La fusion du masculin et du féminin est un des buts de la quête
initiatique. L’union de l’homme et de la femme n’en est qu’un reflet
symbolique. La seconde est fiançailles, la première est noce.
Jean-Pierre Augier, Union des Coeurs - Genève (Revue maçonnique
suisse: août/septembre 2005)
Evoquer aujourd’hui la franc-maçonnerie et la femme conduit
immanquablement maçons ou profanes à s’interroger, polémiquer même sur ce que
d’aucuns considèrent comme un ostracisme archaïque et d’autres comme une
intangible tradition: la non-mixité de la maçonnerie régulière et la
non-reconnaissance par celle-ci de la maçonnerie féminine. Ces questions, pour
brûlantes qu’elles paraissent à la raison contemporaine, sont loin de couvrir
l’entier du thème. Osons même dire d’emblée qu’aux yeux de l’initié, dans la
perspective notamment de la maçonnerie spiritualiste du Régime écossais
rectifié, de telles questions n’ont qu’une importance secondaire. Car par
nature symboliste et initiatique, donc fondamentalement orientée vers le
spirituel, la franc-maçonnerie invite d’abord à comprendre le rôle du féminin
dans la quête initiatique, le développement personnel et le travail spirituel;
cela avant de penser la place de la femme dans l’initiation maçonnique. Cette
approche, qui est celle du présent article et en explique le titre, n’exclut
toutefois pas quelques réflexions préalables sur cette dernière question.
Critique profane et regard
initiatique
Homme et femme sont sans conteste égaux sur le plan de l’esprit.
Les femmes peuvent accéder aux plus hautes vérités transcendantes, rayonner
d’une profonde autorité morale ou spirituelle, et rien à cet égard ne justifie
qu’elles soient privées du sacerdoce, dont les écartent pour d’autres raisons
de nombreuses religions. La femme est donc indiscutablement initiable. Restent
toutefois ouvertes les questions de savoir si la nature de l’initiation
féminine est différente, si la franc-maçonnerie est une voie appropriée aux
femmes ou encore si l’initiation et, partant, la maçonnerie peuvent être
mixtes.
Notre époque peine à distinguer égalité des sexes et confusion des
genres. La pensée dominante récuse toute différentiation des rôles sociaux
fondée sur le sexe et prône la mixité dans tous les domaines. Aussi, le
caractère exclusivement masculin de la maçonnerie régulière et celui
majoritairement non-mixte des autres obédiences suscitent-ils incompréhension
et critiques allant jusqu’au grief d’archaïsme patriarcal ou de sexisme
sectaire. La mise à l’écart des femmes ou le rejet de la mixité peuvent certes
paraître opposés à l’universalisme de la maçonnerie, contraires à une
fraternité exempte de ségrégation. Mais cette situation découle à la fois de la
tradition, à laquelle sont foncièrement attachés les maçons, et de la volonté
de ceux-ci, dans leur actuelle majorité.
Les explications profanes à cette attitude de la maçonnerie envers
les femmes ne manquent pas. Des sociologues y verront une survivance de la
division sexuelle des tâches sociales et du travail, un avatar de l’appropriation
du savoir et du pouvoir par une classe. Des anthropologues diront que les rites
initiatiques des tribus primitives ont en particulier pour but l’identification
sexuelle et l’intégration communautaire, qu’historiquement l’initiation des
hommes et des femmes a toujours été séparée. Des psychanalystes freudiens
réduiront cette attitude à un tabou né du refoulement de la libido ou à une
forme de résolution du complexe d’OEdipe. Des moralistes enfin y chercheront
l’empreinte d’un idéal ascétique universel de dépassement des désirs et de
chasteté, de délivrance des contingences terrestres.
Plus prosaïquement, nombre de francs-maçons, et des maçonnes
aussi, considèrent la non-mixité en loge comme relevant de la sagesse pratique.
Au regard notamment de la morale maçonnique, les risques de la fraternité entre
sexes sont évidents. Légitime est donc le souci d’éviter le désordre des
sentiments et les tentations de la chair; comme celui de rassurer son
partenaire ou préserver sa famille. Les faiblesses des hommes étant ce qu’elles
sont, et celles des femmes n’étant pas moindres, la présence de l’autre sexe
perturbe souvent pensée et comportement; le travail maçonnique rituel,
intellectuel ou spirituel peut s’en trouver parasité. Notre monde est de plus
en plus mixte, mais hommes et femmes n’en restent pas moins prisonniers de leur
image; au delà des plaisirs conviviaux, le partage entre personnes du même
sexe, sans le masque porté devant l’autre, a une valeur positive.
Ces critiques, explications profanes ou justifications pratiques
ne permettent cependant pas de prendre la vraie mesure des rapports entre
maçonnerie et femme. Elles suscitent des débats relevant d’ordinaire plus du
politique que de l’initiatique, stériles car elles ignorent ce qui est pour
nous essentiel: le sens du féminin dans les trois dimensions, symbolique,
psychologique et spirituelle de la franc-maçonnerie. Or pour découvrir ce sens,
propre à clarifier et relativiser le problème des relations entre hommes et
femmes en maçonnerie, ce n’est pas dans quelque direction sociologique ou
pragmatique qu’il faut chercher, mais dans la profondeur de l’âme humaine, dans
les fondements et l’histoire de la pensée religieuse, dans la sagesse.
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