De jolis gestes, un style sensuel et
élégant, un peu de rouge sur les lèvres… Il existe mille et une façons de se
sentir féminine. Mais comment y parvenir ? Trois regards sont déterminants :
celui de notre mère, celui des femmes qui nous entourent et celui des hommes
qui nous aiment.
Être féminine. Tel
serait le désir le mieux partagé par les femmes qui font appel aux agences de «
relooking » ou qui tentent, avec l’aide de divers magazines, de modifier leur
apparence. La journaliste Alexie Lorca, qui vient de publier un ouvrage sur les
femmes et l’image de soi - Moi et Moi, face à la dictature de
l’apparence, des femmes témoignent d’Alexie Lorca (Larousse, 2008)-, rapporte que lors d’un appel
à candidatures pour une émission de télévision, les postulantes ont toutes
justifié leur démarche par cette même formule : « Je veux être féminine. »
Comprendre « être plus séduisante », à leurs yeux mais aussi à ceux des autres.
Un souhait parfois difficile à avouer aujourd’hui, tant il peut être pris pour
un acte de soumission à la convoitise masculine.
Ce qu’il est aussi, soyons lucides, mais pas
seulement. Et c’est toute la complexité de ce désir de supplément de féminité,
celle-ci ne se réduisant heureusement pas à la séduction sexuelle. « Aujourd’hui,
une femme féminine séduit pour créer de la relation avec l’autre, et non dans
le seul but de se sentir désirable dans les yeux des hommes, avance la
psychanalyste Isabel Korolitski. Ce qui est intéressant, c’est de se demander
par quels moyens se sentir plus féminine, mais aussi quel fantasme on met en
jeu dans ce désir. Ce qui est certain, c’est que la féminité est polymorphe,
évolutive, à la fois transmission et apprentissage. »
Le poids de l’héritage maternel
Première femme de notre vie, première référence
: notre mère. Déterminante dans la transmission de la féminité, en plein, en
creux, en excès. À mère ultraféminine, fille coquette et soignée, et
inversement ? Évidemment, l’alchimie est bien trop complexe pour être réduite à
des équations aussi simplistes. En réalité, tout dépend des messages
inconscients que délivrent les mères à leurs filles. « Les petites filles
sentent très bien si leur mère se maquille uniquement pour plaire aux hommes,
par plaisir et goût de la séduction, pour se sentir puissante, par automatisme
ou pour réparer une blessure narcissique, poursuit Isabel Korolitski. De même
qu’elles savent si elle ne se maquille pas par manque de confiance en elle, ou
au contraire parce que c’est un choix conscient et heureux. Une fille va avoir
tendance à reproduire le comportement de sa mère, quel que soit son mode
d’expression, si elle la sent heureuse en tant que femme. »
Véronique, 37 ans, a pris le contre-pied d’une
mère qu’elle décrit comme soignée, mais terne. « Contrairement à elle, je suis
heureuse en couple, je me maquille, je m’achète de jolis vêtements, je ne suis
jamais négligée, mais j’ai beau faire, je ne me sens pas très féminine. Même si
je sais qu’il y a plusieurs façons de l’être. En fait, je crois que je n’ai pas
la légèreté intérieure qu’il faudrait pour prendre plaisir à jouer avec le
maquillage, les vêtements, ou avec mon corps, tout simplement. » Légèreté,
esprit ludique, désir de séduire, mais aussi savoir-faire sont autant de voies
d’accès à une apparence féminine. « Une mère qui donne des conseils pour se
maquiller, pour se coiffer et s’habiller ou qui elle-même dégage cette
compétence, cela fait toute la différence », témoigne Lou, 31 ans, qui n’a
qu’une envie : vieillir comme cette mère aux jolis gestes et au style « simple,
sensuel et élégant ».
Sœurs, modèles, amies… des influences marquantes
Si le premier des apprentissages se fait avec ou
contre sa mère, il existe des influences et des inspirations tout aussi
puissantes qui confortent, apaisent ou modifient notre relation à la féminité.
« Les femmes apprennent les unes des autres, constate la psychologue
clinicienne Maryse Vaillant. Entre elles, dans un rapport d’intimité, de
sensualité, elles peuvent échanger leur ressenti, exprimer leurs sensations,
leur rapport au corps, à l’image de soi… C’est dans ce “gynécée”, qui est celui
des sœurs, des copines ou des amies, que l’on découvre, affirme ou remodèle son
rapport à la féminité, sur le mode du désir, du doute ou de la crainte. » Il
faut alors ne pas hésiter à solliciter le conseil ou les critiques de femmes
que l’on admire et en qui l’on a confiance. Combien de « relookings » gratuits
et réussis se font sur la base de préconisations avisées sur une coupe, une
couleur de cheveux, une inspection sans complaisance de sa garde-robe. L’amie
ou la sœur vient lever un doute en nous ou réveiller une compétence censurée.
Son regard voit ce qui nous échappe, son audace peut rallumer la nôtre. On peut
réunir la somme de compliments divers qui vont dans le même sens, cela finit
par dessiner une direction que l’on a intérêt à suivre si l’on sent qu’elle
résonne de manière juste en soi.
