Se faire une bouche sensuelle, porter
des jupes moulantes et des talons aiguilles, est-ce forcément se transformer en
femme-objet ? Méfions-nous des idées reçues.
Avec les courbes de pin-up de Scarlett
Johansson, le glamour sexy d’Angelina Jolie, l’exquise silhouette de Carla
Bruni, pas de doute, la féminité qui fait vendre et fantasmer semble s’être
débarrassée de son androgynie. Recalé le basique de bon aloi, les demi-teintes
chic mais fades… Partout, la différence des sexes crève les yeux. Nous
préparerait-on en douce le retour d’une mode femme-objet, sous couvert d’une
glorification des mythiques années 1950 ? Pas si sûr car, plus que jamais, dans
le domaine de la mode, de l’image de soi, les apparences sont trompeuses. «
Cette hyperféminité est une interprétation tout à fait nouvelle de la féminité
rétro, décrypte Vincent Grégoire, défricheur de tendances pour le cabinet Nelly
Rodi. Les codes féminins traditionnels sont outrés, parfois jusqu’à la
caricature. Cette façon d’affirmer “Je suis une femme” se fait de manière
ludique et très second degré. »
Toujours suspectée de se réduire au rang de
femme-objet, la femme qui use des codes classiques de la féminité – mettre en
valeur les caractères sexuels de sa personne – est coupable d’avance. Coupable
d’entretenir ou de réveiller le machisme primaire des hommes, d’entrer en
rivalité avec les autres femmes, et de réduire ainsi à néant des décennies de
luttes féministes. Pas facile d’assumer son envie d’être regardée avec désir,
de susciter des fantasmes sans pour autant agir dans sa vie privée et sociale
comme une irresponsable. Marianne, 43 ans, conseil juridique dans l’immobilier,
vient de s’offrir une jupe à motifs léopard. Elle envisage de la porter avec
des collants noirs, un petit pull moulant noir et du rouge à lèvres bien rouge.
« La totale ! » dit-elle avec un éclat de rire.
C’est dans cette pointe d’insolence ravie que se
situe la différence entre les hyper féminines d’aujourd’hui et celles d’hier.
En cinquante ans, féminisme et individualisme ont changé le rapport des femmes
à leur corps et à leur image. Obligées d’être offensives dans le monde du
travail pour faire valoir leurs droits, elles ont dans un premier temps adopté
les codes sociaux masculins des apparences, puis ont évolué vers une féminité
douce, androgyne, avant de se réapproprier une féminité sexuée. Mais, à la
différence des pin-up sexy des années 1950, les « femmes femmes » de 2009 ne
sont pas prêtes à renoncer à leurs acquis et à leur indépendance. Pour nombre
d’entre elles, l’hyperféminité est avant tout une façon de se plaire à soi.
Un parfum de rébellion
Flore, 42 ans, comptable, a définitivement
quitté les jeans il y a un an. « Après une vie passée en pantalon, j’ai eu
envie de robes légères, de talons, de petites vestes. Je me maquillais à peine,
maintenant, je ne sors plus sans mon rouge à lèvres. Je trouve qu’en
vieillissant le look naturel accentue le manque de fraîcheur, alors que le côté
pimpant, “jolie madame”, redonne de la séduction sans faire “fausse jeune”.
Et puis, la mode féminine met en valeur le corps
des femmes. » La philosophe Isabelle Quevall voit d’ailleurs dans cette
tendance une réaction contre « l’idéal ducorps parfait, sportif et diététique
». Pour elle, il s’agit de prendre le corps tel qu’il est, de l’accessoiriser
plutôt que de le transformer. « Si cette mode parle aux jeunes femmes,
poursuit- elle, c’est peut-être qu’elles ne veulent pas marcher sur les traces
de leurs mères, qu’elles ont toujours vues courir, se peser, se priver,
angoisser au sujet de leur poids. » Des hanches, des fesses et des seins ronds,
cela est très loin (et c’est un euphémisme) d’être un handicap pour Scarlett
Johansson, qui arrive régulièrement en tête des sondages de la femme la plus
sexy du cinéma.
