naturaliste Georges
Cuvier – et les médecins se sont ralliés à ce discours - a démontré qu’on ne
pouvait pas vérifier la virginité d’une femme au saignement de l’hymen. Celles
qui ne saignent pas ne sont pas pour autant dépourvues de virginité. Le
saignement gratifie les hommes, ils apprécient l’idée d’être le premier, le
seul.
Longtemps, la virginité féminine a donc été un
moyen d’assurer la domination masculine sur les femmes. Avec la libération
sexuelle, les choses semblent avoir changé. Mais est-ce vraiment le cas ?
Yvonne Knibiehler : Il n’est pas certain que
dans ce domaine, la domination masculine ait disparue. Dans de trop nombreux
cas, on trouve des garçons qui vont presser les jeunes filles, même si
celles-ci ne sont pas prêtes. Ils vont leur dire que si elles ne cèdent pas,
ils iront voir ailleurs ; qu’elles ne risquent rien grâce à la contraception,
et qu’au pire, elles se feront avorter. Malheureusement, nombre d’entre elles
vont céder.
A DÉCOUVRIR
Ma virginité et moi
Simple
état physique ou vrai trésor intime, la perte de sa virginité constitue une
étape plus ou moins importante dans la vie sexuelle de chacun. Les
psychonautes racontent...
A
suivre : "Virginité
: je me souviens". Un documentaire de Johanna Bedeau et
Diphy Mariani, avec Yvonne Knibiehler, le 19 septembre, à 17h, sur France
Culture.
A lire
La
virginité féminine. Mythes, fantasmes, émancipation,d'Yvonne
Knibiehler (Odile Jacob).
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