Maryse Vaillant loue également les mérites du
modèle qui inspire. Femme célèbre ou proche, elle influence à son insu. Parce
qu’elle ose et s’impose, elle donne l’envie d’essayer à son tour. « La
féminité, ce n’est pas un état figé, définitif, c’est une façon de se
construire et de se modeler en jouant avec soi, avec tous les soi possibles.
Elle rayonne lorsque sont dépassées les rivalités œdipiennes, que l’on ne se
bat plus pour le père, pour l’homme, affirme Maryse Vaillant. Alors on incarne
ce que j’appelle “l’être femme”, c’est-à-dire la capacité de jouer sa féminité
sur les registres qui comptent pour soi, on vit toutes les dimensions et les
contradictions de son être. Ce qui n’exclut évidemment pas que l’on puisse
désirer éprouver sa féminité dans le regard désirant ou amoureux d’un homme. »
Le pouvoir du regard amoureux
Marie, 46 ans, ne se sent
vraiment féminine que dans le regard de son amant. « Je m’habille, mais pas
comme une femme fatale. Je suis plutôt pantalon-tunique, tout en devançant son
désir. Sans regard amoureux sur moi qui me dit que je suis une femme et une
femme séduisante, je me sens encore, malgré mon âge et mes deux grands enfants,
comme une sorte d’ado, un peu neutre, un peu masculine même. Je me sens un peu
incompétente au niveau féminité, mais quand je suis amoureuse et désirée, là,
je ne doute plus, ça me donne des ailes. »
Ainsi, portée par le regard de
son amant, on ose mettre tel vêtement, changer de coupe de cheveux sans qu’il
s’agisse d’abdiquer sa personnalité profonde pour la troquer contre une simple
image séduisante. Selon la psychanalyste Marie-Laure Colonna (3), la plupart des
rencontres amoureuses agissent comme des révélateurs et viennent neutraliser
les croyances négatives ou limitantes que l’on a sur soi. « La relation
amoureuse est par essence “narcissisante”. Elle donne du désir. C’est une
énergie qui fait rayonner et qui se traduit souvent par un souci de soi accru,
une audace nouvelle qui s’exprime dans le corps, dans les gestes, les postures
et son image. »
Delphine, 34 ans, confie que sa
féminité s’est épanouie lorsqu’elle a connu pour la première fois le plaisir
sexuel. Jusqu’alors, elle se sentait grise, floue. Un jour, sa sexualité la
révèle. Le changement est spectaculaire. « J’ai senti que j’avais un corps pour
la première fois de ma vie, et après, je n’ai plus bougé et je ne me suis plus
habillée de la même façon. C’est à peine si on me reconnaissait. » Pour
Catherine Blanc, sexologue et psychanalyste (4), rien d’étonnant à cette
transformation profonde. « Il s’agit de se sentir reconnue par l’autre, dans ce
qui fait notre spécificité physique et émotionnelle. Le plaisir sexuel fait
vivre la chair, il la rend active, le corps vit, vibre, s’émeut, il prend alors
toute la place. Jamais on ne se sent plus belle que dans ces moments-là,
qu’elle que soit notre apparence. » Pour la sexologue, c’est aussi l’expérience
de cette plénitude qui donne envie de continuer à incarner son corps féminin,
une fois la rencontre sexuelle achevée.
"La féminité est de l'ordre du désir mimétique", Michela
Marzano, philosophe
Psy
: La féminité est un concept qui évolue. Quel est-il aujourd’hui ?
Michela
Marzano : Il y a
dans le discours une valorisation des différences, mais dans les modèles
proposés, la féminité reste codifiée de manière rigide, notamment par
l’hypervalorisation du triptyque « mince, jeune, sexy ». Du coup, les femmes
sont prises dans le désir de s’affirmer de manière singulière et dans la
crainte de ne pas séduire si elles s’éloignent trop des codes en vigueur. Les
modes d’apprentissage évoluent également : aujourd’hui, on cherche ce qui fait
envie chez les autres femmes de sa génération ou plus jeunes, et on le
reproduit. La féminité est de l’ordre du désir mimétique. Le mythe du jeunisme
sévissant, les mères sont, face à leurs filles, davantage en position de rivales
que d’initiatrices. Ce qui est préoccupant, c’est de constater que chez les
femmes d’aujourd’hui, l’idéal de féminité, c’est la jeune fille, l’adolescente.
Pensez-vous
que la féminité se définit toujours par rapport à ce qui plaît aux hommes ?
Michela
Marzano : Malheureusement,
on continue à avoir comme point de référence central le regard des hommes.
L’homme continue à donner le « la », on a intégré ses critères, et il est vécu
comme une entité de jugement, censée pouvoir trancher entre ce qui serait
féminin ou pas. Les femmes doivent continuer à faire un travail d’appropriation
de leur désir pour vivre pleinement leur féminité.
A DÉCOUVRIR
Marie-Laure Colonna,
auteure de L’Aventure du couple aujourd’hui (Dervy,
2007).
Catherine Blanc, auteure de La sexualité des femmes n’est pas celle des magazines (Éditions
de La Martinière, 2004).
Maryse Vaillant, est l'auteure avec Sophie Carquain
d’Entre sœurs, une question de féminité(Albin Michel,
2008).
Michela Marzano, est
l'auteure d’Extension du domaine de la manipulation (Grasset, 2008).
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