Jouer à l’hyper-femme ? Une posture que les
jeunes générations adoptent d’autant plus facilement qu’elles s’amusent avec
leur image comme leurs parents jouaient aux jeux de société. Anna, 16 ans, rêve
de trouver aux puces un manteau léopard et de vrais escarpins vernis. Cette fan
d’Amy Winehouse et de Dita Von Teese ne veut surtout pas avoir le look
maternel, « trop neutre » –comprendre, évidemment : pas assez sexy et terne.
L’excès de féminité pour s’affirmer et rivaliser avec sa mère ? Rien d’étonnant
à l’adolescence, l’âge des résurgences oedipiennes.
Une prise
de pouvoir
Si l’hyperféminité peut avoir une fonction libératrice, elle est
aussi révélatrice d’un certain malaise identitaire. Dans ce désir d’afficher
des signes sexuels sans équivoque, la psychanalyste Isabel Korolitski lit un
désarroi du moi : « Il y a un aspect déguisement assez infantile, qui
m’apparaît comme l’expression d’un “faux self ”2 plutôt que comme la
manifestation d’un vrai désir. Tout se passe comme si ce moi était confondu
avec l’image, le rôle. Le moi idéal a pris la place de l’idéal du moi : lorsque
l’on obéit à des codes, même si l’on prétend en jouer, on se prive de la possibilité de chercher et d’exprimer sa singularité. »
Pour la psychanalyste, Madonna illustre à la perfection cette
féminité de surface : « Dans cette mode très sexuée, on se prend soi-même pour
un objet de désir, l’autre est absent, ou au mieux spectateur. De manière
générale, dans toute panoplie qui outre les caractères sexuels, la personne
disparaît derrière le personnage.
Une femme qui se sent bien dans sa féminité n’a pas besoin de se
déguiser. » La psychologue Maryse Vaillant enfonce encore le clou : « Ce look,
quand il est excessif, cumule l’agressivité masculine et les indices de la
féminité tels qu’ils ont été définis par les hommes. Autrement dit,
l’hyperféminité affichée est une façon de prendre le pouvoir en occupant tous
les rôles. C’est plutôt un aveu de méconnaissance de soi et une façon de ne pas
faire de place à l’autre. »
À la recherche de la différence
A DÉCOUVRIR
Ce que les Américains nomment le regendering, la « réaffirmation
des genres sexuels », annonce peut-être une nouvelle façon pour les femmes et
les hommes d’entrer en relation. « Je reçois de nombreuses trentenaires à la
recherche d’hommes à la masculinité assumée, ni androgynes ni féminins, constate
Isabel Korolitski. Elles attendent d’eux qu’ils vivent leur masculinité comme
elles vivent leur féminité : en revendiquant leur diff érence tout en
respectant l’altérité et l’égalité. En soulignant leur féminité, en la
sexualisant, dans la rue, dans le monde du travail, c’est comme si elles
disaient : “Je veux un ‘vrai’ homme, comme je suis une ‘vraie’ femme.” »
À ces nouvelles représentations de la féminité répondent, en
miroir, des hommes qui réinvestissent une certaine masculinité. Deux couples
illustrent cela à la perfection : Monica Bellucci et Vincent Cassel d’une part,
Angelina Jolie et Brad Pitt d’autre part. Deux femmes hyperféminines que l’on
devine fortes, deux hommes hypermasculins que l’on devine sensibles. L’image
est séduisante. La réalité est probablement, et heureusement, plus complexe.
Car c’est dans la complexité des rôles et l’ambivalence des désirs que féminité
et masculinité se redéfiniront, loin des caricatures.
A lire :
- Le Corps aujourd’hui, d'Isabelle
Queval (Gallimard,“Folio essais”, 2008)
- Entre soeurs, une question de féminité, de Maryse Vaillant et Sophie Carquain (Albin Michel, 2008)
- Entre soeurs, une question de féminité, de Maryse Vaillant et Sophie Carquain (Albin Michel, 2008)